Les aumôniers de l’armée reprennent du service
C’est reparti. En novembre, le Conseil fédéral a annoncé jusqu’à 2500 militaires en service d’appui et 500'000 jours de service de protection civile pour répondre aux besoins des cantons dans la lutte contre le coronavirus. Un renfort pour le personnel soignant dans les hôpitaux et les institutions de santé telles que les EMS, utilisé tant pour des soins de base, le dépistage ou le transport de patients. Le service d’appui est prévu jusqu’au 31 mars. Et le traitement est le même pour les aumôniers de l’armée, qui rejoignent les rangs pour apporter un soutien spirituel et un accompagnement dans les situations de stress que peuvent vivre les militaires comme les astreints.
«Je me suis porté volontaire pour être au service de la troupe et participer ainsi à "l’effort de guerre" pendant cette mobilisation hors du commun», lâche Laurent Ernst, aumônier de l’armée actuellement basé à Genève avec la compagnie sanitaire 1. Les 130 militaires qui l’entourent sont détachés dans les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et au service d’ambulance du 144. L’essentiel des demandes de soutien qui lui sont faites touchent à des problèmes professionnels ou familiaux qui empiètent sur la vie militaire. Mais la maladie, comme la mort ne sont jamais loin. «Aux HUG spécialement, vous quittez un patient le soir, et le lendemain matin, il est décédé. Tout le monde n’est pas préparé à ça. Il y a alors une première écoute sur place, puis, un entretien avec moi en caserne», explique l’aumônier. Pourtant jusqu’à présent, «le moral de la troupe reste bon. Les soldats sont motivés à l’idée de servir et de retrouver leurs camarades de la première vague».
Le point noir logistique
Chaque semaine, le nombre de militaires varie: «Actuellement, l’armée intervient comme le dernier recours pour le Canton. Et comme l’économie du pays n’est pas à l’arrêt, plutôt que de sous-utiliser des hommes ou des femmes, ils sont libérés au fur et à mesure», détaille Laurent Ernst. Dans le rapport quotidien que l’aumônier rédige, comme ses collègues, l’ennui et la tension qu’il peut générer peut faire partie des éléments mentionnés. Ces rapports qui rendent compte de l’état d’esprit des troupes arrivent sur le bureau du chef du service de l’aumônerie de la Division territoriale 1, le capitaine aumônier Jean-Marc Schmid. La division gère quatre compagnies sanitaires et ad hoc – composées de volontaires – et couvre les cantons de Vaud, Genève, Fribourg, Valais, Berne, soit actuellement quelque 750 militaires, dont quatre aumôniers.
«Globalement, le moral est stable. Et les problèmes relevés sont extérieurs à la mission, relatifs à la vie civile», fait également remarquer le capitaine aumônier. Le bât blesse plutôt côté logistique, avec du matériel qui tarde à arriver et ses conséquences pesantes sur l’atmosphère en caserne, même si cet aspect des choses s’est finalement résolu. Si ce n’est pas inédit dans une armée d’instruction et non d’engagement, selon le capitaine aumônier, «on a parfois l’impression qu’à ce niveau, certains ne se rendent pas compte que nous ne sommes pas en exercice». Une fois collectés et analysés, les rapports sont ventilés par le capitaine au commandement des opérations, à la division et au bataillon. «Nous avons toujours fait ces rapports. Mais nous observons aujourd’hui plus de retours et d’attention de la part de la hiérarchie. Ils n’hésitent pas non plus à demander l’avis des aumôniers de terrain sur certaines situations.»
Depuis la première vague
Alors que l’aumônerie a toujours été intégrée à la compagnie, «elle est à présent utilisée comme un réel moyen dans la conduite stratégique de l’armée», précise Jean-Marc Schmid. Un constat partagé par Samuel Schmid, capitaine aumônier chef de l’engagement de l’aumônerie de l’armée: «La première vague a confirmé que ce service est bien partie prenante et intégrante de l’armée. À ce titre, il est intégré dans le processus général de conduite de l’armée.»
Côté aumônerie, la première vague a notamment permis d’identifier l’importance du savoir-être. «C’est une compétence plus importante que toutes les formations, qui reste indissociable du savoir-faire. Il est également nécessaire que la présence presque permanente de l’aumônier au sein de la compagnie se fasse depuis l’engagement», insiste Samuel Schmid. Une capacité de présence et d’écoute d’autant plus importante en période de pandémie. «La proximité de la maladie reste toujours difficile, même pour certains aumôniers. Mon rôle consiste aussi à les soutenir et à les épauler dans la résolution des problèmes qu’ils rencontrent, qu’il s’agisse de leur installation en caserne ou d’outils pour parler de la mort avec les militaires», note Jean-Marc Schmid. C’est à Genève que le quotidien rime actuellement le plus avec la mort. «Dans l’un de ces derniers rapports, l’aumônier fait état de dix entretiens menés en une seule journée. Un nombre qui atteint un dixième de le troupe, c’est beaucoup», confie-t-il.
Une question d’habitude
Tous les intervenants le confirment pourtant: l’aspect inédit et inconnu de la première vague est derrière. «De nombreux militaires étaient déjà présents au printemps. Ils savent aujourd’hui ce qui les attend. Ils se rendent compte de l’importance de leur action et de leur engagement pour la société», exprime Samuel Schmid. «Beaucoup ont perdu de leur innocence, mais ça n’en est pas plus facile», ajoute Jean-Marc Schmid.
Même climat chez les astreints du service de la protection civile (PC) dans le canton de Fribourg. «Les demandes qui nous sont adressées sont moins nombreuses, car la situation fait moins peur. Au printemps, on avait l’impression que c’était la guerre, aujourd’hui, une forme d’habitude s’est installée. Mais ça n’est pas moins terrible pour autant, c’est peut-être même pire. À la différence qu’aujourd’hui, l’ensemble de la population est mieux préparée et informée», évoque Ludovic Papaux. Le pasteur a réintégré l’État-major de la PC fribourgeoise. Lors de la première vague, alors qu’il avait été appelé, il s’était proposé pour venir en soutien des astreints en tant qu’aumônier. Une démarche accueillie à bras ouverts par l’État-major, qui s’est même pérennisée. Après quelques semaines, le ministre avait été rejoint par un psychologue et par un éducateur.
Les trois hommes se sont retrouvés cet automne. Leur présence se fait désormais uniquement sur appel. Et aujourd’hui encore, côtoyer la souffrance, la mort ou le désespoir des personnes âgées en EMS n’est pas donné à tous. Comme à l’armée, l’aumônier de la PC est là pour aider la personne à mobiliser ses propres ressources dans des situations de stress. «En s’adressant à nous, elle évite aussi de faire appel à son supérieur direct ou encore de "contaminer" sa famille. Parfois juste en vidant son sac, l’essentiel est déjà fait.»