Evangélisation : l’efficacité à n’importe quel prix ?Le regard critique d'un pasteur neuchâtelois

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Evangélisation : l’efficacité à n’importe quel prix ?Le regard critique d'un pasteur neuchâtelois

21 mai 2001
Dans sa thèse de doctorat, Eric McNeely, pasteur au Locle et assistant à l’Université de Neuchâtel, se penche sur les différentes méthodes pratiquées pour covertir à la foi chrétienne
Rassemblements à l’américaine, porte à porte : le travail de cet assistant et pasteur neuchâtelois porte un regard critique sur la volonté de transformer les gens en robots spirituels, loin de toute écoute ou dialogue. Entre les excès de prosélytisme et le désir de susciter un écho, le chemin semble parfois étroit.

§(Portrait de monsieur Eric McNeely disponible auprès d’Olivier Allenspach, photographe. 079/212.74.14)Internet, publicités agressives, décibels, rassemblements géants ou porte à porte : les évangélistes d’aujourd’hui font dans la modernité. Mais la fin justifie-t-elle vraiment les moyens ? En matière de foi comme ailleurs, la question ne cesse de faire sens comme le montre la thèse d’un assistant de la faculté de théologie de Neuchâtel consacrée à l’évangélisation.

Transmettre la parole divine. L’apôtre Paul considérait cette tâche comme essentielle à son ministère. "Je suis parti d'une interrogation contemporaine, explique Eric McNeely, qui partage son temps entre la faculté de théologie et la paroisse du Locle. Si l'Evangile est la bonne nouvelle, pourquoi a-t-il tant de mal à passer ?" Longtemps présent dans les milieux évangéliques, Eric McNeely constate que les campagnes d'évangélisation interpellent surtout celles et ceux qui sont déjà des chrétiens convaincus. "Au moment de choisir un sujet de thèse, j'ai eu envie d'analyser les méthodes employées en dialoguant avec des orateurs, des évangélistes, des personnes engagées dans des ministères de rue. En me demandant comment faire passer le message biblique, comment toucher les personnes tout en les laissant libres."

§Ouvrir le mystère du royaume de DieuBref, comment convertir à la foi chrétienne en évitant les écueils du prosélytisme ou du fondamentalisme. Comme toujours, tout est d’abord affaire de définition. Celle-ci a beaucoup évolué au cours de l’histoire. Au XIXe siècle, chez les évangéliques, le mot « évangélisation » remplace celui de « mission », lié aux représentations négatives des croisades et de la colonisation. Pour sa part, Eric McNeely reprend à son compte la distinction opérée par Jean-François Zorn, professeur de théologie pratique à Montpellier : d’un côté, il y a la mission, un mouvement de Dieu et de ses envoyés dans le monde. De l’autre, l’évangélisation, le contenu véhiculé par ce mouvement. « Ma définition consisterait à dire que l’évangélisation représente notre manière d’ouvrir le mystère du royaume de Dieu : l’amour, le service, la prédication, l’enseignement, la guérison, la libération. »

Au centre de son travail, la thèse que le médium façonne le message. Plus ce dernier est déconnecté de celui que le transmet, plus grand apparaît le danger qu'il soit mal compris ou interprété. "Je pense, avec Marshall McLuhan que je cite beaucoup, que le but, la finalité définit les méthodes. Et que souvent, l'évangélisation représente un système fermé dans lequel on veut enfermer les gens. A mon sens, l'Evangile doit au contraire demeurer synonyme d'ouverture. Il faut d’abord susciter un écho avant de vouloir transformer son interlocuteur en une sorte de robot spirituel."

Celui qui évangélise, clerc ou laïc, se trouve en position de supériorité, dans le rôle d'un maître qui enseigne. "On néglige souvent l'importance de l'interaction, dans laquelle l'expéditeur est aussi quelque part le destinataire du message et demeure ouvert aux réactions, aux critiques." Pour Eric McNeely, certaines méthodes d'évangélisation ne considèrent pas, à tort, cet élément comme un facteur constitutif. "Durant les cinq dernières années de mon expérience pastorale vécues en milieu protestant traditionnel, j’ai côtoyé beaucoup de personnes en guerre avec les Eglises, qui avaient d'abord besoin d'exprimer leurs colères ou leurs déceptions. L'ouverture ne peut venir qu'après."

§Rester à l’écoute de l’autreL'assistant neuchâtelois pose un regard critique sur deux méthodes d'évangélisation répandues. L'évangélisation de masse, à l'américaine, dans de grandes rencontres avec orchestre, chorale et message sous forme de témoignage. A Neuchâtel, l'évangéliste portoricain Nicky Cruz a ainsi attiré par deux fois plusieurs centaines de personnes à la patinoire du Littoral. "Le danger de ce type de rassemblement est naturellement que l'émotion et le côté spectacle ne prenne le pas sur le fond. La véritable interaction demeure difficile et l'accompagnement souvent impossible." Moins connue, mais plus dangereuse selon Eric McNeely, l'évangélisation explosive. Cette fois, ce sont des fidèles qui pratiquent le porte à porte avec du matériel de type sondage d'opinion. "Ils ont appris à systématiser la doctrine chrétienne. En caricaturant un peu, on peut dire qu’ils doivent se montrer capables de résumer le sens de la Bible en une demi-heure pour susciter un engagement de foi. Malgré l'aspect positif du contact direct, cette pratique repose sur l'unique volonté de faire adhérer à un schéma particulier, à une conversion en bonne et due forme."

Le modèle biblique prôné par Eric McNeely se retrouve dans la rencontre de Jésus avec les disciples d'Emmaüs. Dans le Christ qui, très concrètement, chemine avec eux, ce qui leur permet d'évoquer leurs mauvaises expériences. "Jésus n’assène pas des schémas préétablis et ne cherche pas à s'imposer. Son écoute m'apparaît comme exemplaire et doit nous servir d'exemple dans tout tâche d'évangélisation." Une formule intéressante serait donc celles des églises de maison, endroits de partage où, sous l’égide des paroisses, se rassemblent des personnes interpellées selon leurs affinités. "Il y a le catéchisme, les groupes de jeunes. Mais ensuite, lorsque l'on devient adulte, ces espaces de vie font souvent défaut. Ces églises de maison offrent la possibilité de rencontrer les gens là où ils sont, dans leur propre environnement. Et ils peuvent servir de stimulant aux cultes du dimanche. La diaconie est aussi une formule d'avenir".

Bref, conclut Eric McNeely dans sa thèse de doctorat, vouloir offrir des billets d'entrée pour le paradis n'a plus grand rapport avec le message biblique. "Sauver les gens à tout prix? Mais de quoi ? De l'enfer ? Evitons d’amener les gens à la foi par la peur. La vie spirituelle, comme la vie en général, est un cheminement, une construction. Il ne faut pas avoir peur d'annoncer un message caractérisé par le paradoxe. Cela heurte peut-être notre façon de penser, mais permet aussi de mieux apercevoir les incohérences de notre existence."

§Eric McNeely, thèse de doctorat : Méthodes d’évangélisation : La fin justifie-t-elle les moyens ? Soutenance le vendredi 8 juin à 16h15, Neuchâtel, bâtiment principal de l’Université (avenue du 1er-Mars 26), salle C47, 1er étage.