L’envol des sorcières
L'Amérique vit actuellement un renouveau religieux, relève David Brooks dans une colonne du 10 juin 2019. Même si les acteurs de ce changement ne sont pas des «religions» au sens propre, remarque-t-il. L'un des mouvements en question est en effet l'astrologie. Il note l'étonnante crédibilité dont bénéficie cette discipline d'interprétation des astres dans la population. En 2018, 44% des Américains de 18 à 24 ans jugeaient que l'astrologie était «scientifique». Les sites Internet proposant des horoscopes ont vu leur audience augmenter de façon exponentielle ces dernières années.
Trump contre les sorcières
Un autre mouvement en plein essor est celui de la Wicca. Cette spiritualité née dans les années 1950 en Grande-Bretagne combine des éléments de croyances du chamanisme, du druidisme et des mythologies gréco-romaine, slave, celtique et nordique. Ses adeptes, les wiccans, vénèrent la nature et s'adonnent pour une grande partie d'entre eux à la sorcellerie, dont ils empruntent les codes et l'imagerie.
En 1990, les adeptes de ce mouvement étaient seulement 8000 aux États-Unis. Dix ans plus tard, près de 135'000 habitants s'identifiaient comme wiccans. En 2019, avec les autres mouvements néo-païens, les «sorciers et sorcières» auraient dépassé le million. La Wicca est ainsi, techniquement, la «religion» affichant le plus fort taux de croissance dans ce pays de 326 millions d'habitants.
David Brooks relève en outre que les adeptes de ces croyances sont passés de la marginalité à une visibilité sociale et médiatique. Des convergences de plus en plus importantes s'observent entre la mouvance ésotérique et le militantisme social. On peut ainsi trouver dans les librairies américaines de nombreux ouvrages expliquant comment utiliser l'astrologie ou la sorcellerie pour faire avancer des causes «libérales».
Depuis quelques années, les wiccans ont intensifié leur «lutte» contre la droite américaine. Un groupe de 13'000 «sorcières de la résistance» (Resistance Witches) s'est ainsi donné pour mission de jeter régulièrement et publiquement des sorts à des politiciens conservateurs. Des figures telles que le juge de la Cour suprême Brett Kavanaugh ou le président Donald Trump en ont été la cible.
Sécularisation de façade
Mais comment comprendre le succès des horoscopes et des invocations cabalistiques à une époque où le rationalisme scientifique semble régner en maître? Pour David Brooks, cette domination est en fait largement illusoire. «On entend toujours dire que nous vivons une ère de sécularisation. Mais cette sécularisation ne survient jamais réellement. Les humains sont des créatures transcendantes qui ont des expériences spirituelles et qui en appellent instinctivement à des pouvoirs surnaturels.» Même dans les secteurs les plus sécularisés de la société, souligne le spécialiste des religions, il existe une immense soif de spiritualité, qui n'est pas étanchée.
Cette aspiration se greffe sur un besoin général de «ralentissement» (slow down). De plus en plus de personnes veulent échapper à la frénésie technologique. Les modes de vie et de pensée tournés vers un retour au rythme de à la nature, des astres, des saisons, comme le proposent les mouvements ésotériques, résonnent avec cette tendance.
Ces «religions» permettent également, selon David Brooks, d'exprimer une «altérité», une forme d'anti-conformisme. «L'intérêt pour l'occulte augmente durant les périodes de transition et de désillusion», note le journaliste. Cela a déjà été le cas dans les années 1960.
«Pour beaucoup de personnes, les religions organisées traditionnelles sont impliquées dans les structures de pouvoir en place. Le fait de rejoindre les milieux occultes est une façon de dire que l'on se tient en marge de la société, contre le patriarcat, la culture hétéronormative et les structures d'oppression.»
Une spiritualité «méli-mélo»
Pour le journaliste du New York Times, le succès de ces mouvements s'explique également par l'autonomie qu'ils laissent à la personne. Comparés aux religions institutionnalisées, ils permettent de se sentir membre d'une communauté tout en jouissant d'une importante liberté de choix et de croyance. Il en ressort une forme de «spiritualité méli-mélo» (hodgepodge spirituality). «La personne emprunte des pratiques des traditions des indiens d'Amérique, du bouddhisme, du christianisme, du judaïsme, et les mélange de la façon qui lui convient le mieux.» Pour David Brooks, il s'agit d'une étape où «la religion s'incline devant l'individualisme».
L'éditorialiste, détenteur d'une licence en histoire de l'Université de Chicago, ne pense cependant pas que cette vague ésotérique soit «durable». «Je doute qu'il soit possible de conjuguer le besoin d'appartenance communautaire et celui d'autonomie totale, qu'il soit possible de se détacher des pratiques spirituelles fortement enracinées dans la culture et d'avoir une spiritualité cohérente.» Pour autant, David Brooks appelle à prendre ces nouveaux phénomènes au sérieux et à les comprendre à la mesure de la transition religieuse majeure que traverse actuellement le monde. Protestinfo/cath.ch/nyt/rz