«Dans la crèche se joue la naissance de chaque être humain»
Dans le jargon médiatique, Noël est ce qu’on appelle un marronnier: de retour chaque année, il faut se creuser les méninges pour innover sur le sujet. Le défi est le même pour les Églises. Comment redire la naissance de Jésus et donner aujourd’hui du sens à un événement vieux de deux mille ans? C’est tout l’enjeu des ministres qui montent en chaire dans des églises qui affichent inhabituellement complet. À la veille de Noël, le pasteur Jean-Baptiste Lipp, président de la Conférence des Églises réformées romandes et membre de l’exécutif de l’Église réformée vaudoise, revient sur un message qui tient bon même si Noël est devenu pluriel. Interview.
Y a-t-il encore du sens à fêter Noël aujourd’hui?
Les fêtes qui entourent le solstice d’hiver ont toujours été une réponse à notre besoin humain de marquer ce passage. C’est notre côté celtique! C’est une période difficile, à de nombreux égards, un cap terrestre aussi qui a des conséquences sur notre psychisme. Nous avons donc besoin de lumière et de clarté. Il y a donc non seulement toujours du sens à fêter Noël, mais je dirais même que ce sens est aujourd’hui pluriel.
La fête chrétienne marque-t-elle aussi ce passage?
Au sein d’une civilisation chrétienne, en effet, la fête religieuse de Noël jouait cette fonction. Dans une société sécularisée, ce n’est plus le cas. Bien sûr, les églises font encore le plein pour les célébrations de Noël. Il y a encore un besoin de se rendre à l’église parallèlement à la fête familiale, de vivre ce que propose la foi chrétienne autour de ce passage. À la différence près qu’aujourd’hui, les Églises sont appelées à accueillir celles et ceux qui souhaitent y venir, sans prétendre pour autant avoir une place dans l’espace public. L’éviction des crèches en est un exemple très concret.
Dans une société sécularisée et multiculturelle, fêter Noël pose-t-il un problème?
Le problème aujourd’hui réside dans l’articulation du Noël chrétien avec certaines parties de la société. Si l’on ne peut plus chanter Noël dans les écoles ou même les EMS, en tant que chrétiens, nous ne devons pas jouer les vierges effarouchées ou être vindicatifs. Car ce n’est pas la faute de ces structures, mais bien un problème de société.
Vous avez vécu personnellement cette mise au ban de Noël?
Pour moi, il y a eu un avant et un après 2008. À cette époque, j’avais quitté le canton de Fribourg pour exercer mon ministère dans le canton de Vaud. J’y ai observé le divorce entre la société et l’Église autour de Noël. Invité par ma commune à l’occasion du Noël des écoles, je ne pouvais parler ni de la Nativité, de peur de «froisser les sensibilités», ni de Jésus, ni de la crèche. En fait, il s’agissait de parler de Noël sans en parler. Cela m’a fait réfléchir: peut-on se passer de Noël? Si le message chrétien qui entoure cette fête n’est pas souhaité à l’extérieur des Églises, alors célébrons-le d’autant plus allégrement dans nos paroisses! N’imposons pas, mais gardons notre porte ouverte.
Noël n’est-il pas cependant devenu le moment de l’année où les Églises peuvent encore adresser un message audible par tous?
Les Églises bénéficient en effet à cette période d’une tribune traditionnelle. Nous pouvons nous en réjouir. C’est une occasion d’adresser un message aux chrétiens du premier cercle et aux personnes plus distancées qui ne se rendent à l’église qu’à Noël. J’espère que les Églises en ont conscience, qu’elles mettent du soin dans la préparation de ce moment. Il faut oser saisir cette chance.
Les Églises ne craignent-elles pas de se répéter?
Les gens cherchent la répétition. Ce n’est pas grave. Noël doit pouvoir être cette fête où on se redit le message de la même manière, avec les chants et la liturgie. Et les Églises sont attendues sur ce registre-là.
Le message de Noël s’adresse-t-il donc à tous?
Le message de Noël reste universel, quelle que soit la surface sociétale. Néanmoins, dans notre société sécularisée et multiculturelle, il ne s’agit pas d’être dans une reconquête ou une séduction. Dans le récit de la Nativité, les bergers et les mages n’étaient pas le public cible et pourtant ils ont reçu la bonne nouvelle.
Justement, que fêtent les chrétiens le 25 décembre?
À Noël, les chrétiens fêtent l’incarnation. Celle de Jésus, mais la nôtre aussi: sur la paille, lors de la fuite d’Égypte, dans les malentendus de nos vies, que signifie naître au monde? Quelle est ma vocation? Les marginaux, à l’image des bergers qui n’étaient pas les invités prévus, reçoivent la nouvelle de la naissance de Jésus. Le marginal qui est en moi peut la recevoir également. Cette année d’ailleurs, ma prédication mettra en lien le passage de la naissance de Jésus avec celui de la dernière place (Luc 14, 7-11) dans l’Évangile de Luc. Car à Noël, la question de la place est centrale: Jésus est né dans une crèche et non à l’auberge. C’est l’angoisse existentielle de notre place au monde qui est aussi interrogée.
Pour autant y a-t-il encore quelque chose de neuf à en dire?
Oui. Le message de Noël change, parce que le contexte dans lequel il est dit change lui aussi. Noël est donc, de fait, toujours nouveau. Ainsi, l’identification aux personnages de Noël diffère, car les questions de société évoluent, elles poussent à relire l’actualité de Noël. Nous devons nous autoriser à des lectures allégoriques, à revisiter ces récits bibliques construits. C’est d’ailleurs un trait caractéristique des protestants réformés.
C’est-à-dire?
Prenez l’exemple de la «sainte famille». Aujourd’hui, elle réinterroge la parentalité, la fécondité et l’idée même de sainteté. En cela, nous pouvons nous identifier peut-être davantage à Jésus et à cette famille bancale. Les familles sont repensées et nous sommes invités à un accueil nouveau de celles qui pouvaient se sentir exclues. Il en va de même pour l’accueil de l’étranger, du marginal. Finalement, dans cette crèche se joue la naissance de chaque être humain, fils et fille de Dieu.
Que vous inspire ce vacarme consumériste, qui a pris le pas sur Noël?
On cherche à remplir le vide. Dans le vacarme, c’est la question du silence, mais aussi de l’absence qui se posent à Noël. Voilà pourquoi je n’aime pas la chanson «Jingle Bells», mais que je lui préfère «D’un arbre séculaire». Voilà pourquoi, c’est dehors, face aux étoiles que je me sens bien à Noël. Car les biscuits en forme d’étoiles et celles qui ornent le sapin ne remplacent pas les vraies.
Que peuvent faire les Églises face à cette réalité?
Elles ne doivent surtout pas accuser Noël de ne pas être Noël. Il faut rester humble, car Noël existait avant les Églises, et nous devons nous réjouir d’avoir un Noël parmi d’autres avec un message porteur.
Alors que nous vivons un deuxième Noël avec la pandémie, quel message les Églises peuvent-elles apporter?
Il s’agit d’inviter à revisiter nos convictions religieuses, en termes de rapport entre liberté individuelle et solidarité, d’articulation entre le mondial et le local, d’interaction entre l’humanité et la nature. Car c’est ce que la pandémie a mis en avant et interrogé. Les Églises réformées se réclament de cette réflexivité. Ce serait donc l’occasion pour elles d’offrir des espaces de débat, notamment dans les paroisses. Elles sont aussi porteuses d’une espérance qui doit nous pousser à aligner notre agir sur ce en quoi nous croyons. Cela implique une discipline, intellectuelle et spirituelle notamment, mais essentielle.