Niger: «Ce contexte ouvre une marge de manœuvre aux djihadistes»

 Des milliers de partisans de la junte se sont rassemblés, le 6 août 2023, dans un stade pour manifester leur soutien au coup d'État militaire. / Keystone
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Des milliers de partisans de la junte se sont rassemblés, le 6 août 2023, dans un stade pour manifester leur soutien au coup d'État militaire.
Keystone

Niger: «Ce contexte ouvre une marge de manœuvre aux djihadistes»

Salomon Albert Ntap (Yaoundé)
16 août 2023
Le coup d'Etat au Niger met à mal, encore une fois, la lutte menée au Sahel contre le terrorisme islamique. Entretien avec Arthur Banga, docteur en histoire des relations internationales et en histoire militaire à l'université d'Abidjan, qui en fait déjà le constat sur le terrain et commente l'action de la CEDEAO.

Des militaires ont renversé le président démocratiquement élu Mohamed Bazoum, le 26 Juillet 2023. Un putsch de plus dans la zone du Sahel en proie aux attaques des groupes affiliés de Al-Qaïda ou Daesh. Depuis 2012 et l'éclatement de la crise sécuritaire au Sahel, la situation n'a cessé de se dégrader. Initialement limité au nord du Mali, le djihadisme s'est depuis étendu dans le reste de la sous-région de l'Afrique de l'Ouest, notamment au Burkina Faso et au Niger ainsi que d'autres pays voisins.

La Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) a pris la décision, après ce coup d'Etat, de déployer «la force d'attente» de l'organisation pour rétablir dans ses fonctions Mohamed Bazoum, le président déchu. Les chefs d'état-major de la CEDEAO se réuniront ce jeudi 17 et vendredi 18 aout au Ghana pour évoquer une possible intervention militaire au Niger.

De son côté, le régime militaire à Niamey souffle le chaud et le froid. Après avoir refusé à plusieurs reprises les médiations l’organisation sous-régionale, les militaires au pouvoir ont, par l'entremise du premier ministre qu'ils ont nommé Ali Mahaman Lamine Zeine, exprimé «l'intérêt du pays à préserver une relation importante avec la CEDEAO».

Dans le même temps, cependant, les putschistes ont annoncé désormais vouloir poursuivre le président Bazoum pour «haute trahison». Une démarche que la CEDEAO a qualifiée dans un communiqué publié lundi 14 août «de nouvelle forme de provocation», qui «contredit la volonté des autorités militaires de la République du Niger de rétablir l'ordre constitutionnel par les moyens pacifiques».

Dans ce contexte, quelles conséquences pourraient avoir les derniers évènements de Niamey sur la situation sécuritaire et sur les différents mouvements djihadistes dans la zone du Sahel? Entretien avec Arthur Banga, maître de conférences à l'université d'Abidjan, docteur en histoire des relations internationales et en histoire militaire, spécialiste de l’Afrique de l’Ouest et des opérations de maintien de la paix.

Quelles peuvent être les conséquences immédiates de la crise du Niger auprès des mouvements djihadistes dans la zone sahélienne?

Depuis que la junte est au pouvoir, on a déjà assisté à six attaques assez impressionnantes des mouvements djihadistes. On peut donc craindre un regain des attaques, comme on le constate déjà sur le terrain. Pour cause, l'armée nigérienne n'est plus concentrée à lutter contre le terrorisme et elle a, de plus, perdu le soutien de l'armée française – l'armée américaine est quant à elle encore en train d'hésiter. Ce contexte ouvre une marge de manœuvre aux djihadistes. Une situation dont il faut sérieusement s'inquiéter, d'autant plus que la zone la plus dangereuse est celle des trois frontières entre le Nigeria, le Mali et le Burkina Faso. Il faut vraiment craindre ce regain d'activités des groupes terroristes, qui leur permettrait de gagner de plus en plus de terrain pour asseoir leurs bases.

Craignez-vous un enlisement de la situation?

Bien sûr. On le voit dans les pays qui sont déjà gouvernés par des juntes, le Mali et le Burkina Faso, que la situation sécuritaire ne s'est pas améliorée – au contraire. On ignore dans quelle mesure l'armée nigérienne va rester soudée et concentrée plutôt que de se préoccuper de la gestion des affaires politiques. Donc d’un point de vue sécuritaire, oui, il faut craindre une situation qui se dégrade, tout au moins au niveau du Sahel.

Avec le départ du moins pour l'instant de Mohamed Bazoum au pouvoir, la communauté internationale et la France viennent-elles de perdre un allié crédible et sincère ?

Sans tomber dans la personnification du pouvoir, ce n'est pas tant la perte de Mohamed Bazoum en tant qu'individu qui choque. Mais ça sera difficile, pour un pays comme la France, de continuer à collaborer avec un régime putschiste, alors qu'elle a refusé de le faire avec le Mali. Il faut que s'impose une sorte de parallélisme formel – c'est vrai que les États-Unis sont plus réservés. Mais avec cette situation qui met fin au pouvoir d'un président démocratiquement élu, c'est assez difficile pour des nations qui se disent défenseuses de la démocratie de continuer à soutenir des régimes militaires.

La CEDEAO a activé une force en attente d'une solution pacifique au Niger. Pourquoi la même force n'a pas été levée depuis lors contre les djihadistes?

Il faut savoir qu'en 2012, la CEDEAO avait proposé une collaboration à la junte malienne de l'époque qui n'avait pas marché. N'oublions pas que la plupart des pays qui envoient les contingents à la MINUSMA( Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali) sont des pays de la CEDEAO: le Bénin, le Togo, le Sénégal, la Côte d'Ivoire et même le Burkina Faso à l'époque. Certes peut-être pas en tant que CEDEAO, mais les pays de l'Afrique de l'Ouest ont contribué et continuent de contribuer à la lutte contre le terrorisme. D'ailleurs, un pays comme la Côte d'Ivoire a perdu pas moins de huit soldats au Mali. Donc il y a une implication dans la lutte contre le terrorisme et justement la CEDEAO est convaincue que cette lutte passe par des régimes légitimes et légaux, c’est-à-dire des régimes issus des urnes, ce qui n’est aujourd’hui pas le cas au Niger. Voilà pourquoi elle a activé sa force d'attente, au cas où une intervention militaire devient nécessaire.

Quelle est la vocation première de cette force en attente?

Cette force d'attente est d'abord là pour le maintien de la paix et de la sécurité dans l'espace ouest-africain et elle existe depuis le début des années 1990 sous le vocable d'ECOMOG (Economic Community of West African States Cease-fire Monitoring Group). Elle est intervenue dans le cadre du maintien de la paix au Libéria, en Sierra-Leonne, en Guinée-Bissau et tout récemment en Gambie. C'est d'ailleurs là-bas qu'elle a pris le nom de «force d'attente», permettant alors au président Adama Barrow qui avait été élu de prendre la plénitude de son pouvoir.

Il y a enfin la nécessité d'une réponse sous-régionale plus intense, vous parliez tout à l'heure des faiblesses de la CEDEAO face aux groupes terroristes. Malheureusement cette réponse régionale doit se faire avec des régimes issus des démocraties ou au moins avec des régimes ayant des accords de transition avec la CEDEAO et un calendrier clair de départ du pouvoir. Si cela n'est pas le cas, il est difficile pour la CEDEAO – selon ses textes et ses convictions –d'engager une collaboration avec ces régimes-là. Après, il reste le canal des relations bilatérales et la collaboration avec d'autres institutions.

Quel serait, selon vous, le scénario le plus à même de faire reculer les djihadistes au Sahel: que les putschistes restent au pouvoir ou qu'ils soient débarqués?

Le scénario idéal, c'est d'arriver à ramener de façon pacifique au pouvoir le président Mohamed Bazoum et qu'on reprenne ensuite la collaboration. Il faudrait également, dans le même temps, que les régimes de transition au Mali et au Burkina Faso tiennent leurs engagements en termes de calendrier électoral pour mettre fin à ces régimes militaires, et faciliter ainsi l'intervention de tous les acteurs qui luttent contre le terrorisme.

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Arthur Banga, docteur en histoire des relations internationales et en histoire militaire à l'université d'Abidjan-
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