Une résurrection qui continue d’interroger
À Pâques, les chrétiens célèbrent deux événements en un: la mort de Jésus sur la croix, ce fameux Vendredi saint, et sa résurrection, intervenue au matin de Pâques. L’un et l’autre épisodes sont évidemment indissociables au sein de la théologie chrétienne. Pourtant, s’il fut facile pour les historiens de tracer la véracité de cette crucifixion, entre l’an 30 et 33 de notre ère, il en est bien différent en ce qui concerne sa résurrection.
«On n’est pas au niveau d’un événement historique que l’on pourrait confirmer ou infirmer», lâche Andreas Dettwiler, professeur de théologie à l’Université de Genève. «On ne peut rien dire historiquement sur le fait de la résurrection de Jésus. Cet événement échappe totalement à l’investigation historique. On ne peut être ici que sur le registre d’une affirmation de la foi.» Même son de cloches du côté du théologien François Vouga : « Je crois correct de déplacer notre regard sur ce qui est le fait de Pâques. Le fait n'est pas la résurrection physique de Jésus, mais le fait que des disciples disent l'avoir vu vivant, que des croyants l’annoncent vivant. C'est ça qui fut décisif.»
26% de Suisses convaincus
Selon une récente étude, réalisée par l’Institut Link pour le compte du journal gratuit Quart d’Heure pour l’Essentiel diffusé par le groupe de presse évangélique Alliance Presse, 26% des Suisses affirment «croire en la résurrection physique de Jésus». Ils seraient 37% chez les personnes se déclarant catholiques, 23% chez les réformés, 90% chez les évangéliques, mais également 25% chez les personnes se rattachant à «une autre religion».
«C’est le message principal de Pâques, que le crucifié est vivant», formule François Vouga. «Pâques est au cœur de la foi chrétienne», poursuit Christophe Chalamet, autre théologien réformé. «Et Pâques, c’est pas seulement le Vendredi Saint, mais aussi le dimanche de Pâques», poursuit-il.
Pour autant, tous les chrétiens n’appréhendent pas le terme de résurrection de la même manière. «Il y a différentes façons de comprendre ce terme même au sein du christianisme», avertit Christophe Chalamet. «Avec des interprétations plus ou moins objectivantes ou psychologisantes des événements, des conceptions plus ou moins réalistes ou métaphoriques.» La raison en est que le terme «résurrection» pèche étymologiquement par son manque de clarté.
Pas une histoire de réanimation
«Les écrits, évangiles, et épitres rassemblés dans la Bible ne connaissent pas de terme technique pour désigner la révélation de Pâques. Les disciples de Jésus déclarent que Jésus s’est fait voir, qu’il leur est apparu vivant, qu’il avait été réveillé ou qu’il s’était relevé d’entre les morts», indique François Vouga. Et d’ajouter: «En croyant souligner la réalité de Pâques en insistant sur le caractère physique de la résurrection, on restreint la portée de l’événement aux dimensions d’une simple réanimation. Je comprends la réticence de bien des chrétiens engagés à faire ce pas.»
L’idée d’une résurrection physique semble en effet déranger un certain nombre de théologiens. «On a des difficultés à adhérer à des dogmes qui paraissent contredire ce que la science nous dit de la réalité physique du monde», confie Christophe Chalamet. «Donc on hésite beaucoup: est-ce qu’il s’agit d’une apparition intérieure, interne à la psychologie des disciples, ou bien y a-t-il vraiment une réalité extérieure à cet événement-là?»
De son côté, le pasteur Martin Hoegger, qui travaille à une grande célébration internationale et œcuménique en 2033 à l’occasion des 2000 ans de la résurrection du Christ, ose davantage se prononcer. «Sans la résurrection du Christ, on vide la foi chrétienne de son contenu», déclare-t-il sans détour. «Déjà pour les Athéniens à qui Paul l’annonçait, la résurrection de Jésus apparaissait comme une folie pour la raison. Quand aujourd’hui des théologiens affirment que la résurrection est à comprendre de manière symbolique, ils montrent qu’ils sont pris dans les filets du rationalisme.»
Christophe Chalamet admet qu’en effet le récit de cette résurrection «a toujours fait scandale»: «Il ne faut pas exagérer la différence entre nous autres modernes, et puis des soi-disant prémodernes naïfs qui croient à toutes sortes de choses magiques. Pas besoin d’être au XXIe siècle pour savoir que les cadavres en général ne se relèvent pas.»
Un autre horizon
Alors, réalité ou symbolisme? Les avis, ou plutôt les convictions divergent. Quoi qu’il en soit, une chose est sûre: «Jésus n’est pas revenu à la vie comme Lazare à qui Jésus avait offert le don d’une nouvelle vie», pointe Andreas Dettwiler. «Si cela avait été le cas, Jésus aurait dû mourir une seconde fois.» Et de citer alors Paul, dans sa lettre aux Romains: «Christ ressuscité des morts ne meurt plus ; la mort n’a plus de pouvoir sur lui.» «On n’a pas affaire ici à une réanimation de cadavre», souligne également Christophe Chalamet. «La résurrection n’est pas un retour à la vie, mais une accession à une autre dimension de la vie, une vie nouvelle en Dieu, pourrait-on dire.»
C’est d’ailleurs là un autre aspect très important de la résurrection. «Comme le dit Paul, le Christ est le premier-né d’entre les morts. Sa résurrection est donc à interpréter en lien avec l’espérance chrétienne, et l’espérance d’une résurrection générale pour toute la création», expose Christophe Chalamet. «Alors que tout semblait fini et perdu, l’Esprit saint ressuscite le corps du Fils qui assume notre nature humaine jusqu’à la mort.», formule pour sa part Martin Hoegger. «Son œuvre est de toujours ouvrir devant nous des chemins neufs.»
«Dans la personne de Jésus crucifié et ressuscité se révèle le projet de Dieu pour l’humanité», résume en conclusion Andreas Dettwiler. «À Pâques, les chrétiens expriment l’espérance que la mort n’a pas le dernier mot et réaffirment la foi en un Dieu qui veut à tout prix la vie et non pas la mort et qui accorde une dignité absolue à l’être humain, indépendamment de son statut social, religieux ou autre.»
Peut-on être chrétien sans croire en la résurrection?
Seuls 23% des réformés suisses et 35% des catholiques croient en la résurrection physique de Jésus. N’est-ce pas surprenant? «Non, car la grande majorité des réformés et des catholiques sont des membres distancés», rappelle Jörg Stolz, sociologue des religions. «Ceux-ci répondront donc par l’affirmative à des affirmations floues quant à l’existence d’une entité supérieure ou la croyance en l’existence de quelque chose après la mort. La résurrection physique, qui s’apparente aux miracles, est un terme trop fort pour beaucoup d’entre eux.» Par ailleurs, note le chercheur de l’Université de Lausanne, «ces croyances sont souvent pas très stables chez les distancés, pas très bien fixées. Souvent dans nos enquêtes, les distancés nous disent être dans un mouvement de va-et-vient: "Je suis pas sûre, parfois j’y crois, parfois pas".»