Prêts à débrancher? Les croyants devraient examiner leur vie digitale
Sur Instagram, le photographe Humza Deas, a trouvé une plateforme où diffuser ses œuvres, l’amenant à collaborer avec le rappeur Kanye West et de grandes marques. La chanteuse et danseuse Kaylyn Slevin y a partagé sa passion de la mode et du mannequinat. Quant à Emma Crockett, elle y a trouvé le moyen de rester en contact avec des amis de son école chrétienne. Mais sur ce réseau social de partage d’images, ces trois influenceurs américains ont aussi fait face au harcèlement. C’est ce qu’on découvre dans le documentaire «Social Animals» (Animaux sociaux), de Jonathan Ignatius Green, sorti en 2018 et produit par Subconscious Films. Instagram peut transformer la vie de ses utilisateurs, une vie en apparence parfaite, résumée à une suite de succès. Instagram peut transformer les gens en marques, mesurer leur valeur à coup de «likes» ou en nombre de fans et ouvrir la porte aux commentaires de parfaits étrangers. «Je n'aime pas vraiment cela, mais j'y reste», lâche Emma Crockett dans «Social Animals».
Le réalisateur Jonathan Ignatius Green parle d’Instagram comme du «réseau social par excellence» et espère que son documentaire générera des discussions sur la manière dont les adolescents et les adultes pratiquent les réseaux sociaux. C'est un sujet sur lequel beaucoup de croyants ont une opinion. «Je pense que les réseaux sociaux font partie de notre culture depuis assez longtemps pour qu'on en vienne à s’interroger sur notre comportement», observe-t-il.
Le défi est lancé
Début janvier, l'auteur chrétien Andy Crouch et le groupe Barna, une organisation de recherche axée sur l'intersection entre la foi et la culture, ont lancé «Le défi pour la famille technologique», qui s’inspire du livre d’Andy Crouch «La famille technologique», paru en 2017. Le défi dure vingt et un jours et encourage les participants à repenser le rôle de la technologie dans leurs vies et leurs foyers. Le défi comprend des thèmes de discussion et conseille aux gens de passer un dimanche sans écran, de trouver une place pour laisser «reposer» ces appareils à la maison, de faire des biscuits ou une activité «participative» tous ensemble.
Il est important de se débrancher des réseaux sociaux et des appareils technologiques, selon Andy Crouch. Là où il y avait autrefois un rythme dans la journée – une fin à la journée de travail et une échappatoire aux pressions –, les smartphones maintiennent tout à portée de main et en continu. Lorsque face à lui les gens se plaignent du nombre d’ados obsédés par leurs smartphones, Andy Crouch les interpelle: «T'as vu les parents?». «En réalité, je crois que je suis plus inquiet de la manière dont cela façonne la vie adulte», ajoute-t-il.
Un questionnement interreligieux
D’après Andy Crouch, les chrétiens devraient réfléchir à l'impact spirituel de la technologie et voir si cela le pousse à ressembler plus au Christ – à aimer Dieu et à aimer leur prochain.
Les responsables de la Sangha zen de All Beings (Chaque être) à Washington, D.C. méditent également sur la question de l’impact spirituel. Cette communauté bouddhiste zen a organisé un atelier sur «la pratique du zen et l'utilisation des écrans» pour que ses membres prennent conscience de leur utilisation des appareils numériques comme les smartphones et les tablettes. «Je pense qu’il y a eu une forte participation parce que les gens se sont rendus compte que leur utilisation des écrans était devenue une problématique dans leur vie et qu'ils avaient besoin de soutien et de conseils sur la façon de réduire ce problème», explique la prêtresse Inryu Bobbi Ponce-Barger, sensei à All Beings.
La méditation peut offrir aux bouddhistes la possibilité de voir ce que c'est que de ne pas se retrouver «englouti par un écran ou les réseaux sociaux», d'être libéré de toute distraction et de la pression mise sur la façon de se présenter au monde pour qu’il nous valide, explique-t-elle. «Le bouddhisme encourage aussi ses adhérents à développer une prise de conscience, précise Shinren Mark Stone, de All Beings. Face à la technologie, il faut prendre en compte la réaction du corps à l’utilisation des réseaux sociaux et des appareils: mâchoire crispée, sourcils froncés, autant d'émotions qui affectent les pensées et la capacité à se concentrer. On devient aussi conscient de la raison pour laquelle on publie telle information ou pourquoi on lit telles nouvelles.»
Une grande partie des conseils que le rabbin Gil Student inclut dans «Le guide Torah pour l'ère digitale: les dix préceptes des réseaux sociaux», qu'il a écrit il y a quelques années pour le magazine juif orthodoxe américain Jewish Action, relèvent «principalement du bon sens», affirme-t-il: «Ne traite pas les gens en ligne autrement que si tu les voyais en personne. Ne répands pas les rumeurs et les mensonges. Ne crois pas tout ce que tu lis.» «Ce sont effectivement des enseignements juifs, précise Gil Student, directeur de la Commission Halakha (préceptes de la Loi juive) au Conseil rabbinique américain. De même, l'idée selon laquelle Dieu voit tout, même si les gens se comportent en ligne comme si personne ne les voyait et que leurs publications étaient introuvables.» Gil Student illustre son propos avec un récit tiré du Talmud. Un célèbre rabbin est en train de mourir. Ses adeptes arrivent près de son lit de mort pour lui demander une bénédiction. Il les bénit, en leur disant que leur crainte de Dieu devrait être aussi grande que celle des autres gens. «S'ils craignaient Dieu de la même manière que les autres gens, pense Gil Student, ils se comporteraient mieux.»
L’utilité des réseaux sociaux
Pourtant, les responsables religieux ne considèrent pas les réseaux sociaux comme complètement néfastes. Ils créent des connexions entre les gens et il existe aussi des applications pour lire les écritures ou pour la méditation. C'est un lieu où l'on peut poser des questions et trouver des conseils spirituels pour le développement - pour répondre à des besoins auxquels les institutions religieuses ne donneraient pas de réponse.
«Les réseaux sociaux ont aussi donné une voix à des organisations et permis des campagnes numériques, à l’instar du Collectif musulman antiraciste, mais aussi à des musulmans ordinaires qui peuvent s'identifier à des représentations de l'islam dans la culture pop et partager la diversité de leur religion», explique Najeeba Syeed, professeure associée en études interreligieuses à l'École de théologie de Claremont. Najeeba Syeed, qui a aussi étudié sur l’utilisation des réseaux sociaux par les musulmanes, confirme qu'elle a vu les gens se rejoindre dans des dialogues interreligieux, non pas seulement pour découvrir d'autres croyances religieuses, mais aussi pour voir comment les différentes religions abordent les mêmes questions qu'eux.
C'est ce genre de conversations que Jonathan Ignatius Green espère voir naître avec «Social Animals». Suite à la diffusion de son documentaire aux États-Unis, le réalisateur constate que les gens se disent être prêts à repenser leur comportement numérique. «C’est quelque chose auquel nous nous habituons encore et nous sommes en train de déterminer ce qui est sain, à quoi ressemble la santé mentale avec de tels outils dans nos poches et à quoi correspondent les relations et la sociabilité», élabore-t-il. «En résumé, il y a une réelle volonté de s'engager sur le sujet et d'en parler.»