La Bible, version XXIe siècle

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La Bible, version XXIe siècle

7 septembre 2001
Quarante-sept écrivains et exégètes francophones proposent une nouvelle version des Ecritures
Sous la direction de Frédéric Boyer, directeur adjoint du département culture et religion du groupe Bayard, ils ont tenté de s’affranchir d’un vocabulaire figé par des siècles de tradition pour mieux retrouver la polysémie du grec et de l’hébreu, la « polyphonie » du Livre des livres. Une Bible ni catholique, ni protestante, ni juive, qui tente le défi d’une traduction à la fois innovante et fidèle aux sources. C’est d’abord, incontestablement, un tour de force. Vingt auteurs francophones ont travaillé durant six ans en compagnie de vingt-sept exégètes de la Parole et des langues anciennes. Le résultat ? Une nouvelle traduction de la Bible, lancée à grands frais (campagne publicitaire impressionnante, du métro parisien aux grands magazines ; série de lectures et conférences publiques du Centre Pompidou à France Culture) par les éditions Bayard.

Paul Beauchamp, le grand exégète qui vient de décéder, l’affirmait : la Bible n’existe que dans une constante confrontation aux langues, aux cultures et au temps. Document immense, lecture infinie, le Livre des livres ressemble à une vaste bibliothèque, comme l’indique son éthymologie (‘ta biblia’, en grec, est un féminin pluriel). Une bibliothèque en trois langues (l’hébreu, l’araméen, le grec), rédigée par une soixantaine de plumes sur plus de mille siècles, « fruit de plusieurs traductions, de multiples transferts d’une langue à l’autre », comme le rappelle l’introduction de l’imposant volume.

§Revenir à la mémoire plurielleFrédéric Boyer, romancier, essayiste et maître d’œuvre de cette vaste entreprise, explique : « Notre traduction (il serait plus juste d’écrire « nos traductions », pour revenir au pluriel comme signe de rupture avec l’histoire sacrée des vulgates), s’inscrit au cœur même de la mémoire plurielle de la Bible. Elle entend d’abord répondre à une nécessité : confronter les littératures de la Bible aux littératures françaises contemporaines. » Bref, marier l’audace et le respect, rendre hommage au texte tout en laissant surgir la vitalité du langage : une folle aventure, un pari démesuré. « J’ai commencé dans une espèce d’horreur ou de terreur sacrée », avoue Jean-Luc Benoziglio, le romancier helvético-italien.

Comme lui, la cinquantaine d’auteurs ont travaillé en binômes : Pour chacun des 73 livres de la version catholique (la plus complète, choisie par l’éditeur, catholique lui aussi), un écrivain s’est associé avec un éxégète. Ensemble, ils ont trituré les mots, sondé le sources, avec la volonté de s’affranchir d’un vocabulaire figé par des siècles de tradition pour mieux retrouver la polysémie du grec et de l’hébreu ; ainsi que la mémoire plurielle qui travaille le Livre, cette « polyphonie des écritures », selon l’expression de Frédéric Boyer. Redécouvrir des formes fugaces, conserver les extases syntaxiques et les épaisseurs sémantiques pour mieux faire rebondir le sens vers l’avenir puisque « chaque génération doit se réapproprier la Bible », insiste Alain Gignac, docteur en théologie spécialiste des écrits de saint Paul.

§Surprises de forme et de fondAu final, le texte surprend par sa forme, d’abord, par une élégance graphique obtenue grâce au rejet en fin de volume des notes et des commentaires. Pour davantage de fluidité, la langue se trouve délestée aussi des titres, intertitres et autres résumés, absents des manuscrits originaux. Mais cet incessant « questionnement des évidences » a surtout des incidences sur le texte sacré lui même. Ainsi, le présent remplace souvent passé simple et imparfait, « Ancien Testament » devient « Alliance », « réssuscité d’entre les morts » se voit remplacé par « réveillé d’entre les morts », alors que « péché » disparaît au profit de « crime » ou « égarement », comme « baptême » devient « immersion ». Pour Frédéric Boyer, « le vocabulaire traditionnel a été respecté mais ouvert, selon les nouvelles connaissances sémantiques et anthropologiques. Selon le contexte, les époques, les sensibilités culturelles et religieuses qui s’expriment, un même mot peut être traduit de différentes manières. C’est un enrichissement considérable de notre vocabulaire biblique traditionnel. »

La commission doctrinale de l’épiscopat se donne du temps pour délivrer son « imprimatur. » De toute manière, au regard monuments aussi respectés que la Traduction œcuménique (TOB), la Bible Chouraqui ou de Jérusalem (BJ), pour ne citer que celles-ci parmi nombre d’incontournables versions françaises, cette nouvelle traduction ne cherche pas la confrontation, mais plutôt à apporter autre chose : la tentative d’une lecture réveillée par les innovations poétiques et littéraires du XXe siècle. Les auteurs le savent bien : traduire la Bible, c’est privilégier une signification, imparfaite et provisoire. « La Bible ne se réduit pas à un beau livre, conclut Frédéric Boyer. Elle n’est ni facile, ni toujours agréable à lire. Et cette résistance est peut-être sa vraie dimension littéraire. Notre travail collectif veut illustrer l’étonnante diversité de voix et de rythmes de la matière biblique. » A chacun de juger de la pertinence de l’entreprise. Les chiffres de vente, eux, attestent déjà d’une belle réussite.

UTILE

« La Bible, nouvelle traduction », éditions Bayard, 3000 pages.