Au Nigeria, on craint l’arrivée d’un nouveau Boko Haram

Protestations des shiites musulmans / @RNS/AP Photo/Sunday Alamba
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Protestations des shiites musulmans
@RNS/AP Photo/Sunday Alamba

Au Nigeria, on craint l’arrivée d’un nouveau Boko Haram

Ali Abare Abubakar
1 novembre 2018
Le Mouvement islamique du Nigeria menace la sécurité nationale. La détention du chef du Mouvement, Cheikh Ibrahim Zakzaky, qui appelle à la révolution islamique a mis le feu aux poudres. Les altercations entre adeptes et forces de l’ordre s’intensifient.

Il y a deux ans, Modu Bukar, dirigeant local du Mouvement islamique du Nigeria, a été abattu à Potiskum, une ville au nord-est du Nigeria. 

«Nous avons parlé ensemble à peine cinq minutes avant. Il venait de dire la dernière prière du soir et discutait avec des gens dehors lorsque des hommes armés l’ont abattu», raconte Mala Mohammed, 24 ans, étudiant à l’Université Bayero à Kano et membre du Mouvement dirigé par Cheikh Ibrahim Zakzaky, un religieux chiite radical qui appelle à une révolution islamique, dans le pays le plus peuplé d'Afrique, à l’image de celle qui a eu lieu en Iran.

Les autorités ont enquêté sur la fusillade. Mais pour Mala Mohammed et d'autres, il s’agit d’un assassinat extrajudiciaire, un agent de l'ordre aurait exécuté le chef religieux sans forme de procès. 

Les analystes craignent que de tels assassinats, commis ces dernières années, ne convainquent le Mouvement islamique du Nigeria de suivre les traces de Boko Haram, le groupe militant qui ravage le Nigeria depuis des années, tuant les gens sans distinction, kidnappant les filles et forçant des milliers de personnes à se déplacer. C'est l'assassinat extrajudiciaire présumé du fondateur de Boko Haram, Mohammed Yusuf, en 2009, et d'autres dirigeants, qui a mené le groupe à l'insurrection au nord du Nigeria. 

Altercations grandissantes

En 2015, les forces de l'ordre nigérianes arrêtent Cheikh Ibrahim Zakzaky, aussi connu sous le nom d'Ibrahim Yaqoub El Zakzaky, après que 350 de ses partisans se soient opposés à des troupes nigérianes à Zaria, au nord-ouest du Nigeria. Deux des fils d'Ibrahim Yaqoub El Zakzaky ont été tués dans l’altercation. Un autre dirigeant du Mouvement islamique, Cheikh Umar Sokoto, a été tué par balle par la police lors d'une manifestation en janvier. 

Depuis son arrestation en 2015, Ibrahim Yaqoub El Zakzaky est en détention pour meurtre, avec sa femme. Le gouvernement a refusé de le relâcher malgré une décision de justice en décembre 2016 demandant sa libération. 

«Il est tout à fait possible que le Mouvement islamique du Nigeria se transforme en milice comme Boko Haram», explique le professeur Ishaq Akintola, directeur du Muslim Rights Concern (Association pour les droits des musulmans), un groupe de défense pour les musulmans du Nigeria. «Le maintien en détention d’Ibrahim Yaqoub El Zakzaky a de graves répercussions sur la sécurité.»

La sécurité nationale avant le respect du droit

Les musulmans représentent environ la moitié des quelque 200 millions d'habitants du Nigeria. Selon le Conseil suprême nigérian pour les affaires islamiques, ils sont victimes de discrimination, héritage de l’ère coloniale, lorsque les missions chrétiennes ont créé les institutions éducatives du Nigeria, notamment le nord musulman. Le pays a obtenu son indépendance de la Grande-Bretagne en 1960. 

«Nous avons été maltraités et opprimés. Et beaucoup des nôtres ont été tués par la police», précise Abdullahi Musa, secrétaire du Forum académique du Mouvement, une branche du groupe basée dans les universités.

Sidi Sani, disciple de longue date d’Ibrahim Yaqoub El Zakzaky, qui a perdu deux de ses frères dans les violences de Zaria, raconte: «Notre combat ne reposait pas sur le militantisme. Même notre dirigeant a dit que ses membres ne porteraient pas d'arme.»

Après l’ordonnance du tribunal visant à mettre fin à la détention d’Ibrahim Yaqoub El Zakzaky, Mohammed Ibrahim Zakzaky, seul fils survivant du Cheikh, a demandé à l’ordre des avocats du Nigeria de persuader le ministre de la Justice du gouvernement de conseiller au président Muhammadu Buhari de libérer ses parents.

Ce dernier aurait réagi, dans un discours adressé au barreau, à exhorter les juristes du pays à faire passer la sécurité nationale avant la primauté du droit.

«La primauté du droit doit être subordonnée à la suprématie de la sécurité et de l’intérêt national», a déclaré Muhammadu Buhari, qui a fait régner une dictature militaire sur le pays dans les années 1980, mais se considère comme un «démocrate converti». «Les droits individuels des responsables présumés doivent passer au second plan en faveur du plus grand bien de la société», a-t-il déclaré.

Former pour tuer

En juin, l'Institut du Moyen-Orient, un groupe de réflexion non partisan de Washington, a affirmé que les membres du Mouvement islamique du Nigeria auraient reçu leur formation militaire du Hezbollah, le parti politique islamiste chiite et groupe militant basé au Liban. 

«Des hommes de grandes tailles, vêtus d’une longue tenue africaine traditionnelle propre au nord du Nigeria ont été aperçus à Dahieh, une banlieue majoritairement chiite au sud de Beyrouth, où le Hezbollah dirige un centre culturel», écrit l'Institut dans un rapport. «Les Nigérians chiites reçoivent d’abord une formation religieuse avant une formation militaire qui est dispensée dans deux camps de la plaine de la Bekaa au Liban.» 

Akintola, de l'Association pour les droits des musulmans, a déclaré que son groupe avait d’abord défendu d’Ibrahim Yaqoub El Zakzaky après l'incident de 2015, mais lui et son organisation se sont retirés. 

«Le Mouvement est devenu une véritable menace pour la sécurité, une cause d’inconfort, et d’intimidation envers les autres musulmans. C'est pour ces raisons que nous avons, en toute bonne conscience, que nous ne pouvions plus continuer à défendre leur cause», a précisé Akintola.

Pendant ce temps, les craintes continuent d’augmenter s’agissant des activités du groupe au Nigeria, alors même que la répression se poursuit.

En avril dernier, les autorités ont cherché à empêcher le groupe d'utiliser la Fontaine de l’Unité à Abuja comme lieu de rassemblement pour protester contre la détention de leur dirigeant. Un affrontement a éclaté et la police a tué un adepte du Mouvement. 

Les membres du Mouvement ont dit qu'ils continueraient à se battre. «Notre combat a déjà eu lieu au Liban, en Syrie et en Iran», annonce Mala Mohammed. «Il continue désormais au Nigeria et au Ghana.»

Ali Abare Abubakar, Abuja, Nigeria (RNS/Protestinter)