Les Eglises réformées au défi de leur courant évangélique
Ils sont minoritaires, les réformés romands étiquetés «évangéliques». Ils sont aussi très divers. A Neuchâtel, par exemple, l’Entre-2-Lacs serait la paroisse évangélique emblématique du canton. Florence Droz, une paroissienne de Saint-Blaise, s’amuse de cette réputation: «Je pense que nous la devons à notre manière de proclamer l’Evangile, parce que nos pasteurs ne sont pas différents de leurs collègues. Il y a une trentaine d’années, ma paroisse est devenue une vraie communauté qui s’efforce d’inclure tout le monde!»
Rocks & apéros
La sensibilité évangélique s’y exprime par des cultes qui mêlent cantiques traditionnels et musique plus rock suivis d’un apéro ou d’un repas, activités pour les enfants et les jeunes (la paroisse finance elle-même un animateur), groupes de prière... «Pour moi, poursuit Florence Droz, être évangélique, c’est vivre et propager l’Evangile. Sans jugement des autres, ni lecture littérale de la Bible. Je me sens bien en «réformée-évangélique!»
Dans la campagne genevoise, la paroisse de Bernex-Confignon s’est engagée sur une voie semblable dans les années 70, sous l’impulsion du pasteur René-Marc Jeannet qui vivait intensément son ministère. «Il a donné une grande importance à la prière et à l’accompagnement personnel, explique Alexandre Winter, l’un de ses successeurs. Depuis, la dimension communautaire y est très forte, d’autant plus que beaucoup de nos paroissiens engagés sont d’origine évangélique comme c’est le cas dans beaucoup d’autres lieux.» Une tonalité qui convient à tous? «J’espère que nos membres les plus libéraux se sentent à l’aise», répond le pasteur Winter qui se réclame lui-même d’une théologie pluraliste. Et de lancer: «Dans l’Eglise, la dimension spirituelle, l’attention aux autres et les après-cultes conviviaux ne devraient pas être une exclusivité des évangéliques!»
Respecter les différences
Au sein des Eglises neuchâteloise et genevoise, ces lieux – et quelques autres – coexistent sans problème apparent avec des paroisses plus traditionnelles. «La modération et le respect des différences sont très ancrés dans l’Eglise évangélique réformée de Neuchâtel, souligne Angélique Kocher, sa responsable de la communication. La diversité est une réalité appréciée.» Même constat à Genève. Le pasteur Blaise Menu, modérateur de la Compagnie des pasteurs et des diacres de Genève relève que «dans l’Eglise protestante de Genève (EPG), il y a des sensibilités différentes, des affinités qui surmontent les étiquettes, mais pas de courants organisés». Une situation qui peut s’expliquer par l’Histoire – l’Eglise libre n’a pas rejoint l’EPG – et l’existence de la Compagnie.
«Elle réunit tous les ministres et est reconnue par l’Eglise comme une autorité théologique et spirituelle, explique Blaise Menu. Nos rencontres mensuelles offrent un cadre de régulation. On s’entend sur le statut des textes et de la lecture de la Bible, mais il n’y a pas d’unanimisme: les lectures sont plurielles!» La Compagnie aura bientôt l’occasion de démontrer sa capacité à déminer le terrain. Le débat sur la théologie inclusive et notamment la bénédiction des couples homosexuels va s’engager à Genève et le modérateur se dit «confiant».
Déchirures vaudoises
Dans le canton de Vaud, en 2012, c’est cette thématique – et l’adoption d’un rite pour partenaires enregistrés – qui a révélé au grand public de fortes tensions au sein de l’Eglise évangélique réformée du canton de Vaud (EERV). La polémique a conduit à la création du R3 (Rassemblement pour un Renouveau Réformé) dont les membres, ministres et laïcs, appartiennent à l’aile évangélique de l’EERV. Celle-ci réunit plusieurs paroisses et, selon les estimations, entre 10% et 33% des paroissiens. Pourtant, entre cette sensibilité et les autres courants réformés vaudois, la crispation est plus ancienne et se cristallise notamment autour de l’autorité de l’Ecriture et l’éthique personnelle (début et fin de la vie, sexualité).
En 2007, déjà, une étude consacrée à l’analyse des points de friction dans le canton, avait été rédigée par un groupe de l’EERV à la demande du Conseil synodal de l’époque. Elle concluait par un appel aux réformés à entendre les autres spiritualités sans condescendance et aux évangéliques à renoncer au jugement et à la suffisance. Son rédacteur, le pasteur Martin Hoegger, aujourd’hui coprésident de l’assemblée du R3, déplore que ce texte n’ait jamais été débattu, mais estime que l’apaisement est possible. «Toute l’Eglise a besoin d’un renouveau de la vie spirituelle, souligne-t-il. Les réformés de tendance évangélique y contribuent grandement!»
Débat à venir
La question de la pluralité sera au centre d’un prochain synode vaudois. Afin de nourrir le débat autour du rapport du Conseil synodal et élaborer des solutions pour une coexistence entre sensibilités, convictions et pratiques différentes, les délégués disposeront des résultats d’une enquête réalisée en 2017. Pourrait s’y ajouter une synthèse issue d’un travail sur le terrain qui présente notamment certaines situations où le pluralisme est menacé. Le pasteur Jean-François Habermacher est le maître d’œuvre de ce travail de pacification au sein de l’EERV. Il y travaille depuis deux ans, à la demande du Conseil synodal à la suite notamment de la polémique de 2012.
Le ministre, qui se définit comme «un post-libéral qui accorde une grande importance à la spiritualité» se dit «optimiste». «L’envie d’être ensemble est la plus forte», assure-t-il après avoir visité une vingtaine de Conseils de paroisses avec un petit groupe de ministres et de laïcs de diverses tendances constitué «en gage de véracité de la démarche». Partout, l’accueil a été ouvert et amical, le débat – la controverse même parfois – a eu lieu. Pour Jean-François Habermacher cela confirme que «la diversité nous constitue en tant qu’individu et que communauté. Il n’y a pas un point de vue unique... on l’avait un peu oublié!» Une piste pour l’avenir? «L’Eglise doit revenir à quelque chose de plus substantiel en évitant la dérive des affirmations identitaires qui ne sont pas que le fait des évangéliques.»
Un exemple à suivre?
Les Eglises réformés évangéliques de Berne-Jura-Soleure (refbejuso) ont montré la voie du dialogue interne. Une nécessité car, depuis le XIXe siècle, plusieurs communautés et mouvements évangéliques ont tenu à rester au sein de l’Eglise nationale bernoise. Une double appartenance est d’ailleurs reconnue à leurs membres sous certaines conditions. «Nous avons choisi une approche pratique, explique le conseiller synodal Lucien Boder qui a fait partie du groupe de travail réunissant des représentants de refbejuso et certains groupes évangéliques. Nous avons identifié aussi bien ce qui nous unissait que les points de friction. Les choses ont été dites clairement, mais sans jugement.» Cet «exercice salutaire» - selon le pasteur Boder - a conduit, fin 2013, à la signature conjointe d’une déclaration intitulée «Vers un témoignage commun».