Culturelle, la crise d’ado?
C’est un genre populaire sur TikTok, Instagram, YouTube. Dans de courtes vidéos, des trentenaires parodient l’éducation donnée par leurs parents immigrés. Leurs sketches reproduisent peu ou prou le même schéma: des adultes bien intentionnés assaillent leur progéniture de normes culturelles étouffantes. Steven He campe un père chinois archisévère, imperméable au concept de loisirs. La maman allemande jouée par Laura Ramoso ne comprend pas que sa fille se mette au lit pour un rhume. Et le #hispanicmom est un genre en soi. Caricatures et thérapie personnelle se mêlent dans ces contenus viraux.
Mais, au final, que nous raconte cet humour pétri de clichés? Avant tout, que ses représentants partagent avec leur audience les codes de la culture dominante dans laquelle ils ont grandi, occidentale et blanche. Dans ce contexte, les normes de leurs parents seraient risibles, décalées. Et les jeunes issus d’une double culture devraient gérer des héritages culturels familiaux parfois en contradiction avec ceux de leur région d’adoption, doubles standards complexes à assimiler pour se construire.
«Je suis peut-être devenu adulte plus rapidement»
Qu’en est-il dans les faits ? Effectivement, reconnaissent certains témoins, l’éducation peut différer selon les cultures. «Je suis d’origine malgache. Notre identité est davantage collective: on se définit d’abord en fonction du groupe auquel on appartient. Le bien de la famille et la responsabilité collective priment sur le bien-être individuel, d’autant plus quand on est l’aîné, ce qui est mon cas», explique Nirine Jonah, enseignant à la HET-Pro, installé en Suisse depuis plus de 30 ans. Dans ce contexte, difficile de faire sa «crise d’ado». «Je suis peut-être devenu adulte plus rapidement! Mais je ne l’ai pas ressenti comme un sacrifice. C’était en accord avec mes valeurs», assure-t-il.
Reste que l’idée d’une crise d’ado typiquement occidentale, d’un côté, et de cultures plus communautaires, de l'autre, où les adolescents vivraient des rapports plus harmonieux avec leurs parents, demeure, elle aussi, un cliché, pointe Dina Bader, sociologue, cheffe de projet et chargée d’enseignement au Forum suisse pour l’étude des migrations et de la population de l’Université de Neuchâtel. D’abord, «au sein de la population suisse aussi, on ne peut pas généraliser un mode d’éducation, qui dépend de nombreux paramètres».
Ensuite, la migration peut effectivement influencer l’éducation, montrent des études: «Contrairement à des jeunes suisses qui entrent en confrontation ouverte, certaines jeunes filles issues de familles immigrées s’émancipent à travers leurs études, par exemple. En effet, les parents ayant un parcours de migration encouragent souvent leurs enfants dans les études dans un objectif de mobilité sociale.» Mais la chercheuse insiste: en ce qui concerne le style d’éducation ou le rapport aux parents, les recherches montrent que «le niveau de revenu ou la classe sociale ont un impact bien plus fort que l’origine géographique».
Quant à l’idée d’adolescent•es perdu•es entre deux cultures, ici aussi les études viennent démentir les idées reçues. Un exemple? «On projette souvent la question de la virginité comme étant structurante dans les familles immigrées. En réalité, cela n’est valorisé que dans certaines cultures. Et les jeunes qui grandissent avec cette injonction développent des stratégies de contournement, pour avoir une vie sexuelle avant le mariage.»
En réalité, explique Dina Bader, la réorientation des valeurs est constante entre les jeunes et leurs parents. Mais aussi entre les parents eux-mêmes, chargés d’élaborer des normes éducatives communes! De quoi nourrir bien d’autres sketches…