Quand la sorcellerie flirte avec le judaïsme
«La sorcellerie que je pratique s'inspire de ma formation aux rituels juifs. Je ne considère pas qu'elle s'y oppose. Elle s'appuie sur elle», explique Alicia Jo Rabins, cinéaste américaine de tradition juive. Pour elle, pratique magique et religieuse se rejoignent bien que la Torah interdise la sorcellerie. Née dans une famille peu pratiquante, elle a découvert «les textes et les traditions, les règles et les lois religieuses et les façons de vivre» à l’âge adulte. Plus elle étudie et pratique le judaïsme, raconte-t-elle, plus elle ressent l’attrait de la sorcellerie ou de la magie populaire juive – des pratiques qu’elle a entrevues en marge des Écritures, ainsi que dans les cultures juives.
«Ma relation avec le judaïsme relève d’une formation classique, alors qu'avec la sorcellerie, j'ai plutôt l'impression de suivre une intuition», formule-t-elle.
Discréditer et exclure par la magie
Pour la rabbine Jill Hammer, cofondatrice de l’Institut de la prêtresse hébraïque de Kohenet, qui cherche à penser le judaïsme féministe, la différence entre le rituel juif et le rite magique est essentiellement politique: «Si vous agissez dans l’institution, votre action est qualifiée de rituel, prière ou cérémonie. Si vous faites quelque chose en dehors de l’institution, on vous rangera du côté de la magie ou de la sorcellerie.»
Accuser de pratiquer la magie avait donc pour but, explique-t-elle, d’exclure certaines personnes et idées spirituelles en désaccord avec l’autorité du discours religieux.
De la magie et des femmes
«La sorcellerie est souvent associée à des personnes marginalisées, en particulier les femmes, explique-t-elle. Il y a des rituels qui sont appelés sorcellerie simplement parce que ce sont des rites faits par et pour les femmes», poursuit Jill Hammer.
La Torah et le Talmud contiennent de nombreux récits de rites magiques qui n’étaient pas toujours punis, insiste-t-elle. Et de citer le portrait positif de la sorcière d'Endor dans le Livre de Samuel comme exemple que les règles interdisant les pratiques magiques n'étaient pas toujours respectées.
Vertus et diversité dans la magie
Les pratiques populaires juives incluaient souvent la magie pour obtenir la guérison ou la protection. Les archéologues ont effet découvert d'anciens bols à incantation utilisés autrefois pour capturer les démons et chasser les maladies. Il était cependant rare que ces cérémonies soient qualifiées de sorcellerie.
L’Institut Kohenet œuvre pour récupérer ces traditions. L’établissement a attiré des personnes issues de milieux spirituels très différents, des érudits rabbiniques aux wiccans d'origine juive. La façon dont ces clients s’engagent dans ces pratiques rituelles varie grandement, en fonction de leurs antécédents et de leur niveau de vie.
Magie et religion inconciliables?
De son côté l'astrologue Aliza Einhorn ne mixerait pas judaïsme et magie. Née dans une famille juive, elle poursuit une pratique orthodoxe, ce qui ne l’a pas empêchée d’étudier l'astrologie et d'autres formes d'ésotérisme: «J'avais faim de connaissances spirituelles. Je voulais apprendre.»
Se revendiquant sorcière juive, elle ne cherche pas à définir ce que cela signifie. «Des mots comme “sorcière” ont une acception large et signifient différentes choses pour différentes personnes.» Ainsi elle n'a jamais utilisé le titre de sorcière juive jusqu'à récemment, lorsqu'elle est tombée dessus. «Il englobait tellement ma pratique». Cependant, elle maintient toujours une séparation claire entre le rituel juif et la magie : «Je n'essaie pas du tout de réconcilier les deux.»
Juive et sorcière, les «Jewitches»
A l’inverse, Laura Tempest Zakroff, artiste et auteure d’un livre sur la magie considère comme inséparable sorcellerie et héritage juif. Elle se qualifie de «Jewitch», un jeu de mots en anglais qui combine jewish (juif) et witch (sorcière). «Il s'agit d'une personne qui reconnaît son héritage culturel juif et la façon dont il alimente sa sorcellerie», explique-t-elle.
Laura Zarkoff a été élevée principalement dans la foi de sa mère catholique, mais elle s’est fortement liée à l’héritage juif de son père par l’histoire, la lecture, la musique et la danse.
Sa façon d’exercer la magie reste personnelle. «Je sais que beaucoup de gens pensent à la Kabbale pour pratiquer la magie. Pour moi, la sorcellerie juive réside dans les rituels quotidiens - la bénédiction d'une boisson, préparer de la nourriture pour un rituel. Cela montre que nous ne sommes pas seuls dans ce monde.»