Dialogue Eglises-chefs d'entreprise: pour quels résultats?
14 août 2000
Fusions d'entreprises, assurances sociales, désendettement, génie génétique: Les Eglises cherchent à stimuler la conscience sociale des chefs d'entreprise et les rendre attentifs aux enjeux écologiques et humains de leurs activités
Avec quels résultats? Réponses d'Hanz-Balz Peter, directeur de l'Institut d'éthique sociale de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse, et initiateur du "Groupe de dialogue Eglise-Economie" qui réunit Alex Krauer, PDG de l'UBS, Helmut Maucher, PDG de Nestlé, Daniel Vasela, PDG de Novartis, Lukas Mühlemann, PDG du Crédit suisse, Walter Kielholz, PDG de Swissreassurance, Andreas Koopmann, PDG de Bobst.
Photos disponibles à la rédaction de ProtestInfo au (021)312 89 54, fax. (021) 323 47 21, e-mail. info@protestinfo.ch§Comment est né le "Groupe de dialogue Eglise-économie"?Tout a commencé en 1973, au moment où les activités de Nestlé dans le Tiers Monde suscitait la colère des organisations tiers-mondistes. A cette époque, les chefs d'entreprise considéraient les tiers-mondistes liés aux Eglises comme des idéologues tentant de détruire le système capitaliste. Le conflit était virulent. Mais, de notre côté, nous voulions initier un dialogue avec eux afin de pouvoir débattre de nos fortes divergences, et, si possible, tenter de trouver un chemin commun. Nos premiers interlocuteurs ont été Philippe de Weck, patron de l'UBS, Werner Kuster, Secrétaire de la Société suisse de l'industrie chimique, et Arthur Fürer, PDG de Nestlé. De fil en aiguille, le groupe s'est agrandi. Il rassemble aujourd'hui des représentants de l'UBS, du Crédit Suisse, de Nestlé, Bobst, Swiss Reassurance, Novartis et Swisscom. Nous nous réunissons deux fois par année pour évoquer les grandes questions du moment.
§Par exemple?Les fusions d'entreprises, le désendettement, l'effet de serre, le génie génétique, la corruption, l'avenir du système social. Le groupe s'est récemment prononcé en faveur du congé maternité et pour une action décisive de la Confédération en faveur de la fondation de solidarité. Je crois que ce type de contacts avec les capitaines d'industrie leur permet d'intégrer de nouvelles idées.
§Justement. Entendent-ils vos appels à davantage de responsabilité sociale et environnementale?Je crois que oui. Vous savez, il serait faux d'imaginer que les chefs d'entreprises participant à ce groupe de dialogue sont des personnes sans morale face à des hommes d'Eglise moraux. Tous se définissent comme chrétiens et sont animés par le désir de donner une orientation éthique à leur action. Et c'est ensemble que nous y travaillons. Une entreprise comme Novartis a développé une politique de protection de l'environnement qui va parfois plus loin que celle des Eglises. Voilà longtemps qu'elle ne dissimule plus les accidents écologiques. Quand, il y a quelques années, elle a pollué une région dans le New Jersey, elle n'a pas attendu que le scandale éclate pour payer des dommages et intérêts. La transparence fait maintenant partie intégrante de sa politique et elle n'hésite pas à licencier les cadres qui ne s'adaptent pas à ce nouveau type de management. D'autre part, nous avons aussi publié une brochure précisant la responsabilité des entreprises dans les pays à régime dictatorial, qui a été utilisée chez Ciba-Geigy, UBS et Nestlé, pour former leurs cadres supérieurs.
§Certaines Eglises, notamment aux Etats-Unis, se livrent à un bras de fer avec les milieux de l'économie. Elles interviennent dans les Assemblées générales d'actionnaires et vendent les actions des entreprises dont elles désapprouvent la politique. Cette stratégie offensive n'est-elle pas plus efficace pour inciter les entreprises à respecter des critères éthiques?Cela n'est pas possible de la même manière en Suisse. D'une part, nos Eglises ne disposent pas de grandes fortunes investies en actions qui leur permettraient d'influencer la politique des entreprises. Leur financement dépend des impôts dont une large part est payée, dans plusieurs cantons, par les entreprises. En outre, les Eglises protestantes et catholiques sont multitudinistes, c'est-à-dire qu'elles sont au service de la société toute entière, quelle que soient les options politique ou économique des gens. Elles ne s'identifient pas à une vision du monde, pas plus qu'elles n'ont de doctrine précise sur le rôle public que doivent jouer les Eglises, l'économie ou la politique. A mon avis, le rôle des Eglises n'est pas d'avoir réponse à tout ou de donner des directives morales aux entreprises. Nous avons plutôt à poser des questions pertinentes, à veiller à ce que l'humain soit respecté dans les décisions économiques, à faire en sorte que les droits des travailleurs et la solidarité aient autant de poids que la concurrence et le profit. C'est notre contribution au dialogue général de la société. Et ce n'est pas tragique si les Eglises n'ont pas une attitude militante, car bien d'autres organisations jouent ce rôle.
§On a tout de même l'impression que les Eglises rendent hommage à l'économie. Pour preuve, c'est Alex Krauer, le PDG de l'UBS, qui était l'invité d'honneur de la dernière Assemblée des délégués de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse.Alex Krauer a en effet eu l'occasion d'exposer son point de vue sur le futur de la Suisse à l'occasion d'un débat avec Yvette Jaggi. Si nous avons invité Alex Krauer, c'est qu'il manifeste un intérêt éthique évident, et qu'il est prêt à s'engager aux côtés des Eglises dans la construction d'une société humaine et responsable. Pour lui, le respect des collaborateurs et de l'environnement sont tout aussi importants que la recherche du profit. De ce fait, je crois que les Eglises doivent dialoguer avec quelqu'un comme Alex Krauer et stimuler sa sensibilité aux enjeux environnementaux et sociaux. Raison pour laquelle il fait partie – avec plusieurs autres - depuis de longues années du "Groupe de dialogue Eglise-Economie". J'apprécie à sa juste valeur le fait qu'un PDG suroccupé trouve le temps de participer à ces dialogues qui ne débouchent sur aucun résultat tangibles. C'est un témoignage de confiance et d'engagement moral.
§Etes-vous parfois en conflit avec vos interlocuteurs de l'économie?Bien sûr. Nous ne sommes pas d'accord sur les fusions d'entreprise et l'avenir des d'assurances sociales. Nos interlocuteurs pensent que la prévoyance est un problème individuel, alors que de notre côté, nous sommes d'avis qu'elle doit reposer sur la solidarité vis-à-vis des plus faibles. Dans le cas des fusions, nous pensons que beaucoup d'entre elles ne se justifient pas. Mais ces désaccords ne remettent pas en cause l'existence du "Groupe de dialogue Eglise-Economie" qui, dans l'ensemble, a des retombées positives. Vous savez, les PDG sont de fortes personnalités qui n'ont pas de double langage. Quand ils prennent conscience d'une réalité, ils n'hésitent pas à modifier immédiatement la politique de leur entreprise. J'ai entendu plusieurs témoignages le confirmant. Et comme ils sont au sommet d'une structure hiérarchique assez autoritaire, le changement est rapide.
§Propos recueillis par Jacques-Olivier Pidoux/ ProtestInfoPhotos disponibles à la rédaction de Protestinfo, tél 021/ 312 89 54, fax 323 47 21, e-mail: info@protestinfo.ch
Photos disponibles à la rédaction de ProtestInfo au (021)312 89 54, fax. (021) 323 47 21, e-mail. info@protestinfo.ch§Comment est né le "Groupe de dialogue Eglise-économie"?Tout a commencé en 1973, au moment où les activités de Nestlé dans le Tiers Monde suscitait la colère des organisations tiers-mondistes. A cette époque, les chefs d'entreprise considéraient les tiers-mondistes liés aux Eglises comme des idéologues tentant de détruire le système capitaliste. Le conflit était virulent. Mais, de notre côté, nous voulions initier un dialogue avec eux afin de pouvoir débattre de nos fortes divergences, et, si possible, tenter de trouver un chemin commun. Nos premiers interlocuteurs ont été Philippe de Weck, patron de l'UBS, Werner Kuster, Secrétaire de la Société suisse de l'industrie chimique, et Arthur Fürer, PDG de Nestlé. De fil en aiguille, le groupe s'est agrandi. Il rassemble aujourd'hui des représentants de l'UBS, du Crédit Suisse, de Nestlé, Bobst, Swiss Reassurance, Novartis et Swisscom. Nous nous réunissons deux fois par année pour évoquer les grandes questions du moment.
§Par exemple?Les fusions d'entreprises, le désendettement, l'effet de serre, le génie génétique, la corruption, l'avenir du système social. Le groupe s'est récemment prononcé en faveur du congé maternité et pour une action décisive de la Confédération en faveur de la fondation de solidarité. Je crois que ce type de contacts avec les capitaines d'industrie leur permet d'intégrer de nouvelles idées.
§Justement. Entendent-ils vos appels à davantage de responsabilité sociale et environnementale?Je crois que oui. Vous savez, il serait faux d'imaginer que les chefs d'entreprises participant à ce groupe de dialogue sont des personnes sans morale face à des hommes d'Eglise moraux. Tous se définissent comme chrétiens et sont animés par le désir de donner une orientation éthique à leur action. Et c'est ensemble que nous y travaillons. Une entreprise comme Novartis a développé une politique de protection de l'environnement qui va parfois plus loin que celle des Eglises. Voilà longtemps qu'elle ne dissimule plus les accidents écologiques. Quand, il y a quelques années, elle a pollué une région dans le New Jersey, elle n'a pas attendu que le scandale éclate pour payer des dommages et intérêts. La transparence fait maintenant partie intégrante de sa politique et elle n'hésite pas à licencier les cadres qui ne s'adaptent pas à ce nouveau type de management. D'autre part, nous avons aussi publié une brochure précisant la responsabilité des entreprises dans les pays à régime dictatorial, qui a été utilisée chez Ciba-Geigy, UBS et Nestlé, pour former leurs cadres supérieurs.
§Certaines Eglises, notamment aux Etats-Unis, se livrent à un bras de fer avec les milieux de l'économie. Elles interviennent dans les Assemblées générales d'actionnaires et vendent les actions des entreprises dont elles désapprouvent la politique. Cette stratégie offensive n'est-elle pas plus efficace pour inciter les entreprises à respecter des critères éthiques?Cela n'est pas possible de la même manière en Suisse. D'une part, nos Eglises ne disposent pas de grandes fortunes investies en actions qui leur permettraient d'influencer la politique des entreprises. Leur financement dépend des impôts dont une large part est payée, dans plusieurs cantons, par les entreprises. En outre, les Eglises protestantes et catholiques sont multitudinistes, c'est-à-dire qu'elles sont au service de la société toute entière, quelle que soient les options politique ou économique des gens. Elles ne s'identifient pas à une vision du monde, pas plus qu'elles n'ont de doctrine précise sur le rôle public que doivent jouer les Eglises, l'économie ou la politique. A mon avis, le rôle des Eglises n'est pas d'avoir réponse à tout ou de donner des directives morales aux entreprises. Nous avons plutôt à poser des questions pertinentes, à veiller à ce que l'humain soit respecté dans les décisions économiques, à faire en sorte que les droits des travailleurs et la solidarité aient autant de poids que la concurrence et le profit. C'est notre contribution au dialogue général de la société. Et ce n'est pas tragique si les Eglises n'ont pas une attitude militante, car bien d'autres organisations jouent ce rôle.
§On a tout de même l'impression que les Eglises rendent hommage à l'économie. Pour preuve, c'est Alex Krauer, le PDG de l'UBS, qui était l'invité d'honneur de la dernière Assemblée des délégués de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse.Alex Krauer a en effet eu l'occasion d'exposer son point de vue sur le futur de la Suisse à l'occasion d'un débat avec Yvette Jaggi. Si nous avons invité Alex Krauer, c'est qu'il manifeste un intérêt éthique évident, et qu'il est prêt à s'engager aux côtés des Eglises dans la construction d'une société humaine et responsable. Pour lui, le respect des collaborateurs et de l'environnement sont tout aussi importants que la recherche du profit. De ce fait, je crois que les Eglises doivent dialoguer avec quelqu'un comme Alex Krauer et stimuler sa sensibilité aux enjeux environnementaux et sociaux. Raison pour laquelle il fait partie – avec plusieurs autres - depuis de longues années du "Groupe de dialogue Eglise-Economie". J'apprécie à sa juste valeur le fait qu'un PDG suroccupé trouve le temps de participer à ces dialogues qui ne débouchent sur aucun résultat tangibles. C'est un témoignage de confiance et d'engagement moral.
§Etes-vous parfois en conflit avec vos interlocuteurs de l'économie?Bien sûr. Nous ne sommes pas d'accord sur les fusions d'entreprise et l'avenir des d'assurances sociales. Nos interlocuteurs pensent que la prévoyance est un problème individuel, alors que de notre côté, nous sommes d'avis qu'elle doit reposer sur la solidarité vis-à-vis des plus faibles. Dans le cas des fusions, nous pensons que beaucoup d'entre elles ne se justifient pas. Mais ces désaccords ne remettent pas en cause l'existence du "Groupe de dialogue Eglise-Economie" qui, dans l'ensemble, a des retombées positives. Vous savez, les PDG sont de fortes personnalités qui n'ont pas de double langage. Quand ils prennent conscience d'une réalité, ils n'hésitent pas à modifier immédiatement la politique de leur entreprise. J'ai entendu plusieurs témoignages le confirmant. Et comme ils sont au sommet d'une structure hiérarchique assez autoritaire, le changement est rapide.
§Propos recueillis par Jacques-Olivier Pidoux/ ProtestInfoPhotos disponibles à la rédaction de Protestinfo, tél 021/ 312 89 54, fax 323 47 21, e-mail: info@protestinfo.ch