Visite des détenus : une ONG chrétienne ne franchit pas les barreaux

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Visite des détenus : une ONG chrétienne ne franchit pas les barreaux

28 juin 2001
Un travail chrétien en faveur des prisonniers. Tout un programme : celui de Fraternité Suisse des Prisons (FSP)
Cette association débarque en Suisse romande, appuyée par la logistique d’un mouvement présent dans le monde entier. Et déjà l’étiquette chrétienne revendiquée par ses membres inquiète ou dérange. D’autant que notre système carcéral est déjà bien doté en structures d’accueil. Entre les réserves des aumôneries et la réticence de l’administration, la possibilité pour ces nouveaux venus d'entrer dans les cellules paraît déjà bien réduite. Enquête.Apporter l’Evangile derrière les barreaux. Entendre et s’occuper des prisonniers dans leur globalité, c’est à dire aussi de leurs âmes. Les mots de « Fraternité Suisse des Prisons » (FSP) secouent le petit monde de l’encadrement carcéral. Nouvelle venue en Suisse romande, cette association ne date pourtant pas d’hier. Mais des lendemains du Watergate. Prison Fellowship International a en effet été créée après la conversion de Chuck Colson, l’un des conseillers de Nixon emprisonné. « Il a décidé de se consacrer aux prisonniers et de leur apporter l’Evangile », explique François Cuche, l’un des membres fondateurs de l’antenne romande.

§Dans soixante paysAujourd’hui, l’idée a fait son chemin et Prison Fellowship est présente dans une soixantaine de pays. Implantée depuis 10 ans en Suisse allemande, l’ONG (reconnue par les Nations Unies) n’a franchi la Sarine qu’au début de cette année, alors même que la direction européenne du mouvement se trouve à Montpreveyres, près de Lausanne. La raison d’une si longue attente saute aux yeux : quoique sans doute imparfait, le système pénitenciaire helvétique n’a pas grand chose à voir avec la réalité des prisons d’Amérique du Sud ou de certaines régions d’Asie. D’où l’embarras, par exemple, du chef du service pénitenciaire vaudois devant la demande de FSP de pénétrer dans certains établissements du canton. « Au Brésil, notamment, reconnaît André Vallotton, le gouvernement leur laisse la gestion de plusieurs prisons importantes. J’ai eu l’occasion de les voir à l’œuvre dans les pays de l’Est : un travail reconnu et très efficace. Ils obtiennent des habits, des médicaments. Mais ces réalités n’ont rien à voir avec nos infrastructures carcérales. »

L’obligation d’organiser le patronage des prisonniers est inscrit dans l’article 379 du Code pénal. En Suisse romande, les aumôniers se chargent de l’essentiel de cette tâche d’écoute et de dialogue pour les religions officielles. S’y joignent parfois quelques bénévoles laïques, dûment inscrits, ainsi que des représentants d’autres confessions, musulmane surtout. « L’arrivée de cette association a fait l’objet d’une discussion au niveau romand, explique Georges Lapraz, responsable du service pénitentiaire neuchâtelois. Les aumôniers demeurent pour nous des partenaires privilégiés, avec lesquels nous avons développé une confiance réciproque. Nous ne donnerons pas aux représentants de FSP un statut identique. Leur documentation a été affichée. Libre aux détenus qui le désirent de faire appel à leurs services. Pour l’instant, il n’y a eu aucune demande. »

§Réticences généralesL’association affirme ne pas vouloir marcher sur les plates-bandes des ministres. « Nous cherchons la complémentarité, pas à jouer les francs-tireurs », répète François Cuche. Il n’empêche : l’accueil des aumôneries n’a rien de chaleureux. Philippe Cosandey, aumônier à Lonay et aux établissements pénitentiaires de la plaine de l’Orbe, ne cache pas sa réticence, partagée selon lui par ses collègues comme par la grande majorité des directeurs d’établissements : « On leur répète que venir ici avec les mêmes buts n’a pas de sens. Ils ne l’entendent pas. Ailleurs, ils évangélisent, mais ils apportent aussi et surtout un soutien concret aux détenus. En Suisse, les aumôneries travaillent de manière œcuménique. Nous sommes là pour accompagner, écouter et faire route avec les gens. Une présence gratuite, loin de tout prosélytisme. »

A Neuchâtel, son homologue Phil Baker ne dit pas autre chose : « Les accepter nous compliquerait la tâche, parce qu’il y aurait risque d’amalgame. Je n’entre pas dans une cellule pour convertir quelqu’un, pour faire un adepte de plus. Je tente d’apporter une parole d’espérance et d’amour, pour répéter à celui qui se voit renié par la société et les siens qu’il demeure un être humain aimé de Dieu. C’est très différent. »