Le libre arbitre se niche au fond du cerveau
Ne faisons-nous qu’obéir aux structures de notre cerveau?
JACQUES BESSON La question fait l’objet d’un profond débat entre les différents courants de la psychiatrie ou de la neurobiologie. Certains voient dans la complexité du cerveau le signe que tout est «câblé», déterminé par la biologie et les gènes. Moi, je n’adhère pas à ce mouvement déterministe, je crois fondamentalement au libre arbitre du cerveau. Rendez-vous compte que même jusqu’à la dernière de nos synapses (liaison entre deux neurones, NDLR), un signal peut être temporisé jusqu’à 300 ms!
Nos instincts ne nous contrôlent-ils donc pas?
Le cerveau fonctionne, en effet avec plusieurs étages. Les pulsions émanant des parties les plus profondes de notre cerveau, celles qui nous viennent des reptiles, sont toujours négociées avec les étages supérieurs. C’est grâce à cela que nous ne sommes pas toujours en train de nous livrer au sexe ou à la violence. Des comportements qui risquent toujours de resurgir lors de moments de stress, ce qui explique que l’on ne pourra jamais complètement éradiquer la violence. Ainsi, l’on se trouve toujours dans une boucle cerveau-esprit-culture. Nos choix sont influencés par nos structures biologiques, les valeurs qui nous viennent de notre culture: boire du vin n’est pas perçu de la même manière selon que vous êtes né ici ou en Arabie saoudite, par exemple. Il en va de même avec la violence qui peut être ritualisée par certaines sociétés. Mais notre esprit nous permet de dépasser cela et nous permet de conquérir des espaces de liberté. Et pour moi, le christianisme est une voie qui permet d’atteindre cet aboutissement de relation, puisqu’il prône le donner, plutôt que le prendre, par exemple. Ce sont des horizons que l’humanité doit conquérir.
Mais certains automatismes ne sont-ils pas nécessaires à notre fonctionnement?
Effectivement, le fonctionnement du cerveau est en partie basé sur le principe de la plasticité neuronale. Quand une action nous apporte une satisfaction, les structures mentales qui ont été impliquées sont renforcées, ce qui incite à la création de rituels. Pour moi, l’arbre se juge à son fruit. Si ces habitudes sont structurantes et ne mettent pas la personne en danger, elles ne posent pas de problème. Mais quand elles l’enferment ou la mettent en danger, il y a lieu d’intervenir. Par exemple, un moment de méditation quotidienne avant de commencer la journée n’a pas les mêmes implications que de devoir prendre de la cocaïne avant d’aller travailler dans une banque.
Est-ce en cela que le risque de s’enfermer dans des addictions existe?
Le dialogue cerveau-esprit-culture permet de ne pas être uniquement déterminé par ces structures, mais il existe des situations de perte de contrôle. Ainsi, une psychothérapie peut permettre de revenir sur des traumatismes ou de réinvestir des éléments de son éducation, ce qui peut permettre aux personnes de retrouver leur liberté face à leurs phobies par exemple.
Toujours en parlant de liberté… Les psychiatres doivent parfois employer des mesures de contrainte.
Aujourd’hui, les psychiatres travaillent en partenariat avec le patient, l’utilisation des mesures de contrainte est le plus possible évitée. Bien que la profession soit très sensibilisée à cette question, cela donne parfois lieu à des débats très vifs qui occupent les juges de paix. La loi autorise à recourir à la contrainte lorsqu’une personne présente un danger pour sa propre vie ou celle de son entourage, sinon le patient reste libre de refuser tout ou partie de son traitement. Mais dans la pratique, il se pose souvent des questions d’application comme interpréter la volonté d’une personne autiste ou décider à partir de quel moment le comportement d’une personne dépendante met réellement sa vie en danger…