La pêche miraculeuse a eu lieu à Genève

La Pêche miraculeuse de Konrad Witz / ©DR
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La Pêche miraculeuse de Konrad Witz
©DR

La pêche miraculeuse a eu lieu à Genève

Passion
Devant le temple de la Fusterie, une installation mêle un tableau du XVe siècle à des photos modernes. L’histoire de l’œuvre et celle de l’œuvre dans l’œuvre sont racontées dans un livre qui vient de paraître chez Slatkine.

A la lecture d’Un tableau mais pas que, d’Anouk Dunant Gonzenbach, on a l’impression de lire davantage un récit amoureux qu’un ouvrage d’histoire de l’art. L’archiviste d’Etat adjointe aux Archives d’Etat de Genève relate, avec une passionnante subjectivité, sa rencontre avec La Pêche miraculeuse (1444) de Konrad Witz, l’étonnante histoire de cette œuvre, ce que ce tableau a de novateur dans la peinture du XVe siècle, sa rencontre avec un photomontage de Jean Stern mêlant ce visuel avec des photos modernes et enfin la naissance du projet d’installation artistique de Jean Stern présentée actuellement devant le temple de la Fusterie, au cœur de Genève.

Cette histoire m’a fascinée! Ce tableau était d’abord une archive, puis il a été considéré comme de l’art.
Anouk Dunant Gonzenbach

Retard des travaux

Au bord du Rhône, dégustant une citronnade, l’autrice nous dévoile un bout de l’histoire derrière cet ouvrage. «J’ai fini d’écrire le livre en juillet 2017. Le projet artistique de panneau pendant les travaux du temple de la Fusterie tel qu’on l’avait imaginé avec Jean Stern et le pasteur Jean-Michel Perret était prêt. On pensait à ce moment-là que les travaux allaient commencer rapidement», explique-telle. «Voilà pourquoi j’ai tenu à dater la postface: je ne parle pas dans ce livre de Covid. On voit aussi sur le montage une photo de baptême dans le lac, mais ce n’est pas une référence à la polémique qu’il y a eu par la suite avec la loi sur la laïcité. Et j’ai moi-même un peu changé. Pour tout cela, il me semblait important de dater ce texte.»

Ce qui n’a pas changé, par contre, c’est la passion qu’Anouk Dunant Gonzenbach voue au volet peint. «Ce tableau, je l’aime depuis toute petite. Régulièrement, je vais m’asseoir devant, au premier étage du Musée d’art et d’histoire de Genève, et je le fixe», écrit-elle. «Le Musée d’art et d’histoire, c’est un lieu important. Ça l’était aussi avec mes enfants, je les ai beaucoup amenés là», complète l’historienne en interview. «Et ce tableau, on en a beaucoup parlé dans la presse lors de sa restauration en 2012. J’avais l’impression que tous ceux qui avaient un lien avec Genève s’y étaient intéressés!»

La même année, un livre consacré aux tableaux peints par Konrad Witz pour le maître-autel de la cathédrale de Genève en 1444 est publié. «Cette histoire m’a fascinée! Ce tableau était d’abord une archive, puis il a été considéré comme de l’art. J’ai commencé à lire tous les articles que je trouvais. Plus je tirais le fil, plus le sujet était vaste!»

Une œuvre novatrice

Sur l’une de ses faces, l’œuvre représente de façon simultanée les récits évangéliques de la pêche miraculeuse et de la défaillance de Pierre. Mais le décor est celui de Genève au XVe siècle, ce qui fait de ce tableau la plus ancienne représentation topographiquement correcte connue. «C’est quand même très intrigant de voir Jésus sur l’eau, au beau milieu des Pâquis! Imaginez, les Genevois d’alors se sont retrouvés à la cathédrale avec le Christ qui marche sur leurs eaux. Je trouve ça touchant.»

Et le tableau fourmille de détails comme autant de témoignages d’une époque: «On part de la peinture, puis on est amené à réfléchir sur l’histoire des tissus, des toilettes, des poissons, des bateaux…», liste Anouk Dunant Gonzenbach. «On voit même des gens qui pratiquent le tir à l’arc à l’arrière-plan, un élément mis en avant par la Société du noble exercice de l’Arc comme preuve de cette pratique en 1444 déjà! L’observation de ce tableau permet des découvertes sans fin!»

Epargné par les iconoclastes

«Il y a quand même un mystère: on ne sait pas comment ce tableau est sorti de la cathédrale, échappant ainsi aux iconoclastes lors de la Réforme», précise l’autrice, qui a accumulé une large documentation. «C’est la seule partie que j’ai imaginée. Dans les faits, il disparaît, et on le retrouve des décennies plus tard comme témoignage de l’art préréformé. Pourquoi a-t-il été gardé? Certainement pour sa valeur marchande», avance-t-elle.

En librairie

Un tableau mais pas que: La Pêche miraculeuse de Konrad Witz, Anouk Dunant Gonzenbach, Slatkine, 2024.