Le fact-checking de Noël
«Dans les récits bibliques, tout est surtout intentionnalité théologique et pas factualité historique», pose Olivier Bauer, professeur à la Faculté de théologie et de sciences des religions de Lausanne. Entre les prophéties de l’Ancien Testament, que les auteurs des Évangiles ont voulu parfois faire se réaliser dans leurs textes par de petits arrangements avec la vérité, et les quelques sources historiques que l’on possède autour de la naissance de Jésus, difficile d’être certain que la Nativité se soit passée comme elle est présentée dans la Bible.
Tout d’abord, que sait-on du contexte général de cette naissance, et notamment de ce fameux déplacement de Joseph et Marie à Bethléem, dans le but de répondre au recensement opéré par Quirinius, général et administrateur romain? Michel Grandjean, professeur d’histoire du christianisme à l’Université de Genève, émet de grandes réserves sur ce point: «Même dans un but fiscal, soit afin de comptabiliser le nombre de personnes devant payer un impôt, un recensement à cette époque m’apparaît peu probable, surtout en demandant en plus aux gens de retourner dans leur ville d’origine.» Pour Gudrun Nassauer, professeure de théologie et d’exégèse du Nouveau Testament à l’Université de Fribourg, cela semble en revanche totalement plausible: «C’était une façon d’asseoir le pouvoir romain. Certaines traces historiques indiquent qu’il y a bien eu un recensement du genre pendant l’époque où on situe la naissance de Jésus.»
Du côté de l’existence du roi Hérode, celle-ci n’est plus à attester. Cependant, le récit où il aurait ordonné de faire tuer tous les nouveaux-nés à l’annonce de la naissance d’un nouveau roi à Bethléem, comme le raconte l’Évangile de Matthieu, n’a pu être attesté. «Ce qu’on a, comme arrière-fond historique, c’est que Hérode était un personnage excentrique qui avait une tendance à la cruauté», renseigne Gudrun Nassauer. Et Olivier Bauer d’ajouter qu’on n’a «pas de traces historiques d’un pogrom ou d’un massacre contre des bébés».
Noël, en hiver?
«L’Évangile de Luc parle de moutons qui paissent dans les prés au moment de la naissance de Jésus. Si on veut accorder des vertus historiques à ce récit, Jésus est donc né au printemps, peut-être en été ou en automne, mais en tout cas pas en hiver», assène Michel Grandjean. Olivier Bauer ironise: «Calvin a dit qu’il convenait de fêter Noël tous les jours de l’année sauf le 25 décembre, car il était certainement né à tout moment de l’année sauf ce soir-là.» Selon le théologien lausannois, le choix de la date actuelle de Noël est finalement hautement symbolique: «Jésus étant la lumière du monde, il valait mieux le célébrer la nuit la plus noire de l’année. On a donc choisi de le fêter autour du solstice d’hiver.»
Grotte ou étable?
Gudrun Nassauer, indiquant que les textes de l’Évangile de Luc mentionnent une étable, rend attentif à certaines découvertes archéologiques: «Certaines fouilles en Palestine ont permis de montrer que les étables, en Palestine, étaient souvent des grottes, qui complétaient les maisons. De plus, un Évangile apocryphe, celui de Jacques, écrit deux cents ans après la naissance de Jésus, parle effectivement d’une grotte.» Olivier Bauer, quant à lui, se souvient d’un voyage d’études théologiques à Bethléem: «J’ai été surpris qu’on nous présente une grotte en nous assurant que c’était bien là qu’était né Jésus. Les Évangiles parlent d’une étable… Franchement, on n’en sait rien!»
Nazareth ou Bethléem?
«Il fallait qu’il naisse à Bethléem, selon l’Ancien Testament. Alors peut-être que cette histoire de voyage a été trouvée pour que cela fonctionne, comme une combine, en somme», fait remarquer Olivier Bauer. Michel Grandjean, quant à lui, pencherait « tout autant pour Nazareth que pour Bethléem, les raisons faisant naître Jésus à Bethléem n’étant que purement théologiques» selon lui. Même constat pour Gudrun Nassauer, selon qui l’indication de Bethléem «n’est que théologique, rien n’attestant historiquement du lieu de naissance de Jésus. Le fait que Bethléem apparaisse donc dans la Bible n’est donc ni une preuve pour ou contre cette hypothèse-là.»
L’Étoile de Bethléem, vraiment?
Quant à cette étoile qui, selon l’Évangile de Matthieu, aurait annoncé à des mages orientaux la naissance de Jésus et les aurait guidés vers Bethléem, qu’en pense l’astrophysicien et chercheur genevois Raoul Behrend, affilié à l’Observatoire de l’Université de Genève? «Cela pourrait être une comète, car ce genre d’objet céleste reste plusieurs semaines dans la même région du ciel. Mais il y a aussi le phénomène qu’on appelle conjonctions de planètes: quand deux planètes sont proches l’une de l’autre, comme Jupiter et Saturne, les deux corps bougent lentement, et cela s’est notamment passé autour de cinq ans avant le début de notre ère.» Dernière hypothèse, une supernova: «En revanche, les restes de supernovas, on en trouve, dans la galaxie, mais rien ne semble prouver qu’un tel objet céleste ait traversé le ciel autour de l’an zéro.»