Eglises au milieu des mosquées : des chrétiens témoignent

légende / crédit photo
i
[pas de légende]

Eglises au milieu des mosquées : des chrétiens témoignent

16 novembre 2001
A l’invitation du forum inter-protestant, quatre responsables de communautés du Moyen-Orient étaient récemment à Berne pour raconter leur quotidien de chrétiens dans des pays où règnent un islam relativement modéré, comme la Syrie, le Liban ou l’Iran
Malgré une volonté évidente d’apaisement, leurs propos laissent deviner une cohabitation difficile.« Si je parle de Jésus à un musulman, et que ce que je lui dis entre dans son cœur, cela ne va pas seulement ébranler sa foi, mais changer sa vie toute entière. » Les propos du révérend Mgrditch Karagoezian, responsable d’une communauté arménienne au Liban, résument bien la difficile situation des Eglises chrétiennes en terre d’islam. Le sujet proposé par le Conseil suisse des missions évangéliques (CSME), un forum inter-protestant, a visiblement interpellé beaucoup de ministres suisses. Ils furent nombreux à écouter les expériences de quatre pasteurs travaillant au Moyen-Orient.

Liban, Syrie, Iran : de leur propre aveu, les invités évoluent dans des pays pratiquant un islamisme plutôt progressiste. Voilà qui explique peut-être en partie certains propos qui ont paru très optimistes à certains observateurs ébranlés par les récits de persécutions dont sont victimes les disciples de Jésus-Christ à travers le monde (lire encadré).

Malgré cette volonté évidente d’apaisement, plusieurs aspects rendant la cohabitation et le dialogue difficiles n’ont pas manqué d’apparaître. Foi, culture, politique et vie quotidienne forment un ensemble indissociable pour tout musulman. Dit autrement, aucune question sociale ou politique n’échappe à la foi.( « Dès lors, nous pouvons vivre à côté d’eux, mais pas vraiment avec eux », ajoute Mgrditch Karagoezian. A cette impossibilité de partage s’ajoutent d’autres écueils pour sa petite communauté comme la langue ou la mémoire collective des massacres du peuple arménien.

§Nombreux interditsEn Iran, les chrétiens ne représentent qu’un demi pour-cent de la population. Installés depuis cent cinquante ans, les réformés ne constituent pour leur part que cinq pour cent de ce demi pour-cent. Autant dire que le pasteur Hendrick Shanazari sait ce que signifie le mot minorité. Il affirme pourtant ne pas trop en souffrir : « Nous sommes malgré tout reconnus et protégés par la Constitution. Cependant depuis le 11 septembre, nous craignons une augmentation des tensions. »

A ses côtés, le bouillant révérend syrien Adeed Award ne craint pas l’évangélisation : « Dieu m’a fait naître au Moyen-Orient pour y témoigner de son amour. Nous ne prêchons pas notre Eglise, mais Jésus-Christ pour chacun, quel que soit sa dénomination. Que les gens l’acceptent dans leur vie, non pas pour devenir protestants, mais pour être ses disciples dans leurs communautés respectives. »

Un discours qui tranche avec les réserves émises par son confrère d’Alep, Bechara Moussa Oghli, qui estime pour sa part qu’au « Moyen-Orient, le principal défi des chrétiens consiste tout simplement à essayer de survivre en tant que chrétiens. »

Protégés ou non par la loi, les chrétiens sont-ils considérés comme des citoyens de seconde zone ? Les avis divergent. En revanche, tous reconnaissent plus ou moins facilement la volonté hégémonique partagée au sein de la majeure partie de l’islam.

« En tant que chrétien, note Mgrditch Karagoezian, je peux tolérer l’existence d’une autre religion. Ce n’est pas le cas pour un musulman. Il ne pourra par exemple pas me souhaiter un joyeux Noël sans se mettre en contradiction profonde avec sa foi et sa culture. Et ces aspects sont utilisés par les autorités religieuses, parfois jusqu’à la manipulation. » Alors que le devoir d’un musulman est de convertir au Coran, lui-même ne pourra changer de religion sous peine de se voir bannir de sa communauté. « Dans cette région, c’est l’appartenance communautaire qui compte, rappelle encore le ministre arménien. La nuance occidentale entre pratiquant et non pratiquant ne veut rien dire. Et le poids du groupe demeure primordial socialement, même si l’on n’est pas un croyant très actif. »

§Quelles limites à la tolérance ?Si les modes d’appartenance à l’islam changent quelque peu en Europe, le phénomène de sécularisation rencontré au contact de sociétés laïques se voit également diversement apprécié.

§Principe de réciprocité pas respecté « On peut aussi se demander jusqu’au doit aller notre tolérance, note un collaborateur de l’Arzillier, maison du dialogue inter-religieux à Lausanne. Doit-on demander un principe de réciprocité, sachant que les musulmans demandent ici ce qu’eux-mêmes ne nous accorderaient jamais chez eux ? »

A propos de l'islam en Europe, Mgrditch Karagoezian retourne l’argument : « La question est aussi de savoir quel impact a la montée en puissance de l’islam dans nos sociétés. Il y a une vingtaine d’années, personne n’entendait parler de l’islam en Europe. »

Les responsables de ces communautés chrétiennes vivant à l’ombre du croissant ne manquent pas de bonnes résolutions : être des « témoins de Jésus », aller à la rencontre de l’autre, tendre la main avec amour et se rappeler que le Coran appelle à « aider son frère », qu’il ait raison ou tort. Se rappeler aussi que l’islam modéré ne se retrouve pas dans les excès islamistes. Ils tentent d’y rester fidèles, en sachant que cela ne suffit pas toujours.