Souffrir pour être sauvé: la théologienne féministe Regula Strobel dénonce la théologie du sacrifice
15 juin 2000
"Chacune a sa croix à porter". Ce soupir résigné révolte Regula Strobel, théologienne au Bureau des femmes de la paroisse générale de l'Eglise catholique de Bienne
Passionnée par son travail d'accompagnement qu'elle a d'abord mené à Birsfelden(BL), elle a constaté avec effarement la passivité des femmes et plus particulièrement des victimes de violences conjugales et des mères dont les enfants sont abusés par leur compagnon. La théologienne désormais établie à Fribourg dénonce l'idée de la souffrance porteuse de salut, qui, à ses yeux, cautionne les abus de pouvoir et perpétue la violence. Sa position a déclenché une tempête d'indignation dans les milieux ecclésiastiques catholiques et protestants.Invitée récemment à s'exprimer lors de la Conférence des Femmes de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS) placée sous le thème "Vaincre la violence faite aux femmes", Regula Strobel a réitéré le point de vue qu'elle avait exposé sur une pleine page de la Neue Zurcher Zeitung (NZZ).
"Crucifié pour nous, pour sauver le monde?" Paru sous ce titre, son texte déclencha une tempête d'indignation dans les milieux ecclésiastiques des deux confessions, catholique et protestante. Elle fut tancée par sa hiérarchie; Ingold Dalferth, professeur de la Faculté protestante de théologie de Zurich, répliqua par un long article indigné dans un supplément de l'hebdomadaire "Reformierte Presse" de l'Eglise évangélique réformée de Suisse alémanique pour rappeler que le sacrifice est "la chance de la vie". A lire l'article d'Ingold Dalferth, on réalise que les deux théologiens ne sont visiblement pas d'accord sur le sens du mot "sacrifice". Au "don de soi" qu'entend le théologien zurichois, Regula Strobel préfère les termes de solidarité et de partage.
Petite femme hâlée par des randonnées à vélo , - elle fait partie des Verts fribourgeois - elle a l'accueil direct, simple, chaleureux. Dans le cadre de son travail en paroisse, elle a été souvent en contact avec des victimes de violences conjugales et des mères dont le compagnon abuse de leurs enfants. Elle se dit frappée par la passivité de ces femmes qui s'estiment seules coupables de ce qui leur arrive. "Se croire coupable soi-même de ce que les autres vous font subir, c'est objectivement protéger les auteurs de violence".
Féministe convaincue, elle a décidé de pourfendre la théologie de la croix et du sacrifice qui, à son avis, fait tant de ravages parmi les femmes, et de lui opposer une théologie de la libération et de la solidarité qui ne voit pas la crucifixion de Jésus comme voulue par Dieu.
"Je réfute cette idée que la souffrance est la volonté de Dieu, cette théologie qui fait de la victime un sacrifice utile. Jésus sur la croix fut la victime du gouvernement autoritaire de l'occupant romain qui ne tolérait pas les fauteurs de troubles et leur infligeait des supplices exemplaires. Pour moi, sa mort n'a pas été planifiée par Dieu pour sauver le monde. La théologie qui justifie le sacrifice par le rachat de nos péchés ne fait que continuer à soutenir le pouvoir des puissants, cautionner les abus de pouvoir et perpétuer la violence".
§La violence n'est pas une fatalité"La violence n'est pas une fatalité et les femmes ont des possibilités de se protéger et le devoir de protéger leurs enfants. Il faut une théologie qui les soutienne et ne glorifie pas le sacrifice de la victime, une image de Dieu qui les soutienne et n'idéalise pas le sacrifices des unes pour les autres.".
Regula Strobel établit un parallèle avec la mondialisation actuelle de l'économie et la logique de la théologie du sacrifice et de la croix. Au nom de la survie des entreprises, on sacrifie des postes de travail. Ce sont les décideurs qui définissent qui doit se sacrifier, soit disant pour le bien de tous, en réalité pour le profit des actionnaires. Les sacrifiés n'ont pas choisi leur mise au chômage.
"Il faut changer cette structure de pensée de la nécessité des sacrifices et combattre l'idée que le sacrifice a un sens. Ce qui est important, c'est de s'engager solidairement pour un monde où tout le monde puisse vivre. Souffrir n'est pas la volonté de Dieu et la croix n'est pas le prix de l'amour. Pour moi, la résurrection est la réponse de Dieu à la crucifixion. Je suis résolument pour une théologie du salut!"
La position de Regula Strobel s'inscrit dans le courant actuel de la pensée théologique, estime Lytta Basset, professeur de théologie pratique à l'Université de Lausanne, qui a mené un important travail sur le mal subi, la culpabilité et le pardon. Elle aussi dénonce le dolorisme qui veut conférer à la douleur une valeur morale.
"Si notre cœur nous accuse, Dieu est plus grand que notre cœur et il discerne tout", tient à rappeler la théologienne, empruntant à l'Epître de Jean ce verset (1 Jean/3/20) pour présenter son tout dernier ouvrage* qui propose une approche protestante de la culpabilité. A l'instar de Regula Strobel, elle est convaincue que Dieu se bat contre le mal pour que triomphe la vie.
ProtestInfo/Nicole Métral
§* Lytta Basset, Culpabilité, éd. Labor et Fides, 96 pages, mai 2000.
"Crucifié pour nous, pour sauver le monde?" Paru sous ce titre, son texte déclencha une tempête d'indignation dans les milieux ecclésiastiques des deux confessions, catholique et protestante. Elle fut tancée par sa hiérarchie; Ingold Dalferth, professeur de la Faculté protestante de théologie de Zurich, répliqua par un long article indigné dans un supplément de l'hebdomadaire "Reformierte Presse" de l'Eglise évangélique réformée de Suisse alémanique pour rappeler que le sacrifice est "la chance de la vie". A lire l'article d'Ingold Dalferth, on réalise que les deux théologiens ne sont visiblement pas d'accord sur le sens du mot "sacrifice". Au "don de soi" qu'entend le théologien zurichois, Regula Strobel préfère les termes de solidarité et de partage.
Petite femme hâlée par des randonnées à vélo , - elle fait partie des Verts fribourgeois - elle a l'accueil direct, simple, chaleureux. Dans le cadre de son travail en paroisse, elle a été souvent en contact avec des victimes de violences conjugales et des mères dont le compagnon abuse de leurs enfants. Elle se dit frappée par la passivité de ces femmes qui s'estiment seules coupables de ce qui leur arrive. "Se croire coupable soi-même de ce que les autres vous font subir, c'est objectivement protéger les auteurs de violence".
Féministe convaincue, elle a décidé de pourfendre la théologie de la croix et du sacrifice qui, à son avis, fait tant de ravages parmi les femmes, et de lui opposer une théologie de la libération et de la solidarité qui ne voit pas la crucifixion de Jésus comme voulue par Dieu.
"Je réfute cette idée que la souffrance est la volonté de Dieu, cette théologie qui fait de la victime un sacrifice utile. Jésus sur la croix fut la victime du gouvernement autoritaire de l'occupant romain qui ne tolérait pas les fauteurs de troubles et leur infligeait des supplices exemplaires. Pour moi, sa mort n'a pas été planifiée par Dieu pour sauver le monde. La théologie qui justifie le sacrifice par le rachat de nos péchés ne fait que continuer à soutenir le pouvoir des puissants, cautionner les abus de pouvoir et perpétuer la violence".
§La violence n'est pas une fatalité"La violence n'est pas une fatalité et les femmes ont des possibilités de se protéger et le devoir de protéger leurs enfants. Il faut une théologie qui les soutienne et ne glorifie pas le sacrifice de la victime, une image de Dieu qui les soutienne et n'idéalise pas le sacrifices des unes pour les autres.".
Regula Strobel établit un parallèle avec la mondialisation actuelle de l'économie et la logique de la théologie du sacrifice et de la croix. Au nom de la survie des entreprises, on sacrifie des postes de travail. Ce sont les décideurs qui définissent qui doit se sacrifier, soit disant pour le bien de tous, en réalité pour le profit des actionnaires. Les sacrifiés n'ont pas choisi leur mise au chômage.
"Il faut changer cette structure de pensée de la nécessité des sacrifices et combattre l'idée que le sacrifice a un sens. Ce qui est important, c'est de s'engager solidairement pour un monde où tout le monde puisse vivre. Souffrir n'est pas la volonté de Dieu et la croix n'est pas le prix de l'amour. Pour moi, la résurrection est la réponse de Dieu à la crucifixion. Je suis résolument pour une théologie du salut!"
La position de Regula Strobel s'inscrit dans le courant actuel de la pensée théologique, estime Lytta Basset, professeur de théologie pratique à l'Université de Lausanne, qui a mené un important travail sur le mal subi, la culpabilité et le pardon. Elle aussi dénonce le dolorisme qui veut conférer à la douleur une valeur morale.
"Si notre cœur nous accuse, Dieu est plus grand que notre cœur et il discerne tout", tient à rappeler la théologienne, empruntant à l'Epître de Jean ce verset (1 Jean/3/20) pour présenter son tout dernier ouvrage* qui propose une approche protestante de la culpabilité. A l'instar de Regula Strobel, elle est convaincue que Dieu se bat contre le mal pour que triomphe la vie.
ProtestInfo/Nicole Métral
§* Lytta Basset, Culpabilité, éd. Labor et Fides, 96 pages, mai 2000.