Liberté religieuse en Europe: va-t-on vers la tolérance ou l'Inquisition?

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Liberté religieuse en Europe: va-t-on vers la tolérance ou l'Inquisition?

2 février 2001
Un important colloque international sur la liberté religieuse en Europe occidentale vient de se tenir à Paris à l'initiative de L'Association internationale pour la défense de la liberté religieuse (AIDLR)
Intitulé "Droits de l'homme et liberté de religion: pratiques en Europe occidentale", le colloque a réuni des experts de l'ONU, de l'Unesco, des avocats, des juges, des hauts fonctionnaires et des sociologues. Pendant quatre jours, les participants ont évoqué les pratiques en vigueur dans les différents pays de l'Union européenne dans un contexte où la définition de la religion est controversée et où apparaissent une constellation de groupuscules mêlant religion, thérapie et commerce, qui suscitent une certaine crainte dans la population et entraîne la suspicion, voire la répression, des autorités politiques. Pourquoi traiter de la liberté religieuse en Europe de l'Ouest?, s'est interrogé Alberto de la Hera, directeur général des affaires religieuses au Ministère de la justice espagnol, dans son allocution ouvrant le colloque. L'Europe de l'Ouest semble en effet offrir aux différentes convictions religieuses un champ d'action et d'expression rarement égalé sur la planète, et ce n'est que très exceptionnellement que des pays ouest-européens sont mentionnés dans les rapports des ONG pour atteintes à la liberté de religion, et pour des cas d'un faible niveau de gravité. Au travers du Traité de Rome de 1950, L'Europe de l'Ouest fut d'ailleurs la première à se doter d'une norme sur les droits humains, parmi lesquels la liberté de religion, et d'un tribunal, la Cour européenne de Strasbourg, afin de sauvegarder ces droits. "Les droits de l'homme et la liberté religieuse ont atteint dans cette partie du monde un très haut niveau de reconnaissance", a noté Alberto de la Hera

§Foulard islamiqueLe paysage religieux du vieux continent subit pourtant d'importantes transformations. L'apparition d'une multitude de groupements philosophiques et ésotériques à caractère spirituel a ôté aux grandes Eglises le monopole du surnaturel. Par ailleurs, les communautés d'immigrants – notamment les 10 millions de musulmans habitant en Europe de l'Ouest - aspirent à une plus grande reconnaissance et à un statut se rapprochant de celui des confessions chrétiennes historiques. Mais ce désir se heurte à des crispations, comme en témoignent les récentes affaires de foulard islamique porté à l'école par des jeunes filles musulmanes. En Belgique, le foulard est interdit pour autant que "les élèves au foulard" puissent être accueillies dans une autre école dans un rayon de 20 kilomètres, a précisé Louis-Léon Christians, maître de conférences à l'Université de Louvain-la-Neuve. En Italie, le foulard est admis et ne cause pas de frictions, tout le monde étant habitué à voir dans les écoles des religieuses catholiques portant les habits de leur ordre: "Les religieuses catholiques ont favorisé la liberté religieuse", a souligné Francesco Margiotta-Broglio, président de la commission italienne pour la liberté religieuse et représentant de l'Italie à l'Unesco.

Ancien membre du Conseil constitutionnel, Jacques Robert a estimé que l'interdiction du foulard islamique représentait une atteinte à la liberté religieuse: "On a le droit de porter un foulard, une kippa ou une croix". Il n'a admis qu'une seule exception à cette règle, le cas où le port du foulard correspond à la volonté de perturber la bonne marche d'un établissement scolaire. Quant à Abdelfattah Amor, rapporteur spécial des Nations Unis sur l'intolérance religieuse, il a rappelé que le Coran invite à un habit décent mais n'impose pas de tenue fixe: "Les femmes sans foulard ne sont pas moins musulmanes que les autres portant le foulard".

§La religion introuvableLes participants du colloque ont aussi constaté combien l'Europe occidentale était désorientée par l'apparition de dizaines de groupements dont les membres sont rassemblés par une quête de sens assimilable à celle des Eglises traditionnelles. Dès lors, comment réussir à distinguer les vraies religions du charlatanisme? Face à ce problème, les experts sont forcés d'avouer leur impuissance. Malgré tous leurs efforts, ils échouent à trouver des critères permettant d'établir une hiérarchie fiable: "Aujourd'hui, nous ne disposons pas de bases claires pour décider ce qui est religion et ce qui ne l'est pas", a relevé Patrice Rolland, professeur de droit public. Conséquence, les Etats européens apprécient les situations à leur manière. Ce qui est ressenti comme acceptable dans un pays ne l'est pas forcément ailleurs, surtout en matière de prosélytisme.

Avocat à la cour d'appel de Paris, Alain Garay a cité l'exemple d'un Témoin de Jéhovah condamné pour prosélytisme en Grèce parce qu'il faisait du porte à porte, et qui a obtenu gain de cause devant la Cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg: "Suite à cette affaire, la Cour européenne a demandé à la Grèce de ne plus réprimer pénalement le prosélytisme. Le Ministère de la Justice grec a suivi cette recommandation. Il a édicté une circulaire à l'intention de tous les juges du pays leur demandant de ne plus poursuivre les activités de témoignage".

Toujours en Grèce, un autre Témoin de Jéhovah ayant refusé de faire son service militaire, a été radié de l'ordre des experts comptables au motif que son casier judiciaire n'était pas vierge. Son recours a également été admis par la Cour européenne des droits de l'homme.

§Légiférer?Les participants au colloque se sont alors interrogés pour savoir s'il ne revenait pas aux juges européens de donner une définition claire de la religion permettant de mettre en échec le charlatanisme et le prosélytisme excessif. Cette hypothèse n'a pas trouvé de défenseur: "Depuis 1993, la Cour européenne n'a eu à traiter qu'une vingtaine de cas d'atteintes à la liberté religieuse, a expliqué Jacques Robert. C'est trop peu. Quand il y aura une cinquantaine d'arrêts, on disposera d'un jurisprudence suffisante pour donner à la religion une définition légale pertinente et opérationnelle". Quant à Patrice Rolland, en plus d'une jurisprudence suffisante, il a estimé que la notion de religion devait faire l'objet d'un vaste débat dans la société civile afin de donner aux juges européens les informations nécessaires pour agir en connaissance de cause.

§Défendre le pluralismeIntervenant en fin de colloque, la sociologue Françoise Champion (voir aussi interview ci-dessous) a souhaité que le débat public sur de la définition de religion n'aboutisse pas à la stigmatisation de certains groupements, à l'instar de la politique anti-sectes officielle de la France. "Le pluralisme à la base de nos sociétés implique aussi l'acceptation de groupements religieux peu ouverts".