Une image faussée des patients âgés

En Suisse, la majorité des personnes de 90 ans vivent à domicile, la moitié d’entre elles sans aide des soins à domicile. / © iStock/ DGLimages
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En Suisse, la majorité des personnes de 90 ans vivent à domicile, la moitié d’entre elles sans aide des soins à domicile.
© iStock/ DGLimages

Une image faussée des patients âgés

CHRISTOPHE BÜLA
A 70 ans, il est normal de… Les préjugés sont également légion dans le domaine médical. Christophe Büla les traque et appelle à une meilleure prise en compte de l’état de santé général des patients lorsque des choix doivent être faits.

«Le problème de l’âgisme dans le domaine de la santé commencerait avec ce que le patient cache à son ou sa médecin…

C’est assez vrai. Si l’on prend comme exemple l’incontinence: certains patients considèrent qu’il est normal, à partir d’un certain âge d’avoir quelques pertes. Du coup, ils ne veulent pas embêter leur généraliste avec ça… Et l’on peut faire la même analyse avec plusieurs pathologies que l’on associe à l’âge. On va penser que, quand on commence à perdre ses amis, il est normal d’être déprimé, etc. Et rien ne sera entrepris pour prendre en charge ces problèmes s’ils ne sont pas signalés aux professionnels de santé.

Mais ce phénomène n’explique pas à lui seul le problème de l’âgisme dans les milieux de la santé. Les soignants ont aussi un biais de perception. Savez-vous quelle est la proportion des personnes de 90 ans qui vit en EMS? 30 %! En Suisse, il faut être une femme de 95 ans pour avoir plus d’une chance sur deux d’être en EMS. La majorité des personnes de 90 ans vivent donc à domicile, la moitié d’entre elles sans aide des soins à domicile. Ce n’est pourtant pas l’impression qu’ont les soignants à l’hôpital qui ont affaire à des patients nonagénaires qui ne sont pas forcément représentatifs de l’ensemble des personnes de cet âge. Et les professionnels sont comme le grand public: une partie de leurs préjugés se forme sur la base de leur expérience ! Une partie de mon travail consiste donc à encourager mes collègues et les étudiants à avoir une vision plus objective de la réalité. Sinon le risque est réel qu’ils sous-évaluent les capacités de leurs patients âgés, ce qui pourrait freiner des retours à domicile.

Mais que pouvez-vous faire contre ces problèmes de perception?

Une première chose consiste à faire prendre conscience de cela aux professionnels. J’interviens donc en formation initiale et en formation continue.

L’hôpital est encore trop souvent pensé pour les jeunes

L’autre chose serait de rendre l’hôpital mieux adapté aux personnes âgées, un projet actuel au CHUV. Regardez le mobilier dans le hall d’entrée de beaucoup d’hôpitaux: difficile voire impossible de se relever de certains sièges si vous êtes âgé et affecté par un problème de santé. Regardez les badges du personnel: c’est écrit tellement petit qu’ils sont illisibles pour la plupart des patients âgés. L’hôpital est encore trop souvent pensé pour les jeunes… pourtant la réalité de presque tous les services d’un hôpital est d’accueillir principalement des personnes âgées. Nos prises en charge doivent également s’améliorer. Certaines recherches ont observé qu’un patient âgé passe moins d’une heure par jour en dehors de son lit. Ajoutez à cela le fait que souvent les malades ont peu d’appétit, vous perdez 1 à 2% de votre force musculaire par jour d’hôpital! Si vous êtes jeunes et que vous avez des réserves, ce n’est pas très grave, mais si vous êtes âgé, cela peut suffire à vous rendre dépendant. Et comme l’on va considérer que c’est normal à votre âge… Non, il est important de mobiliser les patients pour éviter qu’ils perdent des forces!

Y a-t-il d’autres formes de discriminations médicales?

Souvent, la médecine consiste à faire des choix basés sur l’évaluation des bénéfices d’un acte pour les patients en regard des risques ou des coûts sociaux. Ce genre de réflexion fait appel à des considérations éthiques, par exemple lorsque l’on envisage d’implanter une prothèse de valve aortique à un patient atteint d’une maladie d’Alzheimer. Mais là où je vois des problèmes de discrimination, c’est quand certaines décisions se prennent sur la seule base de l’âge chronologique d’une personne sans tenir compte de son état de santé. Pourtant, à 70 ans, on peut être déjà dépendant ou au contraire envisager un tour du monde! Suivant son état de santé, une femme suisse de 80 ans a devant elle une espérance de vie qui varie de 4 ans à plus de 16 ans. Je m’insurge donc contre les prises de décision qui se basent sur l’âge seul! Par exemple, après 69 ans une coloscopie n’est plus remboursée. Or le pic des cancers colorectaux se situe vers 80 ans et cet examen s’avère bénéfique non seulement cliniquement, mais également économiquement jusqu’à 75 ans voire au-delà chez certains patients.

Dans l’actualité récente, on a régulièrement appelé les plus de 65 ans à davantage de précautions.

Mon but n’est pas de voir de l’âgisme partout! Cette recommandation s’appuyait sur des statistiques incontestables et permettait une communication aisée au grand public. Je ne trouve pas que ce soit un bon exemple pour illustrer l’âgisme dans le domaine de la santé.