La Source révèle un Jésus sans Passion ni résurrection

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La Source révèle un Jésus sans Passion ni résurrection

19 octobre 2001
Les évangiles du Nouveau Testament ne sont pas les premiers textes écrits sur Jésus
Les chercheurs l’affirment: il existe une source antérieure qui servit de source à Matthieu et à Luc. Dans un livre qui vient de paraître, le professeur et historien du christianisme Frédéric Amsler propose pour la première fois aux lecteurs francophones de découvrir la transcription la plus ancienne et sans doute la plus fidèle des propos de Jésus. Une reconstitution qui pose de fascinantes questions. Les exégètes du Nouveau Testament l’appellent « die Quelle », la source. Dans son livre qui constitue une première traduction française, l’historien du christianisme Frédéric Amsler le rappelle : « La découverte d’une collection de paroles de Jésus qui aurait servi de source aux auteurs des évangiles de Matthieu et de Luc constitue certainement le plus beau fleuron de la recherche biblique aux XIXe et XXe siècle. »

Aucun manuscrit, pas la moindre trace. L’existence de sentences à jamais perdues de Jésus, d’un recueil de textes qui servit en quelque sorte de document de travail aux évangélistes, repose sur une hypothèse désormais solidement étayée. De tout temps, l’origine et les circonstances de la rédaction du Nouveau Testament, et particulièrement des trois évangiles synoptiques Matthieu-Marc-Luc (appelés ainsi parce que bâtis sur un même plan et pouvant être disposés en colonnes parallèles), ont fait l’objet de nombreuses études et controverses. Jusqu’au XVIIe siècle, le dogme voit dans l’évangile selon Matthieu le texte le plus ancien. Pourquoi ? Parce que la tradition identifie Matthieu comme l’un des douze apôtres. Son œuvre doit donc être logiquement antérieure à celles de Marc et Luc, considérés comme le travail de disciples, respectivement Pierre et Paul.

§Révolution critique au XIXeAu XVIIe siècle, ce modèle traditionnel commence à se voir remis en cause. Avant de s’écrouler sous la plume de théologiens luthériens allemands. « La révolution copernicienne, raconte Frédéric Amsler, sera due au philologue allemand Karl Lachmann. Dans un essai de 1835, celui-ci va livrer une série d’arguments déterminants pour démontrer que le plus ancien des évangiles synoptiques est celui de Marc. » Sa démonstration ne se base plus sur des arguments de croyant ni sur des considérations historiques, mais privilégie des constats philologiques et littéraires. Par exemple, au niveau du contenu, Lachmann pose la question : si Marc avait abrégé Matthieu, pourquoi aurait-il écarté ce qui concerne la naissance de Jésus et les apparitions du ressuscité ? Pourquoi aurait-il supprimé le Sermon sur la montagne ou encore le Notre Père ? La tradition a expliqué ces absences par la volonté « historicisante » de Matthieu. Comment se fait-il alors qu’il n’occulte pas les récits de miracles ? Sur un plan philologique, le théoricien allemand arrive à une conclusion identique : c’est bien Marc (années 70 après J.-C.) qui a servi de source à Matthieu et Luc (80-90 après J.-C.) et non le contraire.

Frappé par le fait que, hormis Marc, tout le matériel commun à Matthieu et Luc est constitué de sentences de Jésus, un professeur de théologie et de philosophie de Leipzig, Christian Hermann Weisse, formule en 1838 l’hypothèse dite des « deux sources », selon laquelle les deux disciples auraient utilisé, indépendamment l’un de l’autre, une série disparue de paroles de Jésus pour composer leur évangiles. Ou plutôt la retranscription de certains propos, Jésus lui-même n’ayant rien rédigé lui-même.

Voilà donc cette source que Frédéric Amsler propose pour la première fois aux lecteurs francophones. Deux cents quatorze versets ou fragments attestés, puis nonante cinq plus incertains. Des paroles qui correspondraient – pour faire simple - à tous les passages communs à Matthieu et Luc qui ne se retrouvent pas chez Marc. Soit des phrases à la parenté verbale si étroite que l’on peut postuler qu’elles ont une origine commune. Elles se trouvent dans la partie des évangiles que l’on nomme le ministère de Jésus, entre son baptême et le début du récit de la passion. Ce qui revient à dire que l’on n’y trouve ni le récit de la passion en tant que tel, ni une quelconque allusion à la résurrection. « Le ou les auteurs de cette source connaissent indubitablement les circonstances de l’exécution de Jésus, mais cette mort tragique ne fait pas l’objet d’une interprétation théologique. La bonne nouvelle ne repose pas sur le binôme croix et résurrection, comme chez l’apôtre Paul et dans toute la tradition chrétienne qui en dépend, mais sur l’annonce de l’irruption du royaume de l’existence de Dieu », explique Frédéric Amsler.

§Jésus mais pas le ChristL’enjeu fondamental de cette Source revient donc à se demander si l’on peut envisager une foi chrétienne sans le Christ. Puisque ce texte stipule l’existence, aux premiers temps du christianisme, de croyants qui ne confessaient pas explicitement Jésus comme le Christ, le tenant néanmoins comme un Maître de sagesse. A chacun de découvrir un Jésus très engagé, une forme curieuse de christianisme, sans Christ et sans Eglise, à travers ce document qui ne constitue pas un procès-verbal fidèle des paroles de Jésus, mais le récit le plus direct que nous connaissions de son ministère terrestre.

Comme le souligne Frédéric Amsler, cette lecture nous replonge dans la question fondamentale qui a déchiré les chrétiens des deux premiers siècles : « L’identité chrétienne est-elle déterminée par une pratique ou par une confession de foi ? Ou se situe son centre de gravité ? Dans le fait de croire que Jésus est le Messie d’Israël, le Christ, ou dans la mise en pratique quotidienne de l’utopie de la venue du royaume proclamé par l’homme de Nazara ? » Insondables questions.

§Frédéric Amsler, L’Evangile inconnu : La Source des paroles de Jésus, éditions Labor et Fides, septembre 2001