Des clivages nouveaux dans l’électorat américain
Quelques semaines avant la débâcle de Kamala Harris et des démocrates, Blandine Chélini-Pont, professeure d’histoire contemporaine à l’Université d’Aix-Marseille, partageait pour le compte de l’Institut français des relations internationales (IFRI) une analyse des dynamiques religieuses en cours dans l’électorat américain. Elle y montrait que derrière une égalité de façade du vote religieux, certaines transformations semblaient jouer en faveur de Donald Trump.
Parmi elles, le maintien d’une droite chrétienne acquise à son discours nationaliste, l’essor d’une minorité latino-évangélique, celui d’Eglises noires pentecôtistes, adeptes du prosperity gospel – évangile de la prospérité –, militant ouvertement pour le milliardaire, et ouvertes à la mixité raciale. Mais aussi l’abstention potentielle de minorités progressistes acquises aux démocrates en raison du conflit au Proche-Orient.
L’analyse exacte de ces dynamiques ne fait désormais que démarrer pour la recherche. Mais quelques grandes tendances se dessinent pour Blandine Chélini-Pont, spécialiste du vote religieux, en particulier catholique.
Quels sont les segments religieux que les démocrates ont perdus?
Si l’on prend les catholiques, qui ne représentent que 20% de l’électorat, mais sont très identifiés, les sondages prévoyaient 52% pour Trump, 47% pour Harris. Le résultat serait plutôt de 56% pour le républicain et 41% pour la démocrate. S’il y a bien un vote identitaire d’une droite chrétienne qui se sent décentrée dans son propre pays, qui craint la disparition de l’Amérique de toujours et l’arrivée d’étrangers, cela ne suffit pas à expliquer ce résultat. Certains catholiques démocrates n’ont pas voté Harris.
Les latinos, ensuite, qui sont de moins en moins catholiques et démocrates: dans certains Etats, un sur deux ou trois a voté Trump. Et les Noirs américains, qui représentent tout de même 12% de l’électorat total. Dans le Michigan, les minorités arabes ont aussi massivement voté Trump. Et la minorité hindoue, qui vient d’un pays au nationalisme fort, vote républicain depuis un moment.
Pourquoi les démocrates ne parlent-ils plus à ces minorités religieuses?
Pour ce qui est des Eglises noires américaines, un universitaire texan, Jason E. Shelton, expliquait qu’au-delà du fait que les démocrates ont abandonné la cause des Noirs, certaines Eglises, notamment baptistes, étaient travaillées par le rejet du mariage homosexuel et des droits LGBTQ. Le fait que les droits des minorités sexuelles, une cause catégorielle, soient portés comme une priorité pour l’ensemble de l’électorat américain leur pose problème, alors que d’autres soucis sont prioritaires (travail, logement, éducation, santé…).
Par ailleurs, de nouveaux clivages apparaissent dans la population noire américaine, qui se tourne en partie vers des Eglises non dénominationnelles, évangéliques ou pentecôtistes, portant des discours virilistes (refus du féminisme et des droits des minorités, retour à l’éducation genrée, accent sur les capacités biologiques, etc.) et moralement stricts. Ce clivage «genré» était connu chez les évangéliques blancs, il gagne désormais d’autres minorités.
L’idée de minorités «opprimées donc progressistes» n’est plus valable?
Exactement. Le clivage racial sur lequel les démocrates se sont appuyés pour leur quête du vote religieux ne fonctionne plus. Depuis les années 1960 et le choix des démocrates d’embrasser la lutte pour les droits civiques, les minorités ethno-raciales votaient démocrate, car cela leur garantissait une meilleure intégration, insertion économique, protection dans la société américaine et la défense d’une société pluraliste. Ce n’est plus le cas. La défense des identités s’est parfois transformée en idéologie progressiste comme l’a montré le politiste Yascha Mounk. Et la société américaine s’est appauvrie. Le monde ouvrier de la Rust Belt, électorat en partie d’origine catholique, est passé à Trump alors que Joe Biden avait su lui parler en 2020 en employant des éléments de doctrine sociale.
La recherche
Le vote religieux dans les présidentielles américaines, Blandine Chélini-Pont, Potomac Paper n° 50, Notes de l’IFRI, octobre 2024, 38 p.
Disponible en ligne gratuitement, sur www.ifri.org.
Conférence
Le lundi 16 décembre, à 18h30, Blandine Chelini-Pont, sera présente au Geneva Graduate Institute pour parler du «sionisme chrétien et son influence sur la politique israélienne des Etats-Unis», en introduisant une perspective comparative avec le 19e siècle.
Informations et inscription: www.graduateinstitute.ch.