Maroc : Chrétiens expulsés

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Maroc : Chrétiens expulsés

1 septembre 2010
Ce numéro de L'Express a été interdit au Maroc en 2008 DR

La situation des chrétiens est-elle en train de changer dans le royaume chérifien ? Entretien avec Jean-Luc Blanc qui y fut pasteur pendant neuf ans.

Propos recueillis par Bernadette Sauvaget, Réforme

B. S. : Au Maroc, vous avez assisté à la montée de l’islamisme dans le pays…


J.-L. B. : C’est clair. Le Maroc n’y croyait pas ! Avant les attentats du 11 septembre, le peuple et les médias n’envisageaient pas la possibilité d’un islamisme marocain. Malheureusement, la situation a profondément évolué entre 2001 et 2003. Les attentats à Casablanca, en 2003, ont provoqué un choc.

Le peuple marocain a alors compris qu’il y avait aussi des islamistes dans son pays, qu’il y avait un islam salafiste violent, plus important qu’on ne le croyait jusque-là. Le peuple n’imaginait pas que, parmi ses fils, ses imams, ses oulémas, il y avait des gens capables d’actes terroristes.


B. S. : Qu’est-ce que cela a changé pour la présence des chrétiens ?


J.-L. B. : En fait, notre présence est devenue beaucoup plus visible. Le Maroc a voulu montrer que des chrétiens vivaient dans le pays et que cela se passait bien. Nous avons été sollicités par les médias et le travail de dialogue islamo-chrétien s’est intensifié, notamment avec quelques intellectuels marocains.

Aujourd’hui, un travail a également commencé à l’université royale d’Ifrane. Le ministère des Affaires étrangères nous a demandé de participer à la formation de leurs diplomates afin de les sensibiliser au dialogue islamo-chrétien.


B. S. : Quel est le sens, selon vous, de la présence des Églises protestantes historiques dans les pays musulmans ?


J.-L. B. : Malheureusement, les Églises protestantes historiques ont un peu déserté le monde arabo-musulman depuis les indépendances. Je trouve que c’est dommage ! Nous avons quelque chose à dire et nous avons à être dans un type de présence, faite d’humilité et de dialogue.

Tout en reconnaissant nos faiblesses et nos difficultés, soyons capable d’expliquer aussi positivement que possible ce que nous sommes. Ce dialogue permet de montrer que l’islam peut apporter quelque chose au christianisme, y compris à certains courants évangéliques qui se situent quelquefois dans un combat contre l’islam.

B. S. : Vous avez vu cela au Maroc ?


J.-L. B. : Tout à fait. Il y a beaucoup de groupes évangéliques très différents au Maroc. La plupart souhaitent extraire les musulmans de leur religion pour les introduire dans le christianisme. Toutefois, peu d’entre eux se situent réellement dans ce combat contre l’islam.

Mais ceux-là induisent des amalgames à propos des chrétiens, de la même manière que les Occidentaux confondent l’islam avec Ben Laden et Al-Qaida. Nous, chrétiens, avons été amalgamés, par les autorités locales ou les médias, à ces gens-là.

B. S. : Ces « gens-là », d’où viennent-ils ? Ce mouvement s’est-il accentué ?

J.-L. B. : Beaucoup viennent des États-Unis mais d’autres sont originaires d’Australie, de Nouvelle-Zélande, du Brésil. Il y a eu deux vagues importantes après les attentats du 11 septembre. Ces derniers mois, le gouvernement marocain a commencé à expulser des chrétiens.

B. S. : Comment expliquer ce changement d’attitude ?


J.-L. B. : Je ne comprends pas toujours ces expulsions. À plusieurs reprises, j’ai rencontré les autorités marocaines. Leur réponse est celle-ci : « Nous savons des choses que vous ne savez pas. » Ce que je peux dire aussi, c’est que les autorités ne comprennent pas toujours les nuances qu’il peut y avoir entre les mouvements chrétiens.

Les autorités ont commencé, d’une certaine façon, à remettre de l’ordre. Vu du côté marocain, il y a 80 % des expulsions qui peuvent se justifier. Je ne dis pas que je les approuve… Mais il y a 20 % de ces expulsions qui sont totalement incompréhensibles !

B. S. : En quoi ces expulsions sont-elles « compréhensibles », même si vous ne les approuvez pas ?


J.-L. B. : Parce que ces personnes faisaient du prosélytisme, même si aucune n’a été expulsée pour prosélytisme car ce n’est pas juridiquement possible. Elles l’ont été pour trouble à l’ordre public. Mais qu’est-ce que le trouble à l’ordre public ? Même en France, c’est une notion difficile à cerner !

B. S. : Cela a-t-il créé des difficultés pour l’Église évangélique au Maroc ?

J.-L. B. : Oui, quelques-unes. Un pasteur d’Oujda et sa femme ont été expulsés. Ils s’occupaient de notre paroisse où il n’y a pas pour le moment de pasteur et menaient un travail social auprès des migrants. D’une certaine manière, ils avaient une façon d’être assez missionnaire mais s’investissaient surtout dans du travail social. C’est à cause d’un soutien auprès des migrants qu’ils ont été expulsés.

B. S. : Les lignes de fracture existent à propos de l’islam au sein du catholicisme et du protestantisme. Devrait-il y avoir un débat interne à ce sujet ?

J.-L. B. : Nous ne l’éviterons pas. La présence de l’islam en Europe et la manière dont on le perçoit nous l’imposent.