29 janvier 2018

«Cette photographie montre la dignité de la relation homosexuelle»

La photographie illustrant le dossier sur l’accueil des LGBTI par les Eglises que nous venons de faire paraître suscite de nombreux retours. Il s’agit d’un choix rédactionnel peut-être osé mais pleinement assumé par l'ensemble de la rédaction. Explications du théologien et corédacteur en chef de Réformés, Gilles Bourquin.
L'objet de la discorde

Crucifix Elisabeth Ohlson Wallin

Elisabeth Ohslon Wallin: Crucifix (2003)

 

"Le travail militant de la photographe Elisabeth Ohlson Wallin (1961) a pour dessein d’ouvrir le débat sur la place de la communauté homosexuelle dans l’Eglise, ainsi que dans la société, mêlant à la fois discours social, politique et théologique. L’association de l’homosexualité à la figure de Jesus est un sujet sensible et constitue une problématique âprement débattue par les théologiens. L’Eglise catholique rejette l’homosexualité. La légitimité du mariage gay est une question politico-sociale qui suscite des débats émotionnels depuis quelques années en Occident. La série de photographies d’Elisabeth Ohlson Wallin témoigne, à travers la transposition des épisodes de la vie de Jésus dans le milieu homosexuel, de l’usage militant de la figure christique comme porte-parole des minorités. 

Née en Suède, Elisabeth Ohslon Wallin travaille jusqu’en 1980 comme photographe de presse dans plusieurs journaux, avant de devenir indépendante en 1988 lorsqu’elle emménage à Stockholm, où elle se consacre alors au portrait et à divers projets personnels autour des personnes exclues ou marginalisées. Elevée avec son grand frère dans une famille chrétienne, Ohlson est très engagée, comme le montre son Crucifix (2003), qui atteste de sa protestation contre toute forme d’exclusion. Dans cette photographie, un homme noir est couché, nu, les bras en croix, sur un lit aux draps et oreillers blancs. Un autre homme nu, à la peau claire, l’enlace, cachant le sexe de son amant en l’étreignant avec sa jambe. Le premier modèle rappelle par ses gestes le crucifié, sans croix, auquel son compagnon s’accroche. Le crucifix d’Ohslon, véritablement queer, menace l’hétéronormativité et célèbre par la même occasion les différences ethniques."

 

Nathalie Dietschy, Le Christ au miroir de la photographie contemporaine, Editions Alphil, 2016, p. 264

Suite à la publication dans le journal Réformés de février 2018, en pages 10-11 et sur notre site internet, de la photographie d’Elisabeth Ohlson Wallin, nous recevons un abondant courrier de lecteurs se disant choqués, scandalisés, indignés ou écœurés par cette image, que certains estiment offensante, blasphématoire, sacrilège ou scandaleuse.

On y voit deux hommes nus s’embrassant, l’un blanc et l’autre noir, ce dernier écartant les bras en forme de croix. Nous comprenons ces réactions, et sommes bien conscients de nous situer sur un terrain conflictuel et émotionnel au travers de cette image et du dossier qui s’ensuit, dont le titre est «Orientations sexuelles, accueillir la différence»

Pourquoi sommes-nous choqués?

Cette image a pour but de nous interroger: Pourquoi sommes-nous choqués en regardant deux hommes allongés l’un contre l’autre, exprimant ainsi leur amour? Le fait d’être choqué signale qu’une partie très intime de notre identité est atteinte par cette image. Il ne s’agit pas seulement d’un désaccord moral ou théologique, mais d’un sentiment intérieur, d’un malaise ou d’une blessure plus profonde. N’est-ce donc pas dans notre cœur qu’il nous faut rechercher la source de ce rejet intense, viscéral, et non uniquement dans des arguments réfléchis contre l’homosexualité?

Une œuvre d’art épurée

Cette photographie montre la dignité de la relation homosexuelle. Il y a de la noblesse dans ces deux corps qui se touchent avec tendresse. Ces hommes ont rejeté tout racisme. Un blanc embrasse un noir. Ainsi perçu, ce couple est honorable. Le décor se limite à un drap blanc, en signe de pureté. Que le corps humain nu, masculin ou féminin, puisse avoir une beauté esthétique, c’est là un enseignement fondamental de l’art à toutes les époques et dans toutes les cultures de l’humanité. Le corps est création divine.

Un nouveau visage de l’homosexualité

Cette image montre qu’en l’espace d’une ou deux générations, la perception des homosexuels dans notre société s’est transformée. Dans les années 1970 et 1980, l’homosexualité était souvent associée à une attitude efféminée (cf. le film «La cage aux folles» de Edouard Molinaro, sorti en 1978). Rien de cela ne subsiste sur cette image, qui montre deux hommes qui restent masculins. Ce sont des personnes ordinaires. Ils ne se cachent pas ni ne travestissent leur identité.

Autre évolution, l’homosexualité n’éveille plus le soupçon d’un nombre élevé de partenaires sexuels. A l’époque, l’apparition du SIDA avait conduit certains chrétiens évangéliques à supposer que cette maladie était le signe d’un jugement de Dieu. Aujourd’hui, les homosexuels demandent le «mariage pour tous». Plusieurs considèrent leur union dans la perspective d’un couple fidèle et non de l’amour libre. Il n’y a pas de raison que les homosexuels forment des couples moins stables que les hétérosexuels. Cette image évoque un couple fondé sur l’amour et non seulement sur la relation sexuelle.

La confusion avec la pornographie

Qu’est-ce qui différencie la pornographie du nu artistique de cette image? Plusieurs courriers reçus montrent que certains lecteurs peinent à comprendre la différence, qui est pourtant très claire: leur objectif n’est pas le même. En exposant un couple homosexuel nu, cette image a pour objectif de susciter notre réflexion. Elle cherche à faire évoluer nos idées préconçues. La pornographie a un objectif tout autre: susciter l’excitation sexuelle jusqu’à la jouissance. Elle n’a rien à voir avec cette image.

Ne pas inciter à l’homosexualité

Certains lecteurs nous reprochent d’«inciter les jeunes à devenir homosexuels» au travers de cette image. Nous n’avons aucune volonté d’inciter qui que ce soit à devenir autre qu’il n’est. D’ailleurs, je ne vois pas quel intérêt nous pourrions avoir à ce qu’il y ait plus d’homosexuels?

Il s’agit par contre d’instaurer le respect des personnes LGBTI, en découvrant que ce sont des personnes ordinaires, plus ou moins stables psychologiquement comme le sont aussi les hétérosexuels. Il est vrai que cette image n’est pas destinée spécifiquement aux enfants, mais il n’y a aucune raison de penser qu’elle stimule en eux l’homosexualité. Elle semble provoquer autant le rejet que l’accueil.

Les bras en croix, un blasphème?

Un malentendu a pu s’établir chez quelques lecteurs à propos de la signification des bras en croix du partenaire de couleur. Certains ont peut-être imaginé que cette image insinue que le Christ était lui-même homosexuel? A mon sens, une telle interprétation va trop loin. L’évocation de la crucifixion dans cette image renvoie aux persécutions dont sont victimes les LGBTI dans plusieurs pays du monde.

Je pense en particulier à la Russie, à plusieurs pays d’Afrique et au Moyen Orient, mais cette liste est loin d’être exhaustive. En Chine, on tente de les «guérir» au moyen d’électrochocs. Aussi scandaleux que cela soit, dans certains de ces pays, leur persécution est déclenchée par le discours intolérant des Eglises conservatrices ou fondamentalistes.

Leurs conditions de vie deviennent alors abominables. Certains périssent torturés, crucifiés ou lapidés, malgré leur foi. Ils sont alors des martyrs chrétiens au plein sens du terme. A l’opposé d’un blasphème, les bras en croix sur cette photographie sont un témoignage de foi de la part de ce couple homosexuel.

La Bible condamne l’homosexualité

Bien entendu, plusieurs lecteurs sont scandalisés par cette image en raison des condamnations de l’homosexualité que l’on trouve dans la Bible. Par exemple, Lévitique 20,13 dit : «Quand un homme couche avec un homme […], ils seront mis à mort, leur sang retombe sur eux.» Ces versets de condamnation ont en commun d’être particulièrement violents. Je fais remarquer qu’aucun pasteur, aucune paroisse ni aucune communauté évangélique ne les applique à la lettre en Suisse romande actuellement. Les chrétiens devraient-ils tuer les homosexuels par la lapidation ou par le feu, parce que la Bible le commande? Tous, nous désobéissons à la Loi en vertu de l’Evangile. 

Ces versets de condamnation de l’Ancien et du Nouveau Testament font partie de ces passages de la Bible qui ne reflètent pas l’esprit de l’Evangile, mais celui de la Loi. Or, tant la prédication de Jésus que celle de Paul nous enseignent que personne ne peut être sauvé par la Loi, qui condamne les pécheurs que nous sommes tous.

Ces versets ne sont donc applicables à aucun croyant, ni homo ni hétérosexuel, parce que le Christ Jésus les a surmontés par l’Esprit de la grâce et de la foi. C’est dans cet esprit que nous devons marcher, dans l’amour et la paix, en n’ayant pas trop de prétention jusqu’à juger notre prochain LGBTI, qui est fait du même «bois» que nous.

Epilogue : le chemin vers la liberté

La défense des droits des LGBTI et l’apprentissage de leur respect font partie du chemin de l’humanité vers la liberté. Sur toute la planète, les individus sont appelés à construire leur identité sexuelle librement face aux préjugés et aux mépris sociaux. La stabilité de la famille, cadre de la vie affective dans toutes les cultures, n’est pas incompatible avec les orientations sexuelles minoritaires. Dans ce combat pour la liberté, nous sommes appelés à persévérer quelles que soient les résistances. En effet, selon le christianisme, la liberté est le plus haut degré de l’évolution de l’homme en Dieu : «Là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté» (L’apôtre Paul, 2 Cor 3,17).