Baume-Schneider: «Il serait réducteur de tenir une politique migratoire pour responsable»
Déjà pressenti comme pouvant être l’un des naufrages les plus meurtriers de l’histoire, le drame qui s’est joué ce mercredi 14 juin au large des côtes grecques a remis tristement sous le feu des projecteurs la tragédie migratoire. Hasard du calendrier, ce samedi 17 juin se tiendra, aux quatre coins de la Suisse, la désormais annuelle Journée des réfugiés, une manifestation largement soutenue par les Eglises du pays (lire l’encadré).
Née dans une famille engagée dans l’Eglise réformée, la conseillère fédérale socialiste Elisabeth Baume-Schneider a accepté de nous livrer son regard tant sur ce dossier épineux que l’engagement des Eglises, notamment dans les Centres fédéraux pour requérants d’asile.
Avec la suppression de la possibilité de demander l’asile dans les ambassades, la Suisse ne se rend-elle pas coupable des drames qui surviennent sur la route migratoire, notamment en Méditerranée ?
Les drames humains sur les routes migratoires, et en Méditerranée en particulier, sont absolument inacceptables. Les causes et les responsabilités, sont multiples – la répartition inégale des revenus dans le monde, les conflits, la crise climatique ou encore les réseaux de passeurs – et il serait réducteur de tenir un pays ou une mesure de politique migratoire pour responsable.
Au sujet de l’asile dans les ambassades, la Suisse y a renoncé il y a dix ans, parce qu’elle était le seul pays d’Europe à offrir encore cette possibilité et que c’était devenu très difficile à gérer. La révision de loi a été approuvée par le Parlement et par le peuple en votation, à une majorité de 78%. La Suisse a d’autres moyens pour permettre un accueil des personnes les plus vulnérables sans qu’elles aient à risquer leur vie sur des embarcations de fortune. Je pense à la réinstallation ou aux visas humanitaires (la conseillère fédérale a d’ailleurs annoncé cette semaine vouloir en faciliter l’accès, ndlr.).
On a beaucoup pointé la différence entre l’accueil fait aux Ukrainiens et celui réservé aux autres migrants, d’Afrique ou du Moyen-Orient. Cette distinction est-elle à vos yeux toujours justifiée ?
C’est légitime de se poser la question : quelqu’un qui fuit une guerre fuit une guerre, que ce soit en Ukraine ou ailleurs. Des réflexions sont en cours pour examiner si un rapprochement de différents statuts de protection serait possible sur certains points.
La situation des Ukrainiennes et Ukrainiens est particulière : puisqu’ils venaient d’un pays proche, ils sont arrivés en très grand nombre : jusqu’à 1000 personnes par jour au début de la guerre. Le statut S nous a permis de les accueillir rapidement et sans examen individuel approfondi des motifs de fuite, là où le système d’asile ordinaire aurait été totalement engorgé. En outre, il faut noter que les Ukrainiennes et Ukrainiens disposent de la liberté de voyager sans visa dans tout l’espace Schengen.
N’y aurait-il pas aujourd’hui des pays dont les réalités et tragédies humaines passent sous les radars des autorités, soit sont insuffisamment connues et prises en considération lors des demandes d’asile?
Il y a des conflits et des situations peu présents dans les médias ou dans l’opinion publique. Mais je peux vous rassurer concernant le Secrétariat d’Etat aux migrations : ses services connaissent très bien la situation dans toutes les régions d’origine des demandeurs d’asile. Il y a au SEM des spécialistes qui se tiennent au courant de toutes les évolutions et chaque demande est traitée en fonction de la réalité vécue.
Il est d’usage de considérer l’action des Eglises comme venant pallier les manquements de l’Etat. Est-ce aussi votre impression en matière d’asile?
Les autorités publiques agissent dans le cadre légal et les ressources mise à leur disposition. Je suis très reconnaissante aux Eglises pour leur précieux engagement dans le domaine de l’asile. Les rôles des Eglises et de l’Etat sont complémentaires, aux côtés de l’engagement des ONG et de la société civile en général.
La révision partielle de la loi sur l’asile (LAsi) prévoit de considérer l’aumônerie dans les centres fédéraux comme une tâche fédérale, visant à «garantir» la sécurité et l’ordre. Comprenez-vous la réaction des Eglises, qui ont exprimé vouloir rester indépendantes et ne pas être assimilées à cet objectif?
Je suis convaincue que les aumôniers et aumônières apportent une précieuse contribution dans le cadre du «vivre ensemble» dans les centres de requérants d’asile. A l’instar de leur engagement notamment dans les hôpitaux ou les prisons, leur présence peut être une source de sérénité et d’espoir. Le projet de révision de la LAsi auquel vous faites allusion cite l’aumônerie parmi les mesures destinées à améliorer et à encourager la cohabitation dans les centres pour requérants d’asile. Une atmosphère apaisée peut contribuer à la prévention des conflits.
Des noms en recueillement
Redonner leur identité aux migrants disparus au cours de leur exil, comme on restaure un peu la dignité d’un corps retrouvé sans vie, telle est la vocation de l’action «Les nommer par leur nom». Depuis 1993, une association néerlandaise tient à jour «la liste des morts», ayant permis de recenser depuis 51'000 personnes, hommes, femmes et enfants ayant perdu la vie en tentant de rejoindre le présumé Eldorado européen.
A l’occasion de la Journée des réfugiés, ce 17 juin, de nombreuses manifestations sont organisées à cet effet, à laquelle s’associent depuis toujours les Eglises historiques.
A Genève, lecture et écriture des noms dans le parc Mon-Repos, de 9 h à 19 h. Et exposition de photos et panneaux didactiques sur les routes migratoires.
A Neuchâtel, Fête des réfugiés autour du Temple du Bas, dès 11 h 30. Et cérémonie silencieuse et à la lumière des bougies, à la Passerelle de l'Utopie, de 19 h à 24 h.
A Lausanne, une Silent Party intitulée «Ecoutez-nous» est organisée par l’Entraide Protestante Suisse, au Théâtre de Vidy, dès 18 h. Entre apéro, stands d’informations, spectacle d’impro et silent disco. A la cathédrale, installation «Et vogue la galère» avec témoignages audio, jusqu’au 18 juin (9h-19 h).