Prier, Dieu ou les saints?
Le culte des saints apparaît dans le sillage du culte des martyrs du christianisme des premiers temps. Il connaît ensuite un développement important au cours du Moyen Age. La figure du saint a des vertus pédagogiques et sert de modèle aux fidèles. Mais les saints, dont l’élection divine est souvent marquée par des miracles, sont aussi perçus comme des intercesseurs entre Dieu et les croyants.
L’Eglise catholique pratique donc le culte de dulie qui est réservé aux saints, le culte d’hyperdulie consacré à Marie et le culte de latrie qui s’adresse directement à Dieu. Ce sont les deux premiers que les Réformateurs vont remettre en question dès le XVIe siècle. Pour les protestants, cultes et prières doivent uniquement être consacrés à Dieu. Le reste relève de l’idolâtrie.
Je suis pasteur en retraite active dans la paroisse de La Tour-de-Peilz. Détenteur d'un doctorat en théologie systématique, j'ai enseigné sporadiquement en France et en Suisse. Je suis l'auteur de plusieurs ouvrages de théologie dont un intitulé « Ne nous soumets pas à la tentation » (Cabedita 2016). J'y défends la traduction oecuménique
Je prie Dieu et ne prie pas les saints. Pourquoi? Parce que je ne crois pas qu'un homme quel qu'il soit – excepté le Christ – puisse se prévaloir de quelque mérite que ce soit pour faire pression sur Dieu. Que sont, en effet, les saints au sens de la confession catholique? Ce sont des «habitants du ciel» qui «ne cessent d'intercéder pour nous auprès du Père offrant les mérites qu'ils ont acquis sur terre par l'Unique médiateur de Dieu et des hommes, le Christ Jésus» (Catéchisme de l'Eglise catholique, § 956). Ces mérites sont censés leur permettre de mieux obtenir de Dieu que nous n'en sommes capables ce que nous aimerions recevoir de Lui.
Or, d'abord, si les humains ne reçoivent la valeur qui est la leur que parce que Dieu la leur accorde gratuitement (justification par la grâce seule), personne n'a de mérite à faire valoir auprès de Dieu. Et aucun pécheur ne fait exception à cette règle. Un saint est un pécheur qui se sait gratuitement pardonné.
Ensuite, si tout dépend de la grâce de Dieu, cela implique aussi qu'il nous faille radicalement revoir notre conception de la prière. Elle ne peut plus être conçue – comme lorsque on demande aux saints d'intercéder pour nous – comme un moyen de pression plus ou moins efficace sur Dieu. La prière ne peut être qu'une humble demande à laquelle Dieu est en droit de répondre comme bon Lui semble. S'il n'avait pas cette liberté et devait tenir compte de nos mérites ou de ceux des saints pour répondre ou ne pas répondre à notre demande, il ne serait plus Dieu, car il ne serait plus libre. A l'exemple de la prière de Jésus, notre prière ne peut dès lors jamais qu'humblement se conclure par un «non pas ce que je veux, mais ce que Tu veux» (Mc 14,36b).
Je suis religieuse et membre de la Congrégation des Soeurs de Saint Maurice. Théologienne bibliste, j’assure avec une consoeur le programme de rencontres et formations proposé par la Maison d’Accueil de la Pelouse, à Bex.
On peut entendre "la prière des saints" de diverses manières: nous prions les saints, les saints prient pour nous, nous prions les saints de prier pour nous…C’est là le credo de l’Église depuis les premiers siècles.
Au XVIe, le Concile de Trente s’employa à formuler une doctrine recadrant l’inflation du culte des saints à juste titre critiquée par les Réformateurs. Plus récemment, fort de sa préoccupation œcuménique, le concile Vatican II envisagea-t-il aussi, dans la Constitution sur l’Église Lumen Gentium (1964), le recours à l’intercession des saints, comme «un témoignage authentique d’amour quenous présentons aux habitants du ciel qui tend, comme vers son terme, au Christ couronne de tous les saints et glorifié en eux» (n. 50).
Si aucune créature ne peut être mise sur le même niveau que le Verbe incarné et sauveur, «l’unique médiation du Rédempteur n’exclut pas, mais suscite au contraire une coopération variée de la part des créatures, en dépendance de l’unique source» (n. 62). Ceci est dit au moment où le document situe la place de Marie, mère de Dieu, dans l’économie du salut.
C’est donc avec joie et tranquillité d’âme que, marqués par le besoin d’expérimenter l’amitié et la présence solidaire les uns des autres, nous vivons la prière aux saints comme une véritable intercession. "Inter-céder", c’est "aller entre", s’inter-poser, intervenir en faveur de quelqu’un. Nous nous recommandons nous-mêmes aux saints, nous leur confions une personne, ou quelques soucis particuliers, pour que, dans cette intrication de l’humain, du matériel et du spirituel, le salut global de nos personnes et le bien du Royaume nous soient accordés.
Paul l’exprime avec justesse: «L’Esprit vient au secours de notre faiblesse; car nous ne savons que demander pour prier comme il faut; l’Esprit lui-même intercède pour nous en des gémissements ineffables, et Celui qui sonde les cœurs sait quel est le désir de l’Esprit et que son intercession pour les saints correspond aux vues de Dieu» (Rm8, 26-27).
La prière des saints est très humaine et divine à la fois. Elle trouve sa source dans le Corps du Christ qu’ensemble nous formons. Humainement enracinée dans le quotidien de nos jours («Tu rentres à l’hôpital? Je vais penser à toi», «Je suis très malade. Pense à moi», etc.) la prière aux/des saints nous dépose, avec nos manques et limites, entre les mains du Christ Sauveur, par l’intermédiaire de tel homme ou telle femme dont l’itinéraire terrestre et les manières de vivre le monde présent ont trouvé quelque écho en notre propre vie, humaine et spirituelle, humaine parce que spirituelle.
Dispute sur la présence de la Vierge à la cathédrale de Lausanne
Tout a commencé avec une réflexion, dans la presse, peu avant Noël 2016. L’ancien député vaudois Jacques-André Haury proposait dans une chronique publiée par 24heures de combler le vide du socle du portail d’entrée de la cathédrale de Lausanne par une statue de la Vierge. Il s’agissait de redonner à la Madone la place qu’elle occupait avant. Elle avait été détrônée au cours du XIXe siècle, lors d’une rénovation importante, et les autorités protestantes d’alors s’étaient bien gardées de la remettre en place. L’argument de Jacques-André Haury: rappeler que le lieu a été consacré, au Moyen Age, à Notre-Dame de Lausanne. «Une statue qui affirmerait que la personne de Marie, la femme qui a dit oui au projet de Dieu, compte pour tous les chrétiens, protestants y compris. Elle marquerait un geste œcuménique rapprochant les chrétiens de toutes confessions, sans dissimuler l’intervention de la Réforme.»
Un débat s’est ensuite déroulé entre théologiens et par presse interposée. Résultat, une «dispute» a été organisée au sein même du lieu de la polémique, réunissant l’instigateur du débat, mais aussi des intervenants des Eglises réformée et catholique vaudoises. Le duel a fleurets mouchetés en a fait sourire certains et en a agacé d’autres. Beaucoup se sont accordés sur sa superficialité. Pour autant, n’est-il pas le révélateur de l’état actuel de l’œcuménisme en terre vaudoise?