Le vin coule à flots dans les récits bibliques
«Grâce à l’archéologie et à quelques traités antiques d’agriculture, nous savons l’importance que la vigne et le vin avaient acquise dans l’économie rurale du Levant ancien. Avec les oliviers et les céréales, la vigne formait ainsi, selon les spécialistes, l’essentiel de la culture du sol à l’époque. Nul hasard, dès lors, si la Bible, en général, et les paraboles de Jésus, en particulier, s’y réfèrent constamment: au quotidien, les habitants du Levant ancien étaient confrontés aux heurs et malheurs de la culture de la vigne», explique Simon Butticaz, professeur de Nouveau Testament à l’Université de Lausanne. «On a retrouvé un texte égyptien daté d’environ 2000 ans avant Jésus-Christ, qui parle du Levant comme d’un pays où l’on trouve davantage de vin que d’eau!», renchérit Christophe Nihan, professeur associé en Bible hébraïque et histoire de l’Israël ancien à l’Institut romand des sciences bibliques. «Le contexte est celui d’une population où l’agriculture représente de loin la majeure ressource économique. Beaucoup de paysans ont un peu de vigne pour diversifier leurs activités à côté du bétail, des oliviers et des céréales», explique le chercheur.
Du vin et de la piquette
«L’Evangile de Jean est un récit qui fait la part belle au vin. Comme le font remarquer certains biblistes, ce breuvage y figure aux deux bornes de la vie de Jésus: lors des Noces de Cana (Jean 2,1-11) et à la croix (Jean 19,29-30). Ces deux vins ne sont, à l’évidence, pas de même qualité», rappelle Simon Butticaz. Dans le texte grec le mot oinos figure dans le premier cas, ce qui signifie le vin de fête et de qualité, alors que le mot oxos est utilisé pour designer le breuvage que l’on tend imbibé dans une éponge à Jésus sur la croix. Celui-ci «est tenu par les savants pour un breuvage populaire, de piètre qualité, coupé à l’eau et destiné à la consommation quotidienne. C’est ce que nous appellerions de la ‹piquette›», explique Simon Butticaz. Les vins de qualité représentent une véritable ressource économique. «C’est un produit de luxe qui s’échange facilement, une ressource que l’on va vendre lorsque l’on souhaite générer un surplus économique. On trouve même des traces de villages qui payaient leurs impôts en vin. Ou alors on le réservait à des banquets ou des activités communautaires», relate Christophe Nihan. Une symbolique qui marque tant le Nouveau que l’Ancien Testament. «La tradition scripturaire d’Israël conçoit la vigne et son produit comme un symbole de joie (Qohéleth 9,7) et de bénédiction (Genèse 27,24-38). Son abondance est ainsi synonyme d’espérance et souvent associée au temps du salut (par exemple en Amos 9,11- 15). Les représentations de l’avènement messianique sont dès lors accompagnées, dans certains écrits du judaïsme ancien, d’une profusion de moût et de vin», déclare Simon Butticaz.
Dieu aime le vin
«Le culte a besoin de quantités de vin importantes. Du vin est régulièrement placé en accompagnement de sacrifice d’animaux», souligne par ailleurs Christophe Nihan. «On retrouve cela dans l’ensemble du Levant, mais ce qui est propre à l’Ancien Testament, c’est le souci que les prêtres ne s’enivrent pas. Ceux qui s’approchent de Yahvé ne doivent pas le faire en étant ivres.» De même, en christianisme, «ce n’est jamais dans l’ivresse que l’on a accès à Dieu», rappelle Olivier Bauer, professeur de théologie pratique à l’Université de Lausanne. Il explique: «Le christianisme a repris au judaïsme et aux Romains cette idée que la fermentation est un miracle de l’action de Dieu. Quelque chose que l’on ne comprend pas, à la fois menaçant et fascinant.»