À Hauteville, l’Université Pepperdine affiche ses valeurs chrétiennes

Une aile du Château d’Hauteville, caractérisée par des peintures en trompe-l’œil restaurées. / CA/Reformes
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Une aile du Château d’Hauteville, caractérisée par des peintures en trompe-l’œil restaurées.
CA/Reformes

À Hauteville, l’Université Pepperdine affiche ses valeurs chrétiennes

Éducation
Le campus suisse de cette université américaine accueillera ses premiers étudiants en août. Fondée par un entrepreneur protestant en 1937, l’Université Pepperdine, parmi les écoles réputées aux États-Unis, veut former des leaders avec une perspective «de service».

À chaque recoin des 37 hectares du domaine d’Hauteville, à Blonay St-Légier (VD), des représentantes de divers corps de métiers s’affairent: là, tondre une pelouse, ici finaliser un chemin, et à l’intérieur de la demeure principale, peindre les finitions, meubler les chambres des trente premiers étudiants, qui arriveront d’ici fin août.

L’imposant château du XVIIIe siècle et sa dépendance voisine, ont subi sous la houlette de l’architecte Nicolas Delachaux et de ses équipes, une rénovation de haute voltige. Dès 2019, il a fallu restaurer et adapter cette bâtisse classée au niveau national pour répondre aux besoins de son nouveau propriétaire: une université américaine prestigieuse, souhaitant y enseigner et héberger ses étudiants, avec les exigences (et normes) actuelles. Les deux partenaires ne reviennent pas sur les surprises et les tensions qui ont immanquablement marqué ces cinq années, affectées notamment par la pandémie. Nicolas Delachaux souligne plutôt combien le maître d’ouvrage était «soucieux, ouvert et conscient de l’importance du patrimoine.»

Pour un coût de 45 millions de francs, le domaine usé par le temps s’est transformé en campus universitaire de 130 lits à sa capacité maximale, doté d’une grande salle de réception et d’une cuisine moderne, installée dans l’ancien bûcher. La restauration patrimoniale s’est voulue la plus respectueuse possible de l’existant: la distribution des lieux a été largement conservée, l’aspect du bâti préservé, les façades en trompe-l’œil magnifiées, les installations techniques dissimulées sous les planchers d’époque…. L’Université Pepperdine étant spécialisée dans l’économie, le droit, la philosophie, aucun ajout de laboratoire scientifique n’a été nécessaire. Finalement, «une conjonction unique d’éléments historiques a permis le passage de ce château seigneurial du XVIIIe siècle à un campus», a estimé Nicolas Delachaux. «Pour ma part, j’y vois aussi la main de Dieu», assure Dee Anna Smith, membre du Conseil d’administration de l’Université Pepperdine et par ailleurs CEO d’un institut de recherche contre le cancer (Sarah Cannon Research Institute).


 

Des racines protestantes

Car l’Université Pepperdine, est un établissement chrétien, qui ne cache pas son identité — mais ne l’affiche pas non plus de manière prosélytique (voir photos ci-dessous)

 

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Sur son campus de Hauteville, des signes discrets de cette appartenance chrétienne sont visibles. Une citation biblique sur une cheminée, par exemple. Ou alors, au sol, sur les pavés de la cour principale du château, une croix plutôt subtile, voulue par les nouveaux propriétaires.
CA/Reformes
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Sur son campus de Hauteville, des signes discrets de cette appartenance chrétienne sont visibles. Une citation biblique sur une cheminée, par exemple. Ou alors, au sol, sur les pavés de la cour principale du château, une croix plutôt subtile, voulue par les nouveaux propriétaires.
CA/Reformes

Son fondateur, Georges Pepperdine est membre des «Churches of Christ». Ces protestants congrégationalistes, qui totaliseraient jusqu’à 2 millions de membres aujourd’hui, sont principalement installés dans le sud-ouest des États-Unis. Leur origine provient d’un mouvement évangélique du XIXe siècle, dit de «restauration», théorisé entre autres par Barton W. Stone et Thomas Campbell, qui visait à dépasser les dénominations et sortir des credo. Leur nom provient d’un verset des Éphésiens (1:22-23) selon lequel l’Église étant le corps du Christ, elle ne peut être divisée. Si parmi les caractéristiques historiques des Churches of Christ on retrouve la place centrale de la Bible, le chant a capella, et une gouvernance masculine, ces éléments ne caractérisent plus, aujourd'hui, l’Université californienne.

Une identité chrétienne ouverte

Rare établissement d’identité religieuse à figurer dans les tops 50 des meilleures universités américaines, l'Université Pepperdine cherche à conjuguer excellence académique et vie spirituelle nourrie pour ses étudiants, valeurs chrétiennes et savoir-faire universitaires. Comment? Cet équilibre passe d’abord par une vision. De son slogan, «a life of purpose, service and leadership», Marc P. Goodman, vice-recteur de l'Université et chargé de la supervision du campus du Château d’Hauteville souligne le mot «service». «Le but n’est pas de se servir soi-même, dans une époque où beaucoup de monde le fait, mais de se mettre au service de la communauté, de la société». Par ailleurs, Marc P. Goodman insiste sur le rôle «transformatif» et d’«impact» que peuvent avoir des études à l’étranger et une vie spirituelle dans le parcours d’un leader. «Georges Pepperdine soulignait le danger d’éduquer uniquement la tête, sans le cœur. Nous voulons faire les deux, apporter une perspective chrétienne», résume-t-il. Et de citer une anecdote: «lorsque j’enseigne le droit, je transmets bien sûr la théorie, comme partout ailleurs. Mais de temps à autre, j’apporte un questionnement: au-delà du droit, dans ce cas, qu’est-ce qui est juste? Peut-on faire davantage, aller plus loin?»

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De gauche à droite: Marc Goodman, Gary Hanson, Nicolas Delachaux et Ezra Plank_low
DR

Autre lecture de ce qu’est une identité chrétienne aujourd’hui: la place laissée par Pepperdine à la diversité, à la compréhension des autres cultures dans un parcours académique. «Je travaille avec mes étudiants sur nos représentations de nous-mêmes, les codes culturels. L’objectif c’est qu’ils sachent interagir avec n’importe quel groupe de personnes dans une région du monde, en évitant les stéréotypes, dans un échange interculturel», explique Ezra Plank, directeur exécutif et enseignant au Château d’Hauteville, qui organise notamment des voyages semestriels au Maroc ou au Kenya pour ses élèves. Une démarche tout sauf anodine, dans une Amérique à la fois en plein questionnement sur son rôle dans le monde, en prises avec des replis communautaires majeurs, des identités clivées, rendant les débats politiques internes parfois impossibles, en tout cas extrêmes.

Enfin, cette vision s’incarne dans des pratiques. Des temps de rencontres réguliers, d’abord. Sur chaque campus, les étudiants sont tenus de participer à rassemblements hebdomadaires. Sans être qualifiés de "cultes", ces moments permettent le partage d'une vision du christianisme: «qu’est-ce que le royaume de Dieu aujourd’hui? Nous traitons de notre environnement politique et social au sens large, nous ne réduisons pas l’existence humaine à une succession de pêchés, mais nous réfléchissons à quelle société nous voulons», assure Ezra Plank.

Garde-fous

Évidemment, face à cette approche, la question du prosélytisme peut être posée. «Nous ne sommes pas une École biblique!», se défend Gary Hanson, vice-président exécutif, de l’université. Qui souligne que si 70 à 80 % des étudiants parmi les programmes de masters sont chrétiens (issus de toutes les traditions), les autres sont hindous, juifs, ou bouddhistes. «On recherche des personnes ayant une foi, mais on ne l’exige pas». Et qui rappelle combien «les autorités locales de régulation», dans le canton, lui ont soumis de questions, avant l’implantation de ce campus. «Une autre de nos convictions c’est “truth has nothing to fear from investigation”: la vérité ne craint pas les enquêtes approfondies. Souvent les chercheurs chrétiens sont sur la défensive, veulent défendre leur position à tout prix. Ici, nous recrutons des enseignants qui outre un excellent parcours académique se distinguent d'abord pour leurs qualités humaines envers les étudiants», complète Ezra Plank. Incarner leurs valeurs plutôt que de s’arrimer à des convictions religieuses théoriques.

Quels liens avec la Suisse romande?

Déjà présente à Lausanne depuis 2007, l’université souhaitait renforcer son ancrage francophone, développer un campus capable de rivaliser en termes de prestige avec ses antennes de Londres, Heidelberg ou de Buenos Aires. À Hauteville, outre un accent sur la culture et l’histoire de la région et de la Suisse pour les étudiants, une place sera réservée au droit public, et au règlement extra-judiciaire des litiges, savoir-faire très ancré aux États-Unis, moins en Europe. L’université compte une solide expertise dans le domaine, son institut de résolution des litiges étant régulièrement classé parmi les deux meilleurs aux États-Unis. Des conférences et séminaires sur le sujet seront notamment accueillis sur place — y compris sur la gouvernance du sport, le leadership féminin, ou les liens entre foi et société. Dès septembre, le château d’Hauteville accueillera ainsi une rencontre sur la sécurité européenne. 

Mais un accent sera aussi placé sur l’intégration avec le de la société. Sur le campus d’Hauteville, des liens seront tissés entre les étudiants et les communautés locales, par des activités diverses telles qu'elles se pratiquent sur d'autres campus internationaux de Pepperdine: participation à des ramassages de déchets, cours d’anglais, accueil du public... Premier rendez-vous donné: dimanche prochain, 9 juillet (16h, gratuit, tout public) pour un concert à l’Église de La Chiésaz, avec le Pepperdine Chamber Choir, chœur de l’Université, qui, comme dans la tradition des Church of Christ, chantera a cappella!

À noter

À paraître, fin novembre, aux éditions Slatkine, Le Domaine d’Hauteville. Du château au campus universitaire (coll.) un livre sur la rénovation du Domaine d’Hauteville. Infos: patrimoinesuisse-vd.ch