Requinqués par la pandémie, les mouvements sectaires fleurissent
«HELP! On n’est pas là pour te juger, mais pour t’aider.» Début mars, en France, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les sectes (Miviludes) a tiré la sonnette d’alarme. Plusieurs de ces messages, imprimés sur des tracts dissimulés dans des enveloppes jaunes, ont été retrouvés, suspendus des escaliers ou à des arbres aux abords de campus universitaires, dans différentes villes de France. «Ces flyers émanent de l’Église universelle du Royaume de Dieu, une église évangélique brésilienne qui prône la guérison spirituelle», indique Danièle Müller-Tulli, présidente de l'Association suisse pour la défense de la famille et de l'individu (ASDFI).
Si à ce jour aucun signalement concernant pareil démarchage sur les campus romands n’est parvenu à l’association, sa présidente estime cependant nécessaire d’«informer les étudiants de la distribution de tels tracts en France voisine». «Les jeunes sont particulièrement fragilisés par la situation engendrée par la pandémie: perte des petits boulots engendrant des difficultés financières, manque de lien social, incertitudes quant à l’avenir et au moment où ils pourront reprendre une vie normale», souligne cette spécialiste, qui est aussi présidente de la Fédération européenne des centres de recherche et d’information sur le sectarisme (FECRIS). «Ils sont aujourd’hui des proies idéales pour les sectes et les complotistes qui pullulent sur la toile via YouTube, Facebook et autres réseaux sociaux.»
Toile tentaculaire
De nombreux témoignages font en effet état de prises de contact direct sur les réseaux sociaux, via des messages personnalisés. «Depuis quelques années déjà, des missionnaires Mormons se consacrent essentiellement à la mission en ligne», note l’historien des religions Jean-François Mayer, directeur de l'Institut Religioscope. Le recours à ce moyen de diffusion s’est donc naturellement intensifié avec la pandémie, juge-t-il, tout comme l’envoi de courriers manuscrits du côté des Témoins de Jéhovah. «Pour ce groupe religieux, il s’agit d’un simple changement de méthode, chaque membre actif étant supposé consacrer un certain nombre d’heures par semaine à prêcher le message», rappelle-t-il. «Pendant le semi-confinement, ils se sont donc tournés vers l’écrit pour honorer leur devoir.»
Les sollicitations sur la Toile préoccupent cependant particulièrement les spécialistes d’aide aux victimes. «Il y a une recrudescence manifeste de tout ce qui est publicité et battage médiatique sur les réseaux sociaux et Internet», observe la psychiatre Franceline James, responsable de l’Association genevoise pour l’ethnopsychiatrie, qui s’inquiète que des jeunes en grande souffrance puissent «avaler n’importe quoi» en cette période de grande déstabilisation. «Avec la crise sanitaire, tout notre système de certitudes s’est effondré. Pendant des années on a cru qu’il n’y avait pas de problème sans solution, que la science et la technologie nous sauveraient. Aujourd’hui, beaucoup se font séduire par les promesses de miracle.»
Récupération opportuniste
S’il n’existe pas de statistiques en Suisse, en France la Milvudes a enregistré en 2020 des taux record, le cap des 3000 signalements ayant été dépassée (2800 en 2019). «En période d’incertitude et face au sentiment de perte de contrôle, les messages clairs deviennent d’autant plus attrayants», explique Susanne Schaaf, psychologue responsable d’Infosekta. Ce centre d’expertise basé en Suisse alémanique constate pour sa part «une forte hausse des demandes liées à la pandémie et théories complotistes». «Aujourd’hui la crise sanitaire est utilisée par différentes communautés dans leurs discours, tant du côté des groupes qui y voient le signe de la fin des temps que des fournisseurs ésotériques qui profitent de la crise pour souligner la valeur de leur offre», précise-t-elle. Et de citer pour exemple la publicité faite par le Coronavirus Online Congress 2020 jouant sur la fibre complotiste: «Dans ce congrès en ligne, vous apprendrez de vrais experts, médecins, praticiens alternatifs, chamans et bien d’autres les moyens pour sortir de la crise!»
«Les mouvements sectaires ont toujours utilisé les moments de fragilité de l’existence pour aller à la pêche», rappelle Franceline James. «C’est notamment connu pour les Témoins de Jéhova et les Mormons qui allaient frapper aux portes des personnes endeuillées qu’ils avaient repérés dans les avis mortuaires.» Dans le contexte actuel, il n’est donc pas étonnant que les mouvements en recherche de nouveaux adeptes s’engouffrent dans la brèche. «Tandis que les groupes complotistes offrent un discours valorisant ("vous êtes spéciaux") et donnent un sens au chaos, les sectes ont de leur côté largement profité de la Covid-19 pour recruter, à travers toutes sortes d’offres de guérison, remèdes miracles, régimes drastiques, techniques de méditation et de développement personnel», relate Danièle Müller-Tulli.
Médecines alternatives et promesses de bien-être
Car là est la grande nouveauté d’après tous les spécialistes: les dérives sectaires ne sont plus que religieuses, mais découlent en grande partie de pratiques alternatives, en lien avec les champs de la médecine alternative ou du développement personnel. Le rapport annuel de la Miviludes, rendu début mars, précise d’ailleurs qu’aujourd’hui, les inquiétudes se portent majoritairement (41%) sur des mouvements en lien avec le domaine de la santé et du bien-être, et que «ces signalements ne cessent d’augmenter», avec en tête de gondole le crudivorisme promu par Thierry Casasnovas.
En 2019, 20 à 25% des signalements rapportés portaient d’ailleurs sur des personnalités ou des organisations sur lesquelles la Miviludes n’avait encore jamais été interrogée. En Suisse, les questions les plus régulièrement posées à l’ASDFI portent en majorité sur les groupes guérisseurs ou New Age et le chamanisme. À noter encore que tous les interlocuteurs évoquent désormais le complotisme comme nouvelle dérive sectaire.
Côté chiffres
En France, la Milivudes a enregistré ces cinq dernières années une hausse de 30% du nombre des saisines, réparties à parts quasi égales entre des demandes d’avis et des signalements et témoignages. Sur les 2800 saisines enregistrées en 2019, 41% concernent le domaine de la santé et du bien-être, 24% concernent la jeunesse; 14% relèvent des affaires économiques, du travail, de l’emploi ou de la formation professionnelle. Sur l’ensemble des saisines, 25% seulement ont un lien avec des croyances religieuses.
18% des dossiers ont présenté des enjeux pour la sécurité immédiate des personnes impliquées, et 25% des saisines ont donné lieu à une transmission à des services compétents. En 2019, 20 à 25 % des demandes portent sur des personnalités ou des organisations sur lesquelles la Milivudes n’avait encore jamais été interrogée.