Prêtres pédophiles: Ne pas se tromper d'argument

"Unfinished wall paint" / Photo by Samuel Zeller on Unsplash
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"Unfinished wall paint"
Photo by Samuel Zeller on Unsplash

Prêtres pédophiles: Ne pas se tromper d'argument

Par Noriane Rapin
6 octobre 2018

Il y a quinze jours, les lecteurs du journal 24heures ont pu lire l’opinion de Daniel Marguerat sur le scandale des prêtres pédophiles. Figure de proue désignée du protestantisme romand, professeur honoraire à l’Université de Lausanne, l’homme tient pourtant dans ces lignes des propos absurdes, voire révoltants. En résumé, selon Daniel Marguerat, la crise qui secoue actuellement l’Église catholique proviendrait de l’interdit sexuel auquel ses prêtres sont astreints; et si ces derniers commettent des actes pédophiles, ils n’en sont pas moins (je le cite) «autant bourreaux que victimes. Victimes d’un système qui a confondu vocation à la prêtrise et vocation au célibat. Ils avaient choisi la première, ils se voient imposer la seconde.» Pour le dire autrement: aux yeux du théologien, ce n’est pas leur faute si des hommes violent des personnes en état de faiblesse, puisqu’il faut bien qu’ils se soulagent!

L’aberration fait froid dans le dos. Si le célibat des prêtres doit être à mon sens sérieusement remis en question, il ne s’agit en aucun cas d’une explication ou pire, d’une excuse pour les crimes pédophiles. Daniel Marguerat part du présupposé douteux que les hommes sont dominés par des pulsions sexuelles impérieuses. Deuxième présupposé: La satisfaction de ce besoin constitue un droit naturel, et ne pas le respecter est un «attentat à l’humanité»— ce sont ses mots.

C’est là que le bât blesse. En réduisant la sexualité à une pulsion irrépressible et à un droit indéniable, Daniel Marguerat abolit la différence entre intimité de couple et prédation sexuelle. Comme le dit si bien Véronique Magron, présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France, «mettre en lien abus sexuels et célibat pose un problème de fond. Cela donne à penser que, si les prêtres étaient mariés, il n’y aurait plus d’abus. À quelle image de la femme et de la relation de couple ce raisonnement renvoie-t-il?»

D’autre part, il y a bien peu de place pour les victimes dans cette logique. La rhétorique de Daniel Marguerat semble mettre sur le même plan les auteurs d’une violence tout excusée et leurs proies. Or, comment peut-on nier l’asymétrie qui caractérise les crimes sexuels? Car l’abus sexuel est d’abord et avant tout un abus de pouvoir. Le considérer sous l’angle du désir à assouvir ne permet pas de s’en rendre compte. À d’autres occasions, des arguments similaires ont même pu justifier l’ascendant d’un prédateur sur sa victime. Ce phénomène porte un nom: culture du viol.

Voilà comment on peut, en proposant une solution caricaturale à un problème complexe, adosser un schéma pervers et dangereux. Et l’opinion de Daniel Marguerat m’importerait peu si elle n’était pas diffusée et encensée sur les réseaux sociaux, si elle n’était pas partagée par de nombreuses autres personnalités influentes (par exemple la romancière Nancy Huston qui a défendu le même argument dans les colonnes du journal Le Monde). Je ne connais pas assez bien l’Église catholique pour cerner tous les tenants et aboutissants de la crise, et je n’ai pas la prétention d’y apporter une solution ici. Je m’inquiète cependant de la manière dont le sujet est abordé sur la place publique, et notamment dans les milieux réformés. Ne tombons pas dans le piège des raccourcis et des clichés imprudents sous couvert de décomplexer le discours sur la sexualité. Les enjeux sont trop graves pour ne pas qualifier comme il se doit la violence sexuelle.