Quelle éthique pour l'assistance au suicide?
14 juin 2001
L’aide au suicide est au cœur des débats de notre société
La hantise de la phase terminale de la vie avec son cortège de souffrances et la perspective d’un éventuel acharnement thérapeutique inquiètent aujourd’hui bien davantage que la crainte de l’au-delà. L’Institut d’éthique sociale de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS) a consacré une journée de réflexion aux perspectives éthiques de l’assistance au suicide dans les maisons pour personnes âgées. Une réalité dont on parle depuis que la ville de Zurich a ouvert les portes de ses EMS à Exit, qui n'est par contre pas autorisé à entrer dans les EMS en Suisse romande. L’assistance au suicide sera au centre des débats au Parlement cet automne, suite à l’initiative Cavalli. Perpectives.« J’en ai assez, j’aimerais mourir ! », « La situation n’est plus supportable, il faut faire quelque chose », « Je me demande s’ils ne préféreraient pas que je meure » : comment décrypter ces demandes qui ne sont pas toujours à entendre au premier degré ? Cosette Odier, pasteure, formatrice à l’éducation pastorale clinique au CHUV à Lausanne, insiste d’emblée sur la nécessité de chercher à reformuler avec la personne ce qu’elle vient de dire pour comprendre ce qu’elle veut réellement exprimer : son envie de mourir, le besoin de dire ses souffrances, sa détresse ou son sentiment d’être abandonné de tous, d’être nié dans son existence même. « Avant d’être un numéro de lit, j’étais une personne ! » rappelle ce patient très âgé placé en institution.
Chacune de ces demandes est à prendre au sérieux. "Beaucoup de peurs et de souffrances peuvent être allégées par une écoute attentive, un espace pour parler et des soins palliatifs compétents " précise Cosette Odier qui s’est longuement spécialisée au Québec dans ce type de soins. L’équipe soignante, poursuit la pasteure, doit aussi pouvoir trouver un espace pour parler, dire son impuissance face à des patients en fin de vie, renoncer à projeter sur eux ses propres peurs ou son propre désir de les voir vivre. « Certains soignants hésitent parfois à rentrer dans la chambre d’un patient qu’ils savent condamnés parce qu’ils supportent mal d’être renvoyés à leur propre impuissance, constate encore Cosette Odier, il est donc important d’analyser ses propres ambivalences et éviter de plaquer sur les personnes en fin de vie nos valeurs utilitaires contemporaines ».
§Directives anticipées Pour la pasteure genevoise, des directives anticipées concernant ses volontés concernant la fin de la vie, mises par écrit et dûment signées, peuvent être un bon instrument pour l’entourage. Elles l’aideront à agir en fonction de la volonté du patient, du temps où il jouissait encore de toute son autonomie et de sa liberté. L’entourage pourra par exemple prendre les mesures adéquates pour ne pas prolonger des traitements devenus inutiles, afin de respecter son droit à vouloir mourir.
Pour Alberto Bondolfi, professeur à l’Institut d’éthique sociale de l’Université de Zurich comme pour Cosette Odier, la meilleure réponse à une fin de vie digne doit être une médecine palliative efficace et attentive à la grande complexité des situations , qui peut diminuer les demandes d’assistance au suicide. « Chaque suicide est un suicide de trop, estime Alberto Bondolfi, mais on peut le tolérer, à condition de ne pas en faire un droit ».
Les critères contemporains d’une « bonne» mort
L’éthicien s’est demandé pourquoi mourir est devenu un problème pour notre société. Sil a peur de mourir a toujours existé, elle a changé : au moyen-âge par exemple, on avait peur de l’au-delà, de l’enfer et des morts qui pouvaient, pensait-on, tourmenter les vivants. Aujourd’hui, on a peur de la phase terminale de la vie, de cette étape où l’on ne maîtrise plus ni son existence, ni ses facultés. On faisait appel autrefois à la magie et à la prière pour calmer sa peur de l’inconnu. Aujourd’hui on a recours à la médecine et à l’éthique pour tenir la mort en échec. On a défini la « bonne » mort dont l’éthique se résume, pour Alberto Bondolfi, en trois points : le respect de l’autonomie du mourant, qui a le droit de refuser des soins et de ne plus s’alimenter pour en finir avec la vie ; la nécessité éthique et médicale de combattre la douleur et de développer une médecine palliative performante, et le principe du respect de la vie, qui, poussé à l’extrême, peut déboucher sur l’acharnement thérapeutique.
A partir de la conjugaison et l’harmonisation de ces trois principes, on arrivera à la conclusion, estime Alberto Bondolfi, que l’aide au suicide peut être tolérée dans notre société pluraliste, mais qu’elle ne constitue en aucun cas un droit que l’on pourrait revendiquer.
§Demandes rares Les demandes d’assistance au suicide sont toutefois assez rares. Exit, association pour le droit de mourir dans la dignité, intervient une vingtaine de fois par an en Suisse romande et 300 fois environ sur l’ensemble du pays, pour aider à « l’autodélivrance » d’une personne. Les chiffres d’Exit ne tiennent pas compte des cas de personnes dans la détresse qui se sont laissées mourir de faim, ont glissé dans la mort de façon volontaire et dont on tait le geste désespéré.
Alberto Bondolfi est partisan d’une tolérance vigilante. « On va vers une reconnaissance du droit à l’arrêt des soins et vers une reconnaissance explicite des omissions licites en phase terminale, ce qui constitue une euthanasie passive. Cette forme d’assistance au décès, dispensée généralement par un médecin, ne constitue pas un comportement punissable selon les jos_content 114 et 115 du Code pénal qui réglementent la participation de tiers à un suicide. L’assistance au suicide n’est punissable en Suisse que si celui qui la pratique est poussé par un mobile égoïste, selon l’interprétation de l’art. 115 du Code pénal.
Le Parlement devra débattre en cet automne de l’euthanasie suite à l’initiative parlementaire Cavalli et de la proposition de la majorité du groupe d’experts de la Commission fédérale Assistance au décès (voir encadré) qui souhaite compléter l’art. 114, sans pour autant toucher à l’article 115. Le nouvel alinéa demandé devrait stipuler que « si l’auteur a donné la mort à une personne atteinte dans sa santé d’une manière incurable et se trouvant en phase terminale, cela dans le dessein de mettre fin à des souffrances insupportables et irrémédiables, l’autorité compétente renoncera à le poursuivre, à le renvoyer devant le tribunal ou à lui inflige une peine. »
Pour le Docteur Jérôme Sobel, président d’Exit A.D.M.D. de Suisse romande, seule une euthanasie faite dans des conditions contrôlées, en toute transparence et toute visibilité, permettra d’éviter tout dérapage. Des critères très stricts sont exigés pour satisfaire à la demande d’assistance au suicide. « Nous ne pouvons aider des personnes que si elles sont capables de prendre elles-mêmes la solution mortelle. C’est à elles de faire le geste ultime, à personne d’autre ! »
Capacité de discernement, maladie incurable avec pronostic fatal ou invalidté complète, souffrances physiques et psychiques intolérables et demandes sérieuses et répétées sont les cinq critères incontournables exigés pour donner suite à une demande d’assistance au suicide. « Nous passons le dossier médical et psychologique de chaque demandeur au peigne fin » précise le Docteur Sobel, qui souhaite qu’une information et une formation à la réflexion éthique et à la procédure légale soient données aux futurs médecins dans le cadre de leurs études. « Malgré les meilleurs soins palliatifs possibles, qui diminuent le nombre des demandes, il en reste qui ne peuvent être ignorées. Chacun a le droit de préserver son identité, vouloir être maître de sa vie jusqu’au bout et souhaiter mourir dans la dignité, si la qualité de vie est devenue irréversiblement et gravement dégradée ».
Chacune de ces demandes est à prendre au sérieux. "Beaucoup de peurs et de souffrances peuvent être allégées par une écoute attentive, un espace pour parler et des soins palliatifs compétents " précise Cosette Odier qui s’est longuement spécialisée au Québec dans ce type de soins. L’équipe soignante, poursuit la pasteure, doit aussi pouvoir trouver un espace pour parler, dire son impuissance face à des patients en fin de vie, renoncer à projeter sur eux ses propres peurs ou son propre désir de les voir vivre. « Certains soignants hésitent parfois à rentrer dans la chambre d’un patient qu’ils savent condamnés parce qu’ils supportent mal d’être renvoyés à leur propre impuissance, constate encore Cosette Odier, il est donc important d’analyser ses propres ambivalences et éviter de plaquer sur les personnes en fin de vie nos valeurs utilitaires contemporaines ».
§Directives anticipées Pour la pasteure genevoise, des directives anticipées concernant ses volontés concernant la fin de la vie, mises par écrit et dûment signées, peuvent être un bon instrument pour l’entourage. Elles l’aideront à agir en fonction de la volonté du patient, du temps où il jouissait encore de toute son autonomie et de sa liberté. L’entourage pourra par exemple prendre les mesures adéquates pour ne pas prolonger des traitements devenus inutiles, afin de respecter son droit à vouloir mourir.
Pour Alberto Bondolfi, professeur à l’Institut d’éthique sociale de l’Université de Zurich comme pour Cosette Odier, la meilleure réponse à une fin de vie digne doit être une médecine palliative efficace et attentive à la grande complexité des situations , qui peut diminuer les demandes d’assistance au suicide. « Chaque suicide est un suicide de trop, estime Alberto Bondolfi, mais on peut le tolérer, à condition de ne pas en faire un droit ».
Les critères contemporains d’une « bonne» mort
L’éthicien s’est demandé pourquoi mourir est devenu un problème pour notre société. Sil a peur de mourir a toujours existé, elle a changé : au moyen-âge par exemple, on avait peur de l’au-delà, de l’enfer et des morts qui pouvaient, pensait-on, tourmenter les vivants. Aujourd’hui, on a peur de la phase terminale de la vie, de cette étape où l’on ne maîtrise plus ni son existence, ni ses facultés. On faisait appel autrefois à la magie et à la prière pour calmer sa peur de l’inconnu. Aujourd’hui on a recours à la médecine et à l’éthique pour tenir la mort en échec. On a défini la « bonne » mort dont l’éthique se résume, pour Alberto Bondolfi, en trois points : le respect de l’autonomie du mourant, qui a le droit de refuser des soins et de ne plus s’alimenter pour en finir avec la vie ; la nécessité éthique et médicale de combattre la douleur et de développer une médecine palliative performante, et le principe du respect de la vie, qui, poussé à l’extrême, peut déboucher sur l’acharnement thérapeutique.
A partir de la conjugaison et l’harmonisation de ces trois principes, on arrivera à la conclusion, estime Alberto Bondolfi, que l’aide au suicide peut être tolérée dans notre société pluraliste, mais qu’elle ne constitue en aucun cas un droit que l’on pourrait revendiquer.
§Demandes rares Les demandes d’assistance au suicide sont toutefois assez rares. Exit, association pour le droit de mourir dans la dignité, intervient une vingtaine de fois par an en Suisse romande et 300 fois environ sur l’ensemble du pays, pour aider à « l’autodélivrance » d’une personne. Les chiffres d’Exit ne tiennent pas compte des cas de personnes dans la détresse qui se sont laissées mourir de faim, ont glissé dans la mort de façon volontaire et dont on tait le geste désespéré.
Alberto Bondolfi est partisan d’une tolérance vigilante. « On va vers une reconnaissance du droit à l’arrêt des soins et vers une reconnaissance explicite des omissions licites en phase terminale, ce qui constitue une euthanasie passive. Cette forme d’assistance au décès, dispensée généralement par un médecin, ne constitue pas un comportement punissable selon les jos_content 114 et 115 du Code pénal qui réglementent la participation de tiers à un suicide. L’assistance au suicide n’est punissable en Suisse que si celui qui la pratique est poussé par un mobile égoïste, selon l’interprétation de l’art. 115 du Code pénal.
Le Parlement devra débattre en cet automne de l’euthanasie suite à l’initiative parlementaire Cavalli et de la proposition de la majorité du groupe d’experts de la Commission fédérale Assistance au décès (voir encadré) qui souhaite compléter l’art. 114, sans pour autant toucher à l’article 115. Le nouvel alinéa demandé devrait stipuler que « si l’auteur a donné la mort à une personne atteinte dans sa santé d’une manière incurable et se trouvant en phase terminale, cela dans le dessein de mettre fin à des souffrances insupportables et irrémédiables, l’autorité compétente renoncera à le poursuivre, à le renvoyer devant le tribunal ou à lui inflige une peine. »
Pour le Docteur Jérôme Sobel, président d’Exit A.D.M.D. de Suisse romande, seule une euthanasie faite dans des conditions contrôlées, en toute transparence et toute visibilité, permettra d’éviter tout dérapage. Des critères très stricts sont exigés pour satisfaire à la demande d’assistance au suicide. « Nous ne pouvons aider des personnes que si elles sont capables de prendre elles-mêmes la solution mortelle. C’est à elles de faire le geste ultime, à personne d’autre ! »
Capacité de discernement, maladie incurable avec pronostic fatal ou invalidté complète, souffrances physiques et psychiques intolérables et demandes sérieuses et répétées sont les cinq critères incontournables exigés pour donner suite à une demande d’assistance au suicide. « Nous passons le dossier médical et psychologique de chaque demandeur au peigne fin » précise le Docteur Sobel, qui souhaite qu’une information et une formation à la réflexion éthique et à la procédure légale soient données aux futurs médecins dans le cadre de leurs études. « Malgré les meilleurs soins palliatifs possibles, qui diminuent le nombre des demandes, il en reste qui ne peuvent être ignorées. Chacun a le droit de préserver son identité, vouloir être maître de sa vie jusqu’au bout et souhaiter mourir dans la dignité, si la qualité de vie est devenue irréversiblement et gravement dégradée ».