Jean-Claude Guillebaud à contre-courant: "Comment je suis redevenu chrétien"

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Jean-Claude Guillebaud à contre-courant: "Comment je suis redevenu chrétien"

8 mars 2007
Il faut un certain courage aujourd’hui pour dire haut et clair que l’on est chrétien, dans le climat actuel d’exclusion des croyants du débat public, souvent tournés en dérision, considérés avec condescendance comme des dinosaures réacs, voire carrément agressés
Jean-Claude Guillebaud a osé. Dans son dernier livre, « Comment je suis redevenu chrétien », il dit son attachement à la pertinence fondatrice et au contenu subversif du message évangélique. N’allez pas imaginer que le journaliste se soit converti après avoir rencontré Dieu, un mercredi à 5 heures du soir. Rebelle à l’institution et à toute clôture dogmatique, baillant à la messe, il avoue avoir longtemps campé dans le flou, l’ambiguïté et le non-dit, s’être montré rétif à la question de la foi. « S’affirmer chrétien m’eût paru présomptueux pour ne pas dire grandiloquent, mais prétendre le contraire eut été une lâcheté » : l’ancien reporter au journal Le Monde, qui a côtoyé l’horreur et vu la face sombre des hommes aussi bien au Vietrnam qu’au Liban ou en Afrique, a ressenti le besoin de réfléchir, loin de l’effervescence de l’actualité, aux transformations, aux mutations anthropologiques et planétaires actuelles. Il a cherché à remonter à l’origine des convictions fondatrices de la modernité, l’individualisme, l’aspiration à l’égalité et le progrès, qu’il préfère appeler « le goût de l’avenir », qui fonde la démocratie.

« Ma démarche ne participait ni de l’effusion mystique, ni de la nostalgie, ni même de la quête spirituelle, comme on dit maintenant. C’est d’abord la raison qui me guidait. Par elle, je me sentais peu à peu ramené au christianisme. Cette réflexion a d’abord été très périphérique par rapport à la foi, puis les cercles de ma curiosité se sont rapprochés du noyau central, celui de la croyance proprement dite ».

Ses recherches sur plus de huit ans, le mènent à faire un constat qui le surprend : « Si l’on cherche à faire la généalogie des valeurs minimales et consensuelles du monde moderne, si l’on tente d’expliquer d’où elles viennent, on s’aperçoit que bon nombre d’entre elles ont partie liée avec la Bible. Ma première stupeur fut de réaliser que cette prodigieuse souveraineté du moi, auquel je n’ai pas envie de renoncer, trouvait initialement sa source dans le message évangélique ». Renversement des perspectivesPeu à peu, il prend goût à la théologie et au travail de réinterprétation des textes évangéliques, toujours tiraillé entre le croire et le savoir, la foi et la raison. Il comprend alors ce que René Girard appelle « la folie de la Croix », qui opère un renversement radical et inverse les perspectives, privilégiant la victime sur l’oppresseur, rendant aux pauvres leur dignité, retournant le discours des puissants et des persécuteurs. Mais sans la résurrection, au coeur de la foi chrétienne, sans cette extravagante objection qui vient enrayer la mécanique du sacrifice sur laquelle se fondent les cultures humaines, le message évangélique perdrait toute sa puissance subversive.

Jean-Claude Guillebaud ose parler « tout droit », comme il dit, de ce qui le fait vivre, douter, avancer. Les lecteurs perspicaces de « La force de conviction », son précédent livre, ne seront pas étonnés de cet aveu, qui a des allures de « coming out » chrétien, dans un contexte fortement laïcisé, qui veut confiner la démarche spirituelle de l’homme dans le domaine de l’intime. Or, pour l’auteur, la laïcité véritable, « ce n’est pas la peureuse révision à la baisse des points de vue, c’est leur libre expression dans un rapport robuste et apaisé ».

Il a mené cette longue réflexion pour se débarrasser d’une colère, longtemps contenue, contre le sort réservé aux chrétiens aujourd’hui, leur mise à l’écart, leur exclusion du débat d’idées, qu’il impute à des raccourcis rudimentaires, à l’effacement de notre mémoire collective de toute une culture théologique, à l’inculture et l’ignorance théologiques de ceux-là même qui font profession de combattre l’obscurantisme religieux.

Tout Guillebaud est dans ce petit livre : son goût de l’exploration solitaire à la recherche de nos traces jusqu’à la confluence gréco-judéo-chrétienne, sa réflexion à contre-courant des modes, sa mise à plat de ses doutes, la subtile simplicité de son parler vrai, sa ravigotante curiosité intellectuelle, sa modestie et sa protestation contre tous les mondialismes réducteurs et asservissants.Jean-Claude Guillebaud, Comment je suis redevenu chrétien.

Editions Albin Michel