L’art est fertile pendant les périodes d’innovation
C'est le pari de Nicolas Henchoz au retour du SIGGRAPH à Los Angeles, l’un des plus importants séminaires consacrés à l’infographie et aux techniques interactives. Le directeur de l’EPFL+ECAL Lab (lieu de formation et de recherche sur les interfaces entre technologie, design et architecture, issu d’une collaboration entre l’Ecole polytechnique fédérale et l’Ecole cantonale d’art de Lausanne) prévient toutefois: «Si l’on a beaucoup parlé des IA génératives ces derniers mois, en raison de leur caractère spectaculaire, je pense que leur impact sera plus limité sur le long terme.» Les logiciels capables de générer des images sur la base d’un texte descriptif, tels que Dall-E ou Midjourney, ont en effet époustouflé le grand public. «Mais quand il s’agit d’exprimer l’intention de produire quelque chose qui soit porteur de sens, je ne pense pas que la machine va remplacer l’artiste. La machine n’a pas conscience de susciter une émotion, cela lui échappe», poursuit-il. «La limite se situera entre la décoration et l’oeuvre d’art, laquelle raconte une histoire et peut toucher le public.»
«Il n’y a pas d’art sans référence. Or l’intelligence artificielle va jouer un rôle important plutôt pour sa capacité à synthétiser et agencer une somme d’informations considérable. L’IA est un outil qui permet de créer des visuels inédits, de générer des contenus en temps réels, à partir d’une très grande variété de références. Tout cela ouvre de nouvelles explorations, de nouvelles possibilités pour l’art cinétique, pour les installations interactives ou pour les performances », se réjouit Nicolas Henchoz. «Ces nouveaux outils permettront des choses différentes!»
Le défi de l’adoption
Mais le rôle de l’art, dans les périodes d'évolution, n’est pas seulement de produire des oeuvres qui nous font réfléchir sur notre temps. C’est aussi de contribuer à l’innovation, d’apporter la dimension humaniste, le sens et la forme, qui inscrivent la nouveauté dans notre contexte de vie. Une innovation ce n’est pas seulement une invention c’est aussi son adoption, il faut inclure la perception humaine. Si l’on prend l’exemple du Bauhaus, les architectes n’ont pas simplement mis de grandes fenêtres à leurs projets parce que cela devenait possible. C’est une toute nouvelle façon de concevoir l’habitat qui a été créée à cette époque», rappelle-t-il.
«Le succès d’une technologie dépend ainsi aussi de son application. Or nous vivons dans une époque où chacun, ingénieur comme artiste, s’est surspécialisé dans son domaine. Malgré ce que l’on dit, il y a de moins en moins d’interactions entre sciences, technologies et arts», s’inquiète-t-il. Les échecs successifs de nouvelles technologies telles que les NFT ou le métavers l’incitent à se poser la question: «L’art, qui ne s’adresse aujourd’hui qu’à une petite frange de la population, va-t-il être capable de retrouver son rôle constructif? C’est ce que nous essayons de faire avec l’EPFL+ECAL Lab.»