Services publics accessibles? Des idées reçues
Notre culture numérique est construite sur un mythe largement partagé: dématérialiser un service va nous simplifier la vie. Force est de constater que ce n’est pas toujours le cas: qui n’a jamais passé des heures sur un site web à la recherche du contact téléphonique d’un service client? Pour les personnes précarisées, la situation est encore plus complexe. Les services publics toujours plus numérisés facilitent peut-être la vie d’une majorité d’administré·es. Mais ils en excluent aussi une petite fraction, comme le révélait une enquête de l’Œuvre suisse d’entraide ouvrière (OSEO) Genève en 2020.
Non, tout le monde n’a pas un smartphone ou un ordinateur à la maison; 13% des adultes non francophones ayant participé à l’enquête n’étaient pas équipés d’un téléphone intelligent, révélait OSEO. 40% des adultes suivis n’avaient pas d’ordinateur… Chez les jeunes, ce chiffre était même de 55% ! Si la pandémie a permis de réduire ce déficit d’équipement, les services sociaux constatent que les jeunes entre 18 et 25 ans suivi•es aujourd’hui utilisent majoritairement leur smartphone et n’ont pour certains jamais appris à naviguer sur un site web ou se servir des logiciels de rédaction depuis un ordinateur.
Pour utiliser le site internet d’un service public, il faut comprendre son fonctionnement. «Il y a des inégalités dans les ressources cognitives: savoir que l’icône de la loupe implique la possibilité de faire une recherche. Ou comprendre comment naviguer d’un site à un autre. Comprendre qu’un menu déroulant peut être activé… Tout cela suppose un savoir-faire», explique Sabina Gani, directrice de la section vaudoise de l’association romande «Lire et écrire».
Les Centres sociaux protestants constatent ce déficit, notamment chez les plus jeunes. «C’est pour cela que nous avons maintenu toutes nos permanences socio-juridiques ouvertes pour eux durant la pandémie. Ils ont besoin de prendre contact par oral. Souvent, on fait les premières démarches en ligne avec eux, à leurs côtés, dans le but qu’ils acquièrent de l’autonomie. Ils nous appellent ensuite en cas de questions», explique Bastienne Joerchel, à la tête du CSP Vaud. Mais les plus âgé•es peuvent aussi être en partie perdus, tant les technologies numériques se transforment rapidement.
«Les jeunes sont très à l’aise sur TikTok, Snapchat, Tinder ou YouTube pour envoyer des photos ou des vidéos. Mais sur un site administratif, pour demander des prestations, absolument tout passe par l’écrit: il faut remplir des formulaires, lire des instructions, donc métaboliser très vite une grande série d’infos! Cet environnement formel parfois mal adapté aux publics est difficile pour les personnes qui ont de la peine avec l’écrit», observe Bastienne Joerchel. «Une étude allemande a mis en évidence que 74% de la communication administrative et industrielle est rédigée à un niveau accessible par seulement 7% de la population. En Suisse romande, un adulte sur six a des difficultés à lire et comprendre un texte simple, 20 à 25% des jeunes ont des compétences insuffisantes pour suivre une formation professionnelle! Derrière l’illectronisme, il y a aussi l’illettrisme », pointe Sabina Gani. Pendant la pandémie, certaines instructions de santé publique ont été élaborées en français facile à comprendre. Depuis, des interpellations politiques ont eu lieu dans plusieurs cantons afin de développer cette pratique. Lire et écrire intègre progressivement les technologies de l’information dans ses cours, avec une attention particulière portée à un autre problème: la cybersécurité.
Conseils pratiques
En cas de blocage avec un service public numérique:
– Ne laissez pas traîner la situation, elle pourrait empirer. Contactez un proche, une association, pour avoir de l’aide.
– Procurez-vous un ordinateur. Certaines associations en distribuent. Se familiariser au numérique demande trois à quatre ans, comme pour maîtriser une nouvelle langue.