Mohammed de Bethléem, de la Palestine aux rues de Lausanne

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Mohammed de Bethléem, de la Palestine aux rues de Lausanne

23 décembre 2002
« Couscous », c'est l'une des figures attachantes de la zone dans la capitale vaudoise
Rencontre, à quelques jours de Noël, avec un musulman fier d'être originaire de la ville de Jésus."Je suis né à Bethléem, dans la ville de Jésus." Impossible de faire la connaissance de Mohammed sans qu'il parle de "sa" ville. "Je suis né à moins d'un kilomètre de la basilique de la Nativité. J'y allais tous les dimanches. Pas pour prier mais pour voir la messe."

Pour Mohammed, qui est musulman, être de Bethléem, c'est une fierté, un honneur, un drapeau. Et quand il montre la photo écornée de la vieille maison qu'il possède dans la ville de Jésus, ses yeux brillent et un large sourire éclaire son visage tout rond.

Car Mohammed vit aujourd'hui à Lausanne, à des milliers de kilomètres de sa ville natale et de sa famille. Son quotidien, c'est celui de la débrouille. En neuf ans, Mohammed en est d'ailleurs devenu l'une des figures attachantes. Au "Point d'eau", à la soupe populaire de la place de la Riponne, à la distribution de nourriture de l'église Saint-Laurent, à l'atelier de Caritas, Mohammed devient "Momo" ou bien "Couscous". Couscous? "Mon nom est Qusqus. En arabe, ça se prononce "kèskès". Mais en français, les gens disent plutôt Couscous", sourit-il.

Dans ces différents lieux, il vient chercher de la nourriture ou alors il donne des coups de main contre une bonne main. A l'accueil de la Pastorale de la rue, pas très loin de l’église de Saint-Laurent, son café à la cardamome fait un véritable tabac. Si connu et pourtant si discret : le petit homme aux yeux pétillants et aux cheveux blancs coupés courts n'est jamais parvenu à apprendre le français; c'est en anglais qu'il s'exprime. Un handicap qui rend encore plus visible la mélancolie qui pointe sous sa jovialité.

§Rattrapé par la guerreA Lausanne, Mohammed porte avec discrétion sa croix d'exilé palestinien. Son histoire? C'est celle d'un triple exil, même. A cause de la guerre, pour commencer, celle de 1967, qui l’a poussé à partir à Amman en Jordanie. Puis au Koweït, pour trouver du travail.Une période heureuse, en définitive, durant laquelle Mohammed verra grandir ses six enfants et parviendra régulièrement à se rendre à Bethléem. Il y deviendra même riche en produisant des meubles pour les huiles du secteur pétrolier. Et puis la guerre le rattrape, en 1991, lorsque Saddam Hussein envahit le Koweït. "J'ai été renversé par un camion irakien et j'ai passé trois semaines à l'hôpital. Quand je suis rentré à la maison, tout avait été saccagé et ma femme et mes enfants avaient disparu." Suivent alors deux années d’errance dans plusieurs pays arabes à la recherche de sa famille. Sans succès. C’est alors que Mohammed parvient à gagner la Suisse où il obtient l'asile. L'histoire a cependant un épilogue heureux. "Grâce à un ami, j'ai pu passer un avis de recherche dans un journal d'Amman. Et ça a marché: mon fils m'a écrit pour me dire où ils étaient."

Aujourd'hui, Mohammed loge dans un tout petit appartement du centre de Lausanne. Il noue les deux bouts grâce à l'aide sociale tout en soutenant sa famille en Jordanie. "J’essaie d’envoyer des paquets tous les deux mois et des cadeaux pour les fêtes. A Amman, mon fils gagne l'équivalent de 200 francs par mois comme chauffeur au Ministère de l’agriculture et ça lui permet de survivre durant dix jours. Ils comptent sur moi, d’autant plus que ma belle-fille attend un nouvel enfant". L'évocation de Noël fait briller son regard: "Je voudrais vraiment être à Bethléem à Noël. Vous savez, quand j'y habitais, j’allais tous les vendredis prier à la mosquée à Jérusalem et tous les dimanches à la basilique de la Nativité pour voir la messe. Jésus, pour moi, c’est l’honneur des pauvres, et leur énergie. Et mon rêve, c’est de retourner y vivre et d’y être enterré. Pour aller au paradis avec Jésus et les prophètes au Jugement dernier."