Le Niger cherche son salut dans la Charia
15 novembre 2000
Manifestation d'islamistes à l'occasion du dernier défilé de la mode africaine à Niamey, églises incendiées, ou de manière plus pacifique, apparition dans les rues de femmes voilées à l'iranienne et de petites barbichettes pour les hommes, les indices ne manquent pas
Bien que musulman à 95%, le Niger développe depuis quelques années les symptômes d'une radicalisation de son Islam. Entre influences étrangères et délabrement intérieur, ce pays d'Afrique de l'Ouest est-il en train de se convertir en "République islamique", à l'image des états du nord de son grand voisin le Nigeria? Quelques bancs en bois, un tableau noir couvert de caractères arabes. Dans la salle de classe, des dizaines d'enfants récitent des versets du Coran. Les filles sont voilées, comme en Arabie Saoudite ou en Iran. La scène se déroule pourtant à des milliers de kilomètres de Riyad ou de Téhéran. Nous sommes à Tibiri, petite ville voisine de ce celle qu'on appelle déjà " la capitale de l'Islam radical ", Maradi. La région : L'ancien royaume Haoussa qui recouvre le sud du Niger et les Etats du Nord du Nigeria, ceux-là même qui, il y a quelques mois, ont adopté la chari'a en guise de code pénal. Entre les deux pays, la frontière est quasi inexistante et la contrebande, même "religieuse" est monnaie courante.
A Tibiri, on ne coupe pas encore les mains des voleurs, on ne lapide pas encore les prostituées. Mais les écoles coraniques font le plein. "Il n'y en avait pas il y a cinq ans et aujourd'hui, on en compte une dizaine dans cette localité se réjouit Zabeyrou Abbas, un des enseignants. Le succès ? Il tient selon lui à la "prise de conscience" de la population. "Les Nigériens sont traditionnellement musulmans. Depuis quelques années, ils se rendent compte qu'un vrai musulman doit pratiquer sa religion et que la pratique, elle s'apprend. Aujourd'hui, les parents font de leur mieux pour inscrire leurs enfants dans les écoles coraniques."
§L'ombre de l'Arabie saouditeManifeste dans les rues où les voiles islamiques ont remplacé les traditionnels pagnes et où les mosquées poussent un peu partout, cette effervescence religieuse s'explique par plusieurs raisons. Les plus convaincus parlent du renouveau d'un Islam trop englué par la religion traditionnelle animiste et qui cherche à retrouver sa "pureté" d'origine, même au prix d'emprunts culturels aux nations arabes.
L'influence de pays comme l'Arabie Saoudite, le puissant voisin Nigeria, l'Iran ou encore la Libye justement. Elle saute aux yeux au Niger : la grande mosquée de Niamey est surnommée "la mosquée Kadhafi " grâce à son financement libyen. Il y a aussi ces dizaines de lieux de prière le long des 600 kilomètres entre la capitale et Maradi : des édifices à l'architecture identique, tous flambant neufs et devant lesquels une plaque indique le nom du généreux donateur : des ONG islamiques pour la plupart. Ces investissements énormes répondent à des stratégies précises de certains pays arabes.
"Prenez l'Arabie Saoudite, explique Addo Mahamane,directeur du département d'histoire de l'Université de Niamey. Il y a bien sûr cette fameuse solidarité de l'Umma, la communauté musulmane. Mais plus profondément, ce pays tire de gros avantages de sa politique d'islamisation des sociétés africaines. D'abord, ce sont des millions de pèlerins qui viendront dépenser leur argent à La Mecque ou dans d'autres les lieux saints. Sur le plan diplomatique, le Niger comme d'autres pays peut devenir un allié de plus sur la scène internationale", conclut l'historien. Par rapport à l'Occident bien sûr, mais aussi pour damner le pion à son frère ennemi qui lui aussi investit massivement en Afrique, l'Iran.
§Délabrement généraliséCe renouveau de l'Islam ne s'explique pas simplement par l'influence étrangère. Pour beaucoup, il va de pair avec l'appauvrissement de la population. Le ministre nigérien du Développement rural vient d'annoncer un déficit céréalier de plus de 160'000 tonnes pour cette année. Une fois de plus, à cause de la sécheresse, les récoltes ont été catastrophiques et plus de 4 millions de Nigériens sont menacés de famine. Les jeunes trouvent pas de bourses pour leur études. Les salaires des fonctionnaires ne sont régulièrement pas versés. Et puis il y a la corruption qui gangrène le pays. "Dans ce contexte de délabrement généralisé, on peut comprendre que les étudiants acceptent volontiers les bourses que leur propose par exemple l'Egypte, et sa fameuse université Al Azhar du Caire. Ces mêmes étudiants trouveront ensuite plus facilement un travail soit dans des ONG islamistes, soit en ouvrant des agences de pèlerinage. Et puis, plus profondément, les Nigériens pensent qu'en se tournant vers Dieu, ils trouveront réponses à leurs questions. D'autant qu'il existe un antécédent historique dans ce pays. Au siècle dernier, la population, sous la direction de responsables religieux, a renversé le pouvoir qui était aux mains d'une caste corrompue. L'instauration d'une république islamique, cent ans avant l'Iran, laisse entendre que la "mal gourvenance " comme on l'appelle au Niger, trouve son origine dans le non respect des commandements divins. Il suffirait soi-disant d'obéir à Dieu pour que la "bonne gouvernance" suive. C'est un leurre, rétorque Addo Mahamane. Y a-t-il vraiment moins de corruption en Arabie Saoudite qu'au Niger ? Trouvez-vous un seul exemple dans le monde où l'application de la Charia a amélioré la condition des populations?
Détérioration des conditions de vie, radicalisation de la religion, le phénomène touche aussi la petite communauté chrétienne moins de 5% de la population. Une partie d'entre elle, principalement des missions pentecôtistes venues de l'étranger, cherche à convertir à tour de bras. Pas nécessairement d'ailleurs avec la finesse nécessaire et le succès escompté : il y a quelques mois, un prédicateur adventiste étranger, qui avait accusé dans sons sermon le prophète Mahomet d'être "satanique", a dû être évacué par hélicoptère !
§Les chrétiens craignent toutes les dérivesBien que développant également une forte activité missionnaire, les Eglises traditionnelles catholiques et protestantes, misent, elles, sur le développement. Avec l'aide de partenaires étrangers comme l'Entraide protestante suisse (EPER), elles ont ouvert des écoles et des dispensaires, elles creusent des puits. "Le développement est notre seul avenir, déclare Hassane Dan Karami, secrétaire général de l'Eglise Evangélique de la République du Niger. C'est bien ce qui nous inquiète avec la poussée de mouvements fondamentalistes. Ces gens-là refusent le progrès. Ils se réfugient dans la religion. C'est comme pour la Charia. Telle qu'elle est présentée en théorie, nous n'en avons pas peur. Ce que nous craignons, c'est que la Charia, entre les mains de personnes sans culture, se focalisera sur le superficiel et ratera l'essentiel. Et là tous les abus seront permis. Imaginez que les islamistes ont déjà demandé que les postes importants de l'Etat ne soient accordés qu'aux musulmans les plus pratiquants! C'est discriminatoire pour les minorités dont je fais partie, mais c'est surtout une catastrophe pour le développement de mon pays". Même son de cloche auprès de l'Association Nigérienne pour la Défense des Droits de l'Homme. Pour son président Khalid Ikhiri, le seul véritable combat est celui contre la pauvreté. "Peut-on attendre d'un homme qui n'a pas mangé depuis des jours de faire des choix raisonnables ?" s'interroge ce musulman pratiquant.
"Concernant la Charia, sachez que je n'ai pas de complexe devant les croyants saoudiens ou iraniens, déclare en souriant ce touareg qui aime les questions. Ensuite , poursuit-il, l'exagération n'est-elle pas un péché dans l'Islam ? Croyez-vous que les "purs et durs" soient nécessairement les meilleurs musulmans ? " . Avant que ne s'efface son sourire. "Les groupes radicaux bafouent la dignité humaine. Ils sont un danger pour la bonne entente qui règne dans ce pays. "
Au Niger, c'est la Constitution qui règle les rapports entre les mosquées et l'Etat. Aujourd'hui, la laïcité y demeure inscrite. Mais pour combien de temps encore ? L'instabilité politique a permis aux islamistes - lors des trois révisions de la Constitution ces dix dernières années ! - de revenir à la charge pour faire du Niger une république islamique. Malgré la réticence des militaires et la fermeté du gouvernement actuel (ou à cause d'elles), la prochaine fois sera peut-être la bonne. A Maradi en tous cas, on s'y prépare activement. Les enfants aussi.
A Tibiri, on ne coupe pas encore les mains des voleurs, on ne lapide pas encore les prostituées. Mais les écoles coraniques font le plein. "Il n'y en avait pas il y a cinq ans et aujourd'hui, on en compte une dizaine dans cette localité se réjouit Zabeyrou Abbas, un des enseignants. Le succès ? Il tient selon lui à la "prise de conscience" de la population. "Les Nigériens sont traditionnellement musulmans. Depuis quelques années, ils se rendent compte qu'un vrai musulman doit pratiquer sa religion et que la pratique, elle s'apprend. Aujourd'hui, les parents font de leur mieux pour inscrire leurs enfants dans les écoles coraniques."
§L'ombre de l'Arabie saouditeManifeste dans les rues où les voiles islamiques ont remplacé les traditionnels pagnes et où les mosquées poussent un peu partout, cette effervescence religieuse s'explique par plusieurs raisons. Les plus convaincus parlent du renouveau d'un Islam trop englué par la religion traditionnelle animiste et qui cherche à retrouver sa "pureté" d'origine, même au prix d'emprunts culturels aux nations arabes.
L'influence de pays comme l'Arabie Saoudite, le puissant voisin Nigeria, l'Iran ou encore la Libye justement. Elle saute aux yeux au Niger : la grande mosquée de Niamey est surnommée "la mosquée Kadhafi " grâce à son financement libyen. Il y a aussi ces dizaines de lieux de prière le long des 600 kilomètres entre la capitale et Maradi : des édifices à l'architecture identique, tous flambant neufs et devant lesquels une plaque indique le nom du généreux donateur : des ONG islamiques pour la plupart. Ces investissements énormes répondent à des stratégies précises de certains pays arabes.
"Prenez l'Arabie Saoudite, explique Addo Mahamane,directeur du département d'histoire de l'Université de Niamey. Il y a bien sûr cette fameuse solidarité de l'Umma, la communauté musulmane. Mais plus profondément, ce pays tire de gros avantages de sa politique d'islamisation des sociétés africaines. D'abord, ce sont des millions de pèlerins qui viendront dépenser leur argent à La Mecque ou dans d'autres les lieux saints. Sur le plan diplomatique, le Niger comme d'autres pays peut devenir un allié de plus sur la scène internationale", conclut l'historien. Par rapport à l'Occident bien sûr, mais aussi pour damner le pion à son frère ennemi qui lui aussi investit massivement en Afrique, l'Iran.
§Délabrement généraliséCe renouveau de l'Islam ne s'explique pas simplement par l'influence étrangère. Pour beaucoup, il va de pair avec l'appauvrissement de la population. Le ministre nigérien du Développement rural vient d'annoncer un déficit céréalier de plus de 160'000 tonnes pour cette année. Une fois de plus, à cause de la sécheresse, les récoltes ont été catastrophiques et plus de 4 millions de Nigériens sont menacés de famine. Les jeunes trouvent pas de bourses pour leur études. Les salaires des fonctionnaires ne sont régulièrement pas versés. Et puis il y a la corruption qui gangrène le pays. "Dans ce contexte de délabrement généralisé, on peut comprendre que les étudiants acceptent volontiers les bourses que leur propose par exemple l'Egypte, et sa fameuse université Al Azhar du Caire. Ces mêmes étudiants trouveront ensuite plus facilement un travail soit dans des ONG islamistes, soit en ouvrant des agences de pèlerinage. Et puis, plus profondément, les Nigériens pensent qu'en se tournant vers Dieu, ils trouveront réponses à leurs questions. D'autant qu'il existe un antécédent historique dans ce pays. Au siècle dernier, la population, sous la direction de responsables religieux, a renversé le pouvoir qui était aux mains d'une caste corrompue. L'instauration d'une république islamique, cent ans avant l'Iran, laisse entendre que la "mal gourvenance " comme on l'appelle au Niger, trouve son origine dans le non respect des commandements divins. Il suffirait soi-disant d'obéir à Dieu pour que la "bonne gouvernance" suive. C'est un leurre, rétorque Addo Mahamane. Y a-t-il vraiment moins de corruption en Arabie Saoudite qu'au Niger ? Trouvez-vous un seul exemple dans le monde où l'application de la Charia a amélioré la condition des populations?
Détérioration des conditions de vie, radicalisation de la religion, le phénomène touche aussi la petite communauté chrétienne moins de 5% de la population. Une partie d'entre elle, principalement des missions pentecôtistes venues de l'étranger, cherche à convertir à tour de bras. Pas nécessairement d'ailleurs avec la finesse nécessaire et le succès escompté : il y a quelques mois, un prédicateur adventiste étranger, qui avait accusé dans sons sermon le prophète Mahomet d'être "satanique", a dû être évacué par hélicoptère !
§Les chrétiens craignent toutes les dérivesBien que développant également une forte activité missionnaire, les Eglises traditionnelles catholiques et protestantes, misent, elles, sur le développement. Avec l'aide de partenaires étrangers comme l'Entraide protestante suisse (EPER), elles ont ouvert des écoles et des dispensaires, elles creusent des puits. "Le développement est notre seul avenir, déclare Hassane Dan Karami, secrétaire général de l'Eglise Evangélique de la République du Niger. C'est bien ce qui nous inquiète avec la poussée de mouvements fondamentalistes. Ces gens-là refusent le progrès. Ils se réfugient dans la religion. C'est comme pour la Charia. Telle qu'elle est présentée en théorie, nous n'en avons pas peur. Ce que nous craignons, c'est que la Charia, entre les mains de personnes sans culture, se focalisera sur le superficiel et ratera l'essentiel. Et là tous les abus seront permis. Imaginez que les islamistes ont déjà demandé que les postes importants de l'Etat ne soient accordés qu'aux musulmans les plus pratiquants! C'est discriminatoire pour les minorités dont je fais partie, mais c'est surtout une catastrophe pour le développement de mon pays". Même son de cloche auprès de l'Association Nigérienne pour la Défense des Droits de l'Homme. Pour son président Khalid Ikhiri, le seul véritable combat est celui contre la pauvreté. "Peut-on attendre d'un homme qui n'a pas mangé depuis des jours de faire des choix raisonnables ?" s'interroge ce musulman pratiquant.
"Concernant la Charia, sachez que je n'ai pas de complexe devant les croyants saoudiens ou iraniens, déclare en souriant ce touareg qui aime les questions. Ensuite , poursuit-il, l'exagération n'est-elle pas un péché dans l'Islam ? Croyez-vous que les "purs et durs" soient nécessairement les meilleurs musulmans ? " . Avant que ne s'efface son sourire. "Les groupes radicaux bafouent la dignité humaine. Ils sont un danger pour la bonne entente qui règne dans ce pays. "
Au Niger, c'est la Constitution qui règle les rapports entre les mosquées et l'Etat. Aujourd'hui, la laïcité y demeure inscrite. Mais pour combien de temps encore ? L'instabilité politique a permis aux islamistes - lors des trois révisions de la Constitution ces dix dernières années ! - de revenir à la charge pour faire du Niger une république islamique. Malgré la réticence des militaires et la fermeté du gouvernement actuel (ou à cause d'elles), la prochaine fois sera peut-être la bonne. A Maradi en tous cas, on s'y prépare activement. Les enfants aussi.