Qui prend soin de notre fin ?
Par Sylvain Stauffer
Est-ce que votre vie personnelle a influencé la rédaction de ce livre ?
P. P. : Oui, je suis parkinsonien depuis sept ans, mais l’idée de ce manuscrit m’est venue - et j’en ai écrit les premières lignes - avant que je ne tombe malade. Elles s'inspirent de mes nombreuses visites à l’hopital en section gériatrique. A côté de rencontres enrichissantes avec des personnes, à qui l’âge avait insufflé sagesse et sérénité, j’ai été choqué d'en trouver d'autres dont la vie était comme arrêtée.
C’est le spectacle de ces vies à l’abandon qui m’a saisi. Je voyais souvent des infirmiers venir faire le ménage dans une chambre. Ils posaient la personne âgée devant la télévision, où s’agitait un groupe de hard rock. La personne, complètement immobile, semblait regarder au-delà de l’agitation de l’écran, tandis que la télévision offrait un bruit de fond à l’infirmier qui faisait son travail. Et cela, ça serre le cœur.
Beaucoup de personnes de cette génération sont nées alors que l’espérance de vie était de 50 ans. Elles ont bénéficié des énormes progrès de la médecine qui a fait bondir la longévité de 25 ans au moins, mais sans pouvoir toujours assurer la qualité de vie qui va avec. Et souvent au prix de fin de vie marquées par une déchéance aggravée.
A la fin du livre vous parlez de la mort comme d’une sieste, donc vous même vous n’avez pas peur de la mort ?
P. P. : Si, justement. Une nuit, une infection au genou s’est beaucoup aggravée. Je me suis senti comme un petit tas de misère. Et je me suis dit que j’étais à la merci d’une scepticémie. Si le barrage naturel du corps cèdait, c’était l’empoisonnement général. La pensée que je vivais peut-être mes derniers instants m’a envahi. Et tout en moi s'est révolté.
C’est là que j’ai compris que ma belle résolution d’existant qui revendique le droit de mourir dans la dignité, membre d’EXIT, etc. était un peu prétentieuse et cachait beaucoup de trouille. On fait semblant d’avoir cette position, mais qu’en est-il réellement ? Je m’accrochais de tous mes pores à cette vie et donc ce qui m’a motivé dans la rédaction de ce manuscrit, c’est que nous ne sommes pas naturellement prêts à envisager le pire : on doit apprendre à le faire.
Donc cette peur de la mort, nous l’avons, et elle fait que beaucoup de nos actes tombent sous le coup du jugement de Pascal sur le « divertissement ». Pascal appelle ainsi toute occupation propre à nous détourner de cette pensée désagréable du trépas à venir. Mais il faut bien une fois en découdre, penser à ce moment de vérité ainsi qu’à notre vie, donc penser philosophiquement et religieusement.
Pourquoi ne pas laisser faire la nature ?
P. P. : Tout d’abord, il y a belle lurette qu’on ne laisse plus faire la nature, puisque l’on intervient avec tout l’arsenal médical pour soigner les maladies. Le progrès technique permet aujourd’hui de maintenir des patients en état de vie végétative pendant des mois et des années. On doit alors se demander si il s’agit aussi d’un progrès du sens de la vie, s’il y a un sens à faire cela.
Etre entre les mains de Dieu, c’est une chose. Etre maitenu artificiellement entre les mains du respirateur en est une autre. Dans une fameuse prière de Madagascar, on dit : « Dieu n’a pas d’autres mains que les tiennes pour faire du bien ». Ce que tu demandes à Dieu, Dieu n’a que toi pour le faire. Dans l’esprit de cette prière on peut dire que je remets à Dieu le souci de ma fin de vie, et qu’il m’en laisse concrètement le soin et la gestion.
Que pensez-vous de l’euthanasie ?
P. P. : L’euthanasie est en un sens le contraire de ce dont je parle. L’euthanasie c’est disposer de la vie d’une autre personne sans forcément suivre son avis. Moi je pars des Droits de l’homme et de l’affirmation que chaque homme est libre. Je fais tout dépendre de l’affirmation de la liberté et de la responsabilité de la personne. On ne peut pas disposer la vie des gens indépendamment de leur volonté.
Cela pose le problème des cas de dégénérescence mentale, des cas de démence, mais j’essaie de mettre en place une manière de faire pour que dans ces cas aussi la volonté de la personne soit prise au sérieux.
Et les soins palliatifs ?
P. P. : Les soins palliatifs sont une alternative tout à fait crédible à l’acharnement thérapeutique et il faut les envisager d’abord. Toutefois, je ne suis pas d’accord avec Marie de Hennezel, la grande promotrice des soins palliatifs, lorsqu’elle considère la demande faite par un patient de l’aider à mettre fin à ses jours comme une demande à entendre, mais à laquelle il ne faut pas répondre. Il faut, dit-elle, accompagner cette personne et lui donner le sentiment qu’elle compte encore, que l’on tient à elle, afin de la décider à vivre jusqu’au bout, mais en aucun cas il ne faudrait donner suite à sa demande de cocktail létal.
Je trouve cette attitude discutable : c’est une manière de ne pas vouloir entendre la réalité de l’appel au secours de la personne en question. Je suis pour une équipe médicale qui travaille dans la vérité et la clarté.
Y a-t-il des moyens pour aider les personnes qui envisagent la démarche du suicide assisté à mieux la vivre ?
P. P. : Dans les premières moutures de mon manuscrit, j’avais imaginé créer une sorte de conseil philosophique, de manière à pouvoir par exemple mettre à la disposition d’une personne qui réfléchit sur la fin de vie quelques bons textes pour l’aider à se construire une opinion fondée. On peut aussi imaginer un conseil d’accompagnants psychologiques ou de cure d’âme.
Ce que l’on peut vraiment souhaiter, c’est que l’on trouve des gens disponibles pour répondre aux demandes de personnes désemparées et qui se posent des questions, sur ce qu’une maladie dégénérative risque d'entraîner par la suite, et sur la fin de vie en général.
La pratique du suicide assisté est-elle courante ?
P. P. : L’acte d’auto-délivrance est en fait rare, beaucoup plus rare que le nombre de ceux qui envisagent d’y recourir. Dans la plupart des cas c’est bien toujours la nature qui met un terme à la lutte de l’homme.
Mais l'homme est ainsi au moins rassuré de savoir que l’on ne lui infligera pas de prolongations. En somme, envisager l’acte d’auto-délivrance, c’est d’abord montrer qu’on est entré dans une certaine forme de dialogue critique au sujet de la vie et de son sens. Et il faut aussi que les familles sachent entendre cela.
Qu’est-ce que ce livre apporte de nouveau au débat ?
P. P. : J’écris dans une optique religieuse, comme le marque ce titre : « Prend soin de ma fin », qui est avant tout une prière, tirée du texte dont Mozart s’est servi pour son requiem.
Ce livre parle du « droit » de mourir dans la dignité, mais pas seulement comme d’un droit à revendiquer bien haut et bien fort, mais aussi comme d’une espèce de magistrature à exercer. Cela me paraît une chose importante. C’est comme le droit de vote, ce n’est pas seulement un droit que l’on revendique, mais c’est aussi une grosse responsabilité à exercer, avec conscience.
Pierre Paroz a été pasteur de l’Église réformée du canton de Berne pendant 27 ans. Il a participé au mouvement de réforme de la pédagogie religieuse ecclésiale de sa région. Il est aujourd’hui professeur dans un lycée où il enseigne la philosophie et l’histoire des religions.Ouvrages du même auteur:
- Prends soin de ma fin. Du devoir de vivre et du droit de mourir dans la dignité, Olivétan, 2010
- Le protestantisme vu par un adolescent, itinéraire d’une protestation, Labor et Fides, 2001
- Foi et raison : la foi chrétienne aux prises avec le rationalisme critique, Labor et Fides, 1985
- Pierre Paroz est au Salon du livre le vendredi 30 avril 2010, dès 14h, au stand des Editions Olivetan