«La spiritualité nous aide à être en bonne santé»
Comment mesurer le bien-être d’une personne?
Les études, principalement anglo-saxonnes, ne mesurent pas le bonheur mais l’état de souffrance dans lequel se trouve un patient. Historiquement, on a commencé par mesurer les effets bénéfiques de pratiques plus simples, comme la relaxation, puis la méditation. Matthieu Ricard est docteur en génétique cellulaire et moine bouddhiste tibétain. Il a montré, grâce à l’imagerie cérébrale, que les gens entrainés à la méditation – activité qui nous relie à nous-mêmes et à l’univers – présentent une réduction de l’anxiété et du stress. Le développement de l’activité des lobes frontaux, qui joue sur l’imagination et l’intuition, et des lobes temporaux, liés à l’apaisement des émotions, est évident.
Les effets positifs ont-ils aussi été prouvés concernant le spiritualité?
Il faut commencer par bien distinguer la spiritualité de la religion. La spiritualité est, pour le médecin, un besoin universel de lien et de sens de tous les humains. La religion est une réponse culturelle et institutionnelle à ce besoin naturel, avec de grands Médiateurs. Le recours à la spiritualité a fait ses preuves dans mon domaine, avec des patients souffrant d’addictions. Ces personnes ont souvent, été victimes de traumatismes précoces dans leurs relations d’attachement. Les mouvements Alcooliques anonymes et Narcotiques anonymes, en faisant appel à la Prière de la sérénité, mobilisent les circuits de la relation et de l’attachement. Quand les membres du groupe se donnent la main pour faire cette prière, l’imagerie cérébrale montre qu’ils éprouvent du bonheur et du plaisir; cela diminue leur souffrance et affaiblit leur volonté de consommer de l’alcool et des drogues.
Existe-t-il d’autres moyens de mesurer les effet positifs d’une activité méditative ou spirituelle?
Un patient qui cesse de consommer des substances addictives constitue une preuve mesurable. Il est aussi possible d’utiliser des échelles de dépression.
La prière et la spiritualité seraient-elles des ingrédients privilégiés du bonheur?
La prière introduit un tiers entre l’autre et soi-même et offre un recul nécessaire, une souplesse cognitive et émotionnelle. Une étude a montré les effets différents qui existent, selon que l’on s’adresse, dans la prière, au père Noël ou à Jésus. Bonne nouvelle! Cela ne donne pas les mêmes résultats, principalement parce que, lorsque l’on s’adresse au père Noël, on sait que c’est un artefact. La spiritualité au sens large offre du sens. Les personnes en détresse spirituelle ressentent la souffrance de façon beaucoup plus aiguë, tant sur le plan physique que sur le plan psychique. Un vieux curé valaisan me disait : « Professeur ! je connais beaucoup de gens qui sont malades mais ils sont dans la ’bien-allance’ ». La ’bien-allance’ découle de notre capacité à accepter ce qu’on ne peut pas éviter. En médecine, l’ordre somatique et la psychiatrie sont très importants. Mais aider les patients à donner du sens à ce qui leur arrive, à considérer leur vie dans la sagesse, est tout aussi important. Cela est particulièrement manifeste en gériatrie.
Qu’apporte le christianisme de particulier dans la recherche du bonheur?
Le cerveau humain est un organe complexe dont les derniers étages sont orientés vers l’amour de l’autre. Le christianisme, en tant qu’il est une recherche de la vérité, dans la charité, offre donc une voie vers le bonheur. Mais il n’est pas la seule voie: dans tous les grands systèmes religieux, le noyau spirituel est un noyau fait de sagesse et de compassion. Ce que je cultive dans ma foi protestante, ce sont les racines communes à toutes les spiritualités humaines, qui sont faites de vérité et de charité, de sagesse et de compassion. Si l’homme cultivait plus la vérité et la charité, il serait donc plus heureux, qu’importe sa religion? Oui. Le sociologue de la médecine Aaron Antonovski a affirmé que ceux qui, des camps de concentration, s’en sortaient le mieux, étaient les personnes qui étaient habitées par trois dimensions: une confiance dans leur capacité à comprendre le monde, à gérer leur vie et à donner du sens à ce qui leur arrive. Il en a fait une théorie qui s’appelle la “ salutogenèse”. En tant que médecin, nous ne devons pas uniquement nous intéresser aux causes des maladies – “pathogenèse” – pour diminuer les souffrances. Nous devons chercher, dans la vie de nos patients, ce qui pourrait être des attracteurs de santé. Et la spiritualité est un puissant attracteur de santé.
Est-ce que les pasteurs, parce qu’ils ont une spiritualité très développée sont, en conséquence, plus heureux?
La seule chose que l’on sait, c’est qu’ils ont statistiquement une espérance de vie supérieure à la moyenne. Les mauvaises langues diront que c’est parce qu’ils ne travaillent que le dimanche ! Mais je pense que c’est parce qu’ils font un métier où ils se donnent. Une civilisation réussie et heureuse est une civilisation de l’être et du don, et non pas de l’avoir et du prendre. S’appuyer sur la spiritualité pour améliorer la santé d’un patient est inédit. L’approche spirituelle est une approche récente qui est tolérée dans la mesure où des études ont montré son bien-fondé. Pour ma part, je suis en train de créer, pour 2018, un Certificat of Advanced Studies portant sur les rapports entre santé et spiritualité. Par ailleurs, le doyen de la Faculté de médecine de l’Université de Lausanne vient d’ouvrir une plateforme officielle : MS3, Médecine, Santé Société Spiritualité. Le but est d’amener la médecine à s’intéresser à ces questions. C’est tout à fait révolutionnaire.