Moritz Leuenberger au sujet de la consultation oecuménique: "La force des Eglises est de pousser à la réflexion "

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Moritz Leuenberger au sujet de la consultation oecuménique: "La force des Eglises est de pousser à la réflexion "

30 août 2001
Le message des Eglises sera remis samedi à Berne au public et aux autorités
Encouragement à créer un pays où les valeurs éthiques prennent le pas sur le plaisir individuel et la course à l’argent, le document aborde de nombreux aspects de notre société, du travail aux migrations en passant par l’écologie et la famille. Notre interview de Moritz Leuenberger, président de la Confédération, qui parle de ses convictions et rappelle que l’économie est aussi responsable des valeurs fondamentales de l’être humain.§Moritz Leuenberger, vous venez de recevoir le communiqué final de cette consultation œcuménique sur l’avenir social et économique de la Suisse. Qu’est-ce que vous allez concrètement faire de ce document ?D’abord je vais le lire attentivement. J’ai toujours encouragé les Eglises à s’engager et je suis très heureux que ce document existe. Ensuite je vais y réfléchir. La responsabilité des Eglises, c’est de pousser à la réflexion. Et ce document n’est pas le programme d’un parti. Je ne souhaite pas qu’on me donne des recettes toutes faites pour gouverner, car alors je n’assumerais pas ma propre responsabilité de politicien et de Conseiller fédéral.

§Ce document formule pourtant des propositions très concrètes comme l’harmonisation fiscale entre cantons, l’adhésion de la Suisse à l’ONU ou encore le droit de vote pour les étrangers. Les Eglises vont-elles trop loin ?Sur le fond, je partage les propositions concrètes des Eglises. Mais, il y a à mon avis un risque que prennent les Eglises à vouloir être trop concrètes dans leurs propositions. Et cela je le dis aussi comme membre de l’Eglise. Je connais des gens, politiciens ou non, qui sont chrétiens et qui pourtant partagent d’autres points de vue que ce document sur ces questions concrètes, comme par exemple l’adhésion à l’ONU. Ces personnes-là sont-elles de mauvais croyants ? N’oublions jamais que, par " souci " d’engagement concret, on a tué -et on tue encore- au nom du Christ.

§On reproche souvent aux Eglises de ne pas être concrètes. De formuler des grands principes mais de ne pas assez s’engager. Est-ce qu’aujourd’hui, défendre la dignité de la personne humaine comme le proclament les Eglises dans ce document, n’est-ce pas concrètement et simplement, par exemple, donner le droit de vote aux étrangers ?Je fais une distinction entre mes différentes fonctions: en tant que membre du Conseil fédéral, je défends toujours le primat du politique sur l’économie ou les médias parce qu’ils n’ont pas de légitimité démocratique. Cela vaut aussi pour les Eglises. Elles ne sont pas mon bureau de morale. Donc pour moi, ce ne sont pas les propositions concrètes des Eglises qui sont importantes, mais plutôt leur capacité à me donner des indications sur comment je peux consulter ma conscience afin que les décisions que je prends moi, je puisse les soutenir d’un point de vue éthique. En tant que membre de l'Eglise, je salue les revendications concrètes.

§Comment alors, si on exclut les propositions concrètes, ces valeurs des Eglises " travaillent -elles" dans votre réflexion et votre action de Conseiller fédéral ?D’abord il ne faut pas penser qu’il y a les grandes questions éthiques comme l’avortement, le génie génétique, ou l’euthanasie et les " petits problèmes techniques ". Savoir où on installe des antennes de télécommunication -sachant qu’elles sont peut-être néfastes pour la santé- c’est aussi une question éthique dont il ne faut pas négliger l’importance. Ensuite, si on prend les valeurs fondamentales, elles ne donnent pas des réponses simples aux problèmes concrets. Il y a même toujours plusieurs réponses possibles au nom d’une même valeur. Prenez l’exemple de la vérité, qui est une valeur importante. Je peux vous donner beaucoup d’exemples où le mensonge peut servir cette valeur. Il faut donc être prudent et ne pas croire que les valeurs sont déjà des recettes pour le travail quotidien. Le doute, cette capacité de mettre en question toutes les solutions simples, est aussi une valeur pour laquelle un politicien doit se battre.

§Personnellement, vous avez le temps suffisant pour faire ce travail de réflexion lorsque vous devez prendre des décisions ?Ces valeurs, elles sont présentes par l’éducation que j’ai reçue, par la culture dans laquelle j’ai été élevé et dans laquelle je vis. Elle transparaissent même quand je dois décider très vite. Mais, les politiciens ont le devoir de se donner le temps nécessaire à la réflexion. C’est un grand désavantage de notre système qu'on se laisse beaucoup trop avaler par les ordres du jour.

§Revenons à la consultation des Eglises. Elle fait le constat qu’aujourd’hui les Suisses se sentent impuissants face à des changements de plus en plus rapides que personne ne peut plus ni diriger, ni contrôler. Comme président de la Confédération, est-ce que ce sentiment d’impuissance vous inquiète ?Pensez-vous que ce sentiment soit véritablement nouveau ? Autrefois les gens n’étaient pas forcément plus capables de prendre leur destinée en main. Ils étaient victimes des dieux, puis de Dieu (" C’est Dieu qui l’a voulu "), ou encore du roi, ou du "destin". Ils ne pouvaient pas éviter de nombreuses catastrophes. Alors c’est vrai qu’aujourd’hui, si d’un point de vue politique la démocratie directe permet au citoyen de mieux gérer son sort, l’économie, elle, surpasse les frontières des nations, va beaucoup plus vite que la politique. Je comprends dès lors que la peur de la globalisation est très présente. Je ne cherche pas à rassurer les gens en leur disant que tout va bien. J’ai plutôt envie de les encourager à prendre en main leur destinée. La peur est mauvaise conseillère. Elle dessèche le coeur et paralyse la raison. Elle nous fait perdre nos capacités. Il faut agir les yeux ouverts. On a aujourd’hui la possibilité mais aussi le devoir de s’engager dans la société. Pas seulement en politique. Les Eglises, le travail social, la culture et même le sport nous offrent beaucoup d’occasions de nous engager.

§Le document des Eglises assigne un rôle bien particulier à l’Etat, qui est celui du service du bien commun. Est-ce que vous en faites assez dans ce sens ?Je partage entièrement cette définition du rôle de l’Etat. Mais sachez aussi que pendant des décennies, la politique a voulu donner plus de libertés. A l’économie, mais aussi aux femmes et aux hommes, aussi aux médias. Avec toujours cette certitude que la liberté est une valeur humaine fondamentale. Je crois que cette valeur est comme une médaille. Elle a deux faces. Et si d’un côté il y a la liberté, de l’autre il y a la responsabilité. Mon rêve aujourd’hui est que chaque acteur social agisse avec conscience et une réflexion éthique. Pas seulement dans le domaine politique. L’économie aussi est responsable des valeurs fondamentales de l’être humain. D’ailleurs si l’Etat voulait ou devait à lui seul gérer les aspects moraux de la société, on aboutirait très vite à un Etat policier.

§Cette consultation a représenté un gros travail pour les Eglises catholique et protestante qui, c’est une première, se sont mises ensemble pour le réaliser. Quel poids représente selon vous les Eglises aujourd’hui en Suisse ?L’influence des Eglises est en baisse. Voyez l’Eglise catholique qui avait autrefois son propre parti (ndlr, le Parti démocrate chrétien). Aujourd’hui ce parti s’émancipe et prend ses décisions de manière autonome.

§Mais un document comme celui que vous avez reçu a-t-il un avenir ?Je l’espère. Mais il ne suffit pas aujourd’hui de publier un document ex-cathedra, et d’imaginer que tous les politiciens vont l’appliquer. L'Eglise ne doit pas avoir recours à un langage sacré mais profane. Elle doit argumenter et convaincre en s'appuyant sur faits concrets. Les Eglises doivent maintenant par exemple rencontrer les différents groupes du Parlement et faire leur travail de lobbying.