Dorothee Sölle: réunir mystique et politique

Dorothee Sölle en 1998 / ©Fotoburo de Boer, CC0, Wikimedia Commons
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Dorothee Sölle en 1998
©Fotoburo de Boer, CC0, Wikimedia Commons

Dorothee Sölle: réunir mystique et politique

Libération
La théologienne allemande cherchait à faire coïncider les expériences de souffrance ou les réalités du monde avec le désir pour Dieu.
Lorsque, à Pâques, nous acclamons «Christ est ressuscité! Il est vraiment ressuscité!», nous disons également «Libération!» et nous nous sentons unis à toutes les personnes opprimées, détruites.
Nous sommes avec les pauvres.
Dorothee Sölle (1929-2003)

Marthe et Marie: ces deux femmes, protagonistes du célèbre épisode biblique (Luc 10, 38-42), sont souvent mises en opposition. Marthe l’active et Marie la contemplative symboliseraient deux pôles irréconciliables de la vie humaine: d’une part, l’engagement dans le monde; de l’autre, le retrait, la méditation.

Mais pour la théologienne allemande Dorothee Sölle, ces deux aspects de l’existence humaine ne s’opposent pas. Au contraire, ils se rejoignent.

Selon cette penseuse chrétienne et activiste du siècle dernier, «une action politique qui voudrait remplacer la foi serait en danger de s’épuiser elle-même et, à l’inverse, une expérience mystique qui se ferait en dehors de l’action politique serait menacée d’indifférence envers le monde», explique le théologien genevois Henry Mottu.

Résistant contre cette fragmentation de la vie et de l’expérience chrétienne, Dorothee Sölle a voulu, durant toute son existence, réunir ces différents pôles. Ses ouvrages de théologie et sa propre action dans le monde témoignent donc d’une réflexion alliant la théologie politique, la mystique, mais aussi le féminisme, le pacifisme ou l’écologie.

Prière engagée

Dorothee Sölle (1929-2003) a étudié la philosophie, la littérature et la théologie en Allemagne. Depuis 1968, et jusque dans les années 1970, elle a contribué à mettre sur pied la «prière politique du soir» (Politisches Nachtgebet): tous les mois, à Cologne, cette liturgie comportait un échange d’informations politiques (par exemple sur la guerre au Vietnam ou l’arme nucléaire) et une discussion, alliés à une méditation à partir d’un texte biblique. Cet engagement ainsi que ses prises de position politiques profondément marquées à gauche soulevèrent de fortes oppositions dans les Eglises d’outre-Rhin. C’est donc à New York que Dorothee Sölle sera contrainte d’enseigner la théologie.

Pour elle, il s’agit de dire «oui» à la vie de manière déterminée. C’est là le message de la résurrection, un message «révolutionnaire», capable de permettre à la foi chrétienne de s’opposer aux forces mortelles qui anéantissent notre société et de réagir au «cynisme objectif» qui nous menace. Elle aborde donc les thèmes centraux de la tradition (la foi, le péché, la croix, la résurrection…) en gardant toujours à l’esprit le contexte sociopolitique dans lequel ils sont énoncés.

Appel à la responsabilité

Une figure choisie par BREF

C’est dans la vie spirituelle, dans la prière et la «mystique» que la théologienne allemande puise sa force de résistance. Cependant, elle n’entend pas cette «connaissance expérientielle de Dieu» comme une fuite qui éloignerait du monde, mais plutôt comme un appel à la responsabilité. Car la vraie mystique ouvre à une communion avec l’Univers entier et «maintient ouvertes la préoccupation pour son prochain et la préoccupation pour le monde extérieur», souligne Henry Mottu. S’unir avec le divin pousse donc aussi à s’engager en faveur de la libération que Dieu promet à toutes les victimes de l’Histoire.

Libres avec l’ensemble du créé

Dorothee Sölle en est convaincue: «Au commencement était la libération.» En créant le monde, Dieu n’a pas voulu l’asservir, mais le libérer. Et cela ne concerne pas seulement la personne humaine, mais la création tout entière. Adoptant, avec le Créateur, une attitude d’étonnement et de joie, nous sommes donc nous aussi libres d’assumer notre responsabilité, en particulier écologique, face aux dévastations qui aliènent le créé.