«Islamophobie», une manipulation idéologique
Avec «Islamophobie, intoxication idéologique», publié aux Éditions Albin Michel, le chercheur Philippe d’Iribarne monte aux créneaux pour dénoncer un terme non seulement erroné, mais à ses yeux totalement frauduleux. Explications.
Quel a été le déclencheur de ce livre? Une observation en particulier?
La lecture des études censées démontrer que les sociétés occidentales sont islamophobes (études d’opinion de la population majoritaire, études portant sur le ressenti des musulmans et testings comparant les réactions des employeurs envers des demandeurs d’emploi paraissant ou non musulmans) a joué un rôle décisif. J’ai été effaré par l’incohérence entre les données dont ces études faisaient état et leurs conclusions, celles-ci ne visant pas à rendre compte honnêtement des données d’observation, mais à manipuler l’opinion en lui fournissant une représentation victimaire du sort des musulmans.
Les musulmans ne seraient-ils donc victimes d'aucun sentiment de rejet dans nos pays?
Attention aux amalgames. Cela n’a pas de sens de parler des musulmans pris globalement. Quand on leur demande s’ils ont le sentiment d’être discriminés à cause de leur religion, une majorité écrasante des musulmans d’Europe occidentale déclarent que cela n’est jamais le cas. Ce qui est effectivement rejeté, ce ne sont ni les musulmans ni l’islam pris globalement. C’est un ordre social islamique, tel qu’il se donne à voir dans les pays où l’islam domine.
Cet ordre est ennemi de la liberté et au premier chef de la liberté de conscience (un musulman n’a pas le droit de se convertir à une autre religion, une musulmane n’a pas le droit d’épouser un non musulman). Et il refuse l’égalité entre hommes et femmes, par exemple dans des règles d’héritage, que même la Tunisie, le plus occidentalisé des pays musulmans, n’ose pas remettre en cause. Et l’attachement à cet ordre se retrouve chez une part significative des musulmans d’Occident. Ainsi, d’après une enquête réalisée auprès des musulmans de France, 56% d’entre eux contre 5% de la population générale approuvent la proposition «une femme doit obéir à son mari».
Au contraire la dimension proprement religieuse de l’islam, le jeûne, la prière, le pèlerinage, est très majoritairement bien reçue. Ainsi, d’après une enquête réalisée en France auprès de dirigeants d’entreprise, seuls 10 % trouvent acceptable qu’une personne refuse de serrer la main d’une personne de l’autre sexe mais c’est le cas de 83 % d’entre eux pour le fait qu’une personne jeûne pendant ses heures de travail.
Les musulmans ne sont-ils pas pourtant systématiquement ramenés à la question du terrorisme islamique?
Ils sont interpelés sur ce terrorisme, comme les chrétiens en général le sont sur l’Inquisition et les catholiques sur les prêtres pédophiles. Ceci ne veut nullement dire que tout musulman est assimilé à un terroriste. Simplement, affirmer que ce terrorisme «n’a rien à voir avec l’islam» est bien rapide. Il existe un terreau islamique du terrorisme, avec, au premier chef, une diabolisation des «ennemis de l’islam». Attention à ne pas manipuler les textes pour présenter l’islam comme une religion de paix. «Celui qui a tué un homme est considéré comme s’il avait tué tous les hommes» est-il pourtant écrit dans le Coran...
On rencontre en effet souvent cette citation, qui vise à présenter l’islam sous ce jour. Mais ce n’est pas sans réserve: «Tuer une âme non coupable du meurtre d’une autre âme ou de dégât sur la terre, c’est comme d’avoir tué l’humanité entière». Les versets suivants précisent: «Seule rétribution de ceux qui combattent Dieu et Son Prophète et se démènent pour faire dégât sur la terre: les tuer, ou les crucifier, ou leur couper les mains ou les pieds en diagonale, ou les bannir. Que ce soit leur ignominie en ce monde, outre un terrible châtiment dans la vie dernière, exception faite de ceux qui se sont repentis avant que vous ne les ayez appréhendés.»
Pourquoi est-il aujourd'hui si compliqué de parler de l'islam?
La difficulté vient de ce qu’on a affaire à deux manières de le considérer qui s’opposent. Pour l’une d’elles, tout part de l’exigence d’égal respect pour toutes les religions et leurs fidèles, et de dialogue entre les religions. Il s’agit avant tout d’être ouvert envers l’autre. Le contenu de l’islam est l’affaire des musulmans et tout ce que ceux-ci considèrent comme expression de leur religion mérite à ce titre d’être respecté. Pour l’autre approche, tout part de ce que le monde musulman donne à voir, dans sa réalité sociale contemporaine, dans son histoire et dans ses textes fondateurs. Parmi les chrétiens, la première approche prévaut chez les chrétiens occidentaux, au moins chez les responsables des Églises. Au contraire la seconde prévaut chez les chrétiens d’Orient. Il est d’autant plus difficile de se parler qu’on ne parle pas de la même chose.
Selon vous, le terme «islamophobie» serait ni plus ni moins qu'une manipulation d’ordre idéologique. A qui profite le crime, aimerait-on alors vous demander? Qui en porte concrètement la responsabilité?
Les islamistes, au premier chef les frères musulmans et leurs relais dans les pays occidentaux, ainsi que l’OCI (Organisation de la coopération islamique) qui œuvre dans les instances internationales, jouent un rôle majeur. Ils ont des alliés très divers au sein des sociétés occidentales. On y trouve ceux que l’on regroupe sous le terme générique d’islamo-gauchistes, animés par la détestation d’un héritage chrétien, jusque, pour certains, s’être réjouis publiquement de l’incendie de Notre-Dame. Il y a aussi les tenants d’une «société inclusive» dont certains comptent sur une sorte de sainte alliance des religions pour lutter contre la sécularisation de la société.
Quelles sont les conséquences, selon vous, à user pareillement de ce terme?
Il vise à convaincre les musulmans d’Occident que, quoi qu’ils fassent, celui-ci les rejettera et que la seule option digne qui leur reste est de rejeter ce monde qui les rejette. Et il vise, en répandant chez les Occidentaux un sentiment de culpabilité à l’égard de l’islam, à neutraliser leurs réactions de défense face à l’emprise d’un islam militant.
Qu’en est-il du silence (qui commence d’ailleurs à s’effriter) sur ce qui se passe dans les pays musulmans (à l’égard des femmes, des chrétiens, etc.) Serait-il également dû à cette manipulation idéologique, ou y voyez-vous d’autres enjeux, peut-être plus diplomatiques?
Ce qui se passe dans ces pays est maintenant tellement dans l’actualité qu’il n’est plus possible de le passer sous silence. La manière de neutraliser ce que l’on observe est de dire que cela «n’a rien à voir avec l’islam» ou du moins que l’islam auquel on a affaire n’est pas le vrai islam. Les enjeux sont multiples: pour un individu s’abstenir de toute critique permet d’éviter le risque d’être accusé d’être xénophobe, islamophobe, raciste; pour les gouvernants il s’agit ne pas froisser des partenaires économiques auxquels on tient, comme l’Arabie saoudite ou le Qatar.
En Suisse, une polémique a été suscitée suite à l'ouvrage d'un théologien titré: «L'islam conquérant». Est-il selon vous également approprié de parler d’un islam conquérant ?
Historiquement, c’est peu contestable, des grandes conquêtes des premiers temps de l’islam à la domination des Turcs, au-delà même de Byzance, sur l’Europe orientale. Ce mouvement a connu un coup d’arrêt à l’époque moderne, du fait de l’infériorité militaire du monde musulman. Il reprend en utilisant une voie nouvelle; l’appel aux musulmans européens à œuvrer à a construction d’une contresociété islamique et à étendre leur pouvoir dans la cité.
Est-il encore possible, ou sera-t-il à nouveau possible, d’avoir un avis nuancé sur la question de l’islam?
Pour avoir un avis nuancé, il est nécessaire de beaucoup mieux distinguer qu’on ne le fait actuellement d’un côté l’islam comme démarche spirituelle et de l’autre l’islam comme un ordre social ennemi de la liberté et de l’égalité. Si les islamistes récusent cette distinction et cherchent à abriter l’imposition d’un ordre social derrière le paravent de la liberté religieuse, de nombreux musulmans, aussi bien dans les pays à majorité musulmane qu’en Occident, aspirent à libérer le spirituel du social. Il y a du chemin à faire pour y arriver.
Quelle est ,selon vous, la part de responsabilité des musulmans face à ces questions? Et la nôtre ?
La responsabilité est partagée. Il y a celle non pas des musulmans en général mais des tenants d’un islam militant. Et les Occidentaux sont tout sauf clairs. Ils ont massivement laissé croire aux musulmans qu’ils pouvaient être pleinement intégrés sans avoir à renoncer à un ordre social islamique incompatibles avec les valeurs cardinales des sociétés démocratiques. Ce faisant, ils leur ont menti.