"Le protestantisme et l'école", vigoureux plaidoyer religieux pour un nouvel enseignement laïc

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"Le protestantisme et l'école", vigoureux plaidoyer religieux pour un nouvel enseignement laïc

25 mai 2000
"L'école doit apprendre à penser, pas ce qu'il faut penser"
Le dernier ouvrage publié par Maurice Baumann, professeur de théologie à l’Université de Berne, et ancien instituteur, en appelle à la primauté de l’éducation qui doit rendre l'enfant autonome et responsable. Entretien.

§- Maurice Baumann, votre premier métier a été celui d’instituteur. Aujourd’hui, vous écrivez ce petit livre sur l’école. Est-ce un retour à vos premières amours?M.B.: J’ai adoré mon métier d’instituteur. L’école reste une institution centrale. C’est elle qui a socialement le plus d’importance. C’est elle qui mobilise le plus les enfants.

Pour moi, le sujet est tout à fait déterminant.

§- L’ouvrage s’ouvre avec un éloge de la tiédeur pour dessiner un portrait-robot du protestant. Vous voyez des qualités à la tiédeur?M.B.: Il ne faut pas réduire le protestantisme à une de ses tendances. Le propre du protestantisme, c’est justement d’être divers. Je me retrouve assez bien dans une forme de protestantisme que l’on qualifie souvent de tiède. Il entretien une distance à l’égard de soi comme à l’égard de toute forme de principe, serait-il religieux. On est toujours en train de se dire: «Y se pourrait qu’on se trompe». En ce sens, la tiédeur est un garde fou contre le fanatisme et aussi contre l’indifférence. Mais elle n’a rien à voir avec l’indifférence ou le relativisme. Moi, je suis passionnément tiède.

§- Qu’elle est la particularité protestante de l’école?M.B.: Le protestantisme est un état d’esprit. Il a élaboré une manière d’aborder l’œuvre éducative tout à fait originale. Avec la Renaissance, il considère que l’école est à disposition de tous et au service de personne, au service d’aucune idéologie. Le réformateur allemand Melanchton établit une hiérarchie des priorités sociales. Et l’école se trouve au sommet de cette hiérarchie. Elle constitue une priorité absolue.

§- Même si à l’époque, on ne pouvait pas imaginer une société proprement laïque?M.B.: C’est vrai. Mais en plaçant cette priorité à l’éducation, le protestantisme a permis à l’école de s’émanciper. L’émancipation, c’est au fond le but de la démarche protestante. On éduque les enfants pour qu’ils deviennent autonomes et responsables.

Il y avait des fondements théologiques à cela. Si Dieu n’a pas désespéré des hommes, nous n’avons pas de raison de le faire. Aujourd’hui, le pari de «l’éducabilité» de chaque être n’est plus à établir, mais il garde des racines historiques évidentes dans le protestantisme.

§- On peut donc établir un lien entre les principes fondamentaux de la Réforme et le rôle de l’école?M.B.: J’en ai fait une réinterprétation. Prenons par exemple l’idée de «l’Ecriture seule» comme instance d’autorité. Théologiquement, on peut dire que Dieu a choisi de causer avec les hommes. Cela veut dire que les bavardages humains doivent être reçus avec énormément de respect. J’y vois le fondement d’une pédagogie de la promesse. Il y a une promesse confiée aux hommes au travers de leur culture, de leur histoire. Voilà pourquoi l’école doit surtout outiller les gens culturellement, offrir un instrument de navigation existentielle.

§- L’enseignement religieux à l’école a-t-il encore une raison d’être?M.B.: La dimension religieuse interpelle les personnes dans leur totalité. Ce serait donc utile de réintroduire l’approche du phénomène religieux à l’école comme branche principale. C’est la branche qui préparerait le mieux les enfants à devenir des citoyens responsables et humanistes. Parce que la religion est plus intéressante pour les questions qu’elle pose que pour ses réponses, c’est un excellent exercice pour apprendre à délibérer et manier l’esprit critique.

§- Quelles différences avec le catéchisme?M.B.: Le caté donne un exemple particulier du phénomène religieux. Il s’intéresse aux racines particulières des destinataires. Le caté mise d’avantage sur la subjectivité. L’école, elle, donne des outils objectifs et critiques. En ce sens, l’école constitue un préalable important au caté.

§- Aujourd’hui, l’école est la cible de toutes les critiques. Les enseignants sont fragilisés. Que leur dire?M.B.: L’école est le bouc émissaire d’une société qu’on renonce à contester. Quand on critique l’école ou les enseignants, on se trompe de cible. On devrait faire plus de résistance contre ceux qui veulent que l’école forme seulement des techniciens et non plus des citoyens. L’application à l’école d’une gestion dictée par l’économique est catastrophique. Or, l’école doit rester un lieu où l’on n’exclut personne.

§- En conclusion, cette citation de votre livre: «le salut est en dehors de l’école».M.B.: C’est évident. L’école apprend aux citoyens à penser, mais pas ce qu’ils doivent penser. C’est cela, la laïcité. L’école n’a pas d’idéologie à transmettre. Et si ce devait être le cas, elle devrait donner aux élèves les moyens de la subvertir. Aujourd’hui, l’école est plus idéologisée que jamais. En quittant les bras de la religion, on s’est jeté dans ceux de l’économie. On n’a pas forcément gagné au change.

§M. Baumann, « Le protestantisme et l’école », Ed. Labor et Fides, 1999