Les facultés de théologie de Genève et Lausanne ne collaboreront pas avec la HET-pro
Vous avez déclaré disposer désormais de suffisamment d’éléments permettant d’affirmer que, d’entente avec la Faculté de Genève, vous ne collaboreriez pas avec la HET-pro. Quels sont ces éléments?
Les facultés de Lausanne et de Genève ont pris connaissance des documents communiqués sur le site internet de la nouvelle école et des propos tenus dans les médias depuis plusieurs années par ses responsables et principaux soutiens. Il nous apparaît clair que les collaborations institutionnelles ne sont pas envisageables. En effet, notre projet de formation commun aux facultés de Lausanne et de Genève repose sur une connaissance des religions et du christianisme qui sait faire place au sens critique afin de donner aux étudiants les moyens de conquérir leur propre liberté de pensée et d’agir. Nous ne voulons pas enfermer les étudiants dans une lecture unique et décontextualisée.
Nous sommes aussi promoteurs de l’accueil des étudiants sans aucune discrimination de quelque nature que ce soit. En outre, les étudiants du courant évangélique sont toujours les bienvenus dans nos facultés et il n’en manque pas! Pleine diversité, ouverture: autant d’éléments qui ne sont pas négociables pour nous.
Pensez-vous que ces éléments (site web et interviews) soient suffisants pour prendre une décision? Ne faudrait-il pas attendre d’avoir des éléments concrets concernant l’enseignement dispensé par la HET-pro?
Le site internet en question est institutionnel et donc contrôlé. Les interviews ont eu lieu dans des journaux sérieux. Certes, l’enseignement débute cette année, mais très peu d’enseignants (3 sur 12) possèdent un doctorat en théologie ou discipline connexe, ce qui est un attendu minimum pour prétendre donner un enseignement universitaire.
La mesure de la qualité universitaire se fait aussi à l’aune de la qualité de la recherche produite par les enseignants. Force est de constater qu’elle est très faible à lire les maigres dossiers de publication des enseignants.
Par ailleurs, l’admission des étudiants dans la nouvelle école se fait sans la maturité ou avoir plus de 25 ans, ce qui est contraire là encore aux standards universitaires. Il faut se rendre compte que les étudiants de la nouvelle école ne pourraient entrer dans une université en Suisse avec ce critère.
Qu’une communauté religieuse veuille former ses cadres, c’est une bonne chose, de notre point de vue, mais qu’elle prétende dispenser une formation universitaire est une autre chose tant elle déroge aux standards de base en la matière. Nous croyons que c’est la vraie question: pourquoi donc faire une formation d’apparence universitaire alors que cette communauté peut très bien former ses ministres sans?
Le projet d’une école confessante n’est-il pas en lui-même contradictoire avec l’objectif de rigueur scientifique d’une université? Pourtant ce modèle est largement répandu y compris dans de prestigieuses universités nord-américaines.
Il existe à travers le monde et en Suisse de véritables universités qui sont confessantes. Elles l’affichent dans leurs valeurs et elles pratiquent en même temps la rigueur scientifique. Donc les deux ne sont pas incompatibles et l’un n’empêche pas l’autre. Nous travaillons d’ailleurs avec celles-ci sans que cela ne pose aucun problème. En effet, elles ne mettent pas en avant une lecture univoque du texte biblique parce qu’elles acceptent d’autres lectures possibles; elles reconnaissent qu’un texte est produit dans un contexte particulier et que tous les contextes ne se valent pas. Autrement dit, elles reconnaissent la possibilité d’une lecture critique et non fondamentaliste. De même, ces universités ne pratiquent pas de discriminations. Donc le problème n’est pas que la nouvelle école soit confessante. Il tient au projet et à la formation mises en œuvre.
Nous ajoutons qu’il y a souvent confusion entre notre regard sur la formation de cette école et sur le courant religieux qui la soutient. Nous ne portons pas de jugement sur une religion, un courant religieux ou une spiritualité, quelle qu’elle soit, ce n’est pas notre rôle, mais sur la formation prétendument universitaire, et seulement sur cela, parce qu’elle ne l’est manifestement pas.
Votre annonce a provoqué des résistances y compris au sein du synode vaudois. Pouvez-vous comprendre que la théologie académique ait si mauvaise réputation auprès des croyants conservateurs?
L’annonce en fait n’en est pas une, car nous n’avons pas voulu travailler avec les porteurs du projet de nouvelle école. Ceux-ci le savent depuis quelques années maintenant. Nous pensons que les membres du synode, entre autres, ont le droit d’entendre notre point de vue, parce que des idées fausses circulaient sur la formation en théologie dispensée et qu’elles étaient même entretenues. Par exemple, l’idée de passerelles possibles entre les formations de cette école et celles des facultés de Lausanne et de Genève est fausse pour les raisons académiques évoquées plus avant.
L’année des 500 ans des thèses de Luther a été l’occasion de relire les textes de Luther et des autres réformateurs. L’étude minutieuse des textes bibliques, la recherche de leur contexte narratif et historique avant d’actualiser une théologie, la formulation de concepts théologiques étaient au cœur du projet des réformateurs, dans la droite ligne d’une connaissance raisonnée de l’homme, c’est-à-dire le projet humaniste qui n’avait rien d’antireligieux. Certes, cela n’est pas d’accès facile, il faut s’initier, se former, à l’université et ailleurs, tout au long de la vie. Notre époque est malheureusement à la facilité, la «drogue fétiche de la modernité» selon le mot de l’écrivain américain Colum McCann. Pourtant pour saisir les soubresauts actuels de la modernité et distinguer les «fake news» des faits, et au final, devenir acteurs dans notre société, il demeure nécessaire d’avoir une formation solide, réfléchie, raisonnée.
Les milieux évangéliques dont la HET-pro est issue revendiquent une théologie ayant un rapport plus direct à la Bible. L’exégèse académique n’est-elle pas qu’une façon de tordre le texte biblique pour le faire correspondre à l’esprit du temps?
Nous croyons que c’est exactement l’inverse. Lorsque vous lisez le texte biblique et que vous avez à côté ou par écrit une personne qui vous dit ce qu’il faut comprendre, sans autre alternative, c’est la négation d’une formation qui construit votre capacité à penser le monde à partir de textes de référence. Le rapport direct à la Bible relève d’un slogan, car pour avoir un rapport direct au texte, faut-il encore le lire dans sa langue originelle (l’hébreu et le grec) et non dans une traduction imprécise. C’est un rapport critique au texte biblique qui permet de faire une vraie critique de l’«esprit du temps».
La création de la HET-pro n’est-elle pas un échec des facultés de théologie? N’est-ce pas le signe que vous n’avez pas réussi à convaincre une frange du christianisme de la fidélité du modèle académique aux valeurs bibliques et chrétiennes?
Comme nous l’avons dit, la formation dispensée par cette nouvelle école se veut universitaire, mais elle ne l’est pas au regard des standards académiques universitaires, que ces universités soient confessantes ou non n’est pas un problème. Elle veut apparaître comme une université, mais elle ne l’est pas et ce n’est pas qu’une question de reconnaissance des diplômes.
Contrairement à une idée reçue, nous avons des étudiants appartenant au courant évangélique dans nos facultés depuis toujours, et nous avons plaisir à travailler avec eux sans que cela ne remette en cause leur foi. Ils pratiquent leur foi dans leur paroisse et à l’aumônerie de l’université pendant la journée s’ils le désirent. De plus, ils reçoivent une solide formation en théologie pratique.
Il est important de dire aussi que nous accueillons de plus en plus d’étudiants en théologie depuis quelques années. Nos formations de théologie à distance en Bachelor et en Master sont un véritable succès. Nous développons actuellement notre offre en formation continue, ce qui prouve que nous rencontrons toujours ceux qui s’intéressent à la théologie, quel que soit leur courant religieux.
Mais a-t-on vraiment besoin d’avoir des pasteurs intellos?
Plus que jamais si vous pensez à des pasteurs qui réfléchissent derrière l’expression «pasteurs intellos». Il est courant aujourd’hui de dire que les mutations du monde s’accélèrent. Pour les comprendre et agir, il faut des pasteurs qui soient bien formés, c’est-à-dire qui ne sont pas dans un exercice routinier. Autrement dit, ce sont des pasteurs qui ont non seulement des connaissances et des pratiques précises, mais aussi qui ont reçu une formation intellectuelle de haut niveau pour comprendre l’évolution du monde, en reconnaître à la fois les progrès et les errances dangereuses, et en parler aux fidèles.