Bulletin de santé satisfaisant: les Editions Labor et Fides réussissent le contrôle médical. Mais pas au point d'éloigner tout risque de perfusion. «Nous ne distribuons pas de dividendes à nos actionnaires», sourit Gabriel de Montmollin, directeur de la maison protestante depuis 2007.

C'est grave docteur? Le succès des Mémoires de l'ancien ministre français Pierre Joxe, publiées l'an dernier, donne la température, plutôt clémente, du moment. Mais, surtout, il symbolise la diversification, assumée, de la ligne éditoriale de la petite entreprise genevoise.

«Diffuser les idées protestantes par le livre.» Telle était la devise de Labor au moment de sa fondation, en 1924. Sur le fond, elle n'a pas beaucoup changé. Rebaptisée Labor et Fides en 1943, «pour préciser mieux encore sa position», la maison publie aujourd'hui, comme à sa création, des travaux de théologiens protestants.

Sciences bibliques, théologie systématique ou histoire du christianisme: ce type d'ouvrages universitaires, dont onze de la plume de la professeure Lytta Basset, figure en bonne place au catalogue des éditions. «Nous sommes les seuls dans ce créneau, explique Gabriel de Montmollin, lui-même théologien. En France, Olivétan se positionne plutôt dans l'évangélisation et l'édification.»
Fourchette digeste Mais ce travail, à cause d'un tirage souvent restreint, coûte cher. Du coup, pour mener à bien sa mission, Labor et Fides doit compter sur des subventions: 20% du chiffres d'affaires total. Une démarche impérative pour ramener le prix final d'un livre dans une fourchette digeste pour le public.

Parmi les donateurs ponctuels, outre la Loterie Romande, le Service de la culture du canton de Genève. Où un fonctionnaire précise que «c'est une commission apolitique d'une demi douzaine d'experts du livre qui jauge la qualité d'un projet éditorial». Et, partant, l'importance du subventionnement alloué, dès 500 fr., en fonction de critères qui vont de l'origine de l'auteur au sujet abordé en passant par l'intérêt général, scientifique ou littéraire du projet examiné.

Notons au passage que, parmi les autres instances publiques de financement, les différents fonds de publication des Universités romandes figurent également en bonne place.

«Ça ne dépasse en moyenne que rarement le 50% des coûts directs d'un livre, qu'on estime en général à 10 000 fr.», détaille celui qui avait déjà piloté l'institution de la rue Beauregard entre 1992 et 2004. Et pour le reste? Des fondations privées mettent épisodiquement la main au porte-monnaie. Parmi elles, Hans Wilsdorf à Carouge, qui n'a pas souhaité détailler les critères d'allocation de ses subventions.

Et les banques privées de la place dirigées par des représentants de la haute société protestante? «C'est un mythe que de croire qu’elles sont nos principaux soutiens, tonne le Neuchâtelois d'origine. Même si c'est vrai que certains dons ou prêts à conditions amicales nous ont parfois permis de combler un déficit et de renforcer notre structure en période de mauvaises ventes.»
«Valeur sociale ajoutée» Le manuel du parfait investisseur néo-libéral n'est donc pas près de figurer au catalogue de Labor et Fides. Car, pour équilibrer un budget annuel de 700 000 fr., la société nichée au cœur de la vieille ville sait se donner de l'air en diversifiant sa ligne: manuels, livres de formation et, surtout, nouvelles collections grand public. Sans évoquer les coéditions.

«Nous visons la valeur sociale ajoutée», résume le patron, dont la maison vend deux tiers de ses ouvrages en France, y compris dans les milieux catholiques, avides d'un savoir théologiques pointu. Il en parle toutefois comme d'un bon baromètre de la santé des idées protestantes dans une société déchristianisée; plus explicite en tout cas que les médias confessionnels, qui profitent largement voire totalement des deniers publics.

Au final, et de manière générale, la vie d'un éditeur au début du XXIe siècle, protestant ou pas, n'a rien d'un long fleuve paisible. La production abonde. On parle même de surproduction. En quinze ans, le nombre de livres publiés en français par année est passé de 40 000 à 60 000.

En 1978, Michel Moret faisait vœu de vivre de la mise sur le marché de biens culturels et fondait les Editions de l'Aire, à Vevey. Dans le registre du roman, il confirme en partie les chiffres de Gabriel de Montmollin: «La part varie en fonction des ventes, mais il peut arriver que je ne touche que 10% de ce que rapporte un livre.» Le diffuseur et le libraire se taillent la part du lion: 60%.

A l'image du Veveysan et de l'ensemble de la profession, l'homme-orchestre de Labor et Fides SA et son équipe – trois équivalents temps-plein au total – ont peaufiné leur rentrée littéraire. « Avec douze sorties prévues (ndlr: sur les trente annuelles), elle s'annonce bien », observe celui qui se paie moins aujourd'hui qu'en 1992. Convalescence? Non, confiance, foi d'éditeur du bout du lac.

De Calvin à l'écologie

Parmi les douze publications de rentrée de la maison genevoise, trois ont retenu notre attention.

• Un guide pratique, d'abord. Qui dit comment rendre les églises plus verte et « inscrire le respect de la création dans la vie d'une paroisse ». De nombreuses propositions écologiques y sont listées, dans plusieurs domaines: consommation d'énergie, chauffage, eau, déchets, entretien des espaces verts, respect de la faune.
  
  La restauration des édifices n'est d'ailleurs pas oubliée. Réalisé pas l'association « oeku Eglise et environnement », Paroisses vertes se présente aussi comme une mine d'informations sur ses soeurs suisses et françaises actives dans la protection du climat.
• Une question, ensuite: Qui a fondé le christianisme? Elle paraît simple, mais elle ne l'est pas. Pour y répondre, Daniel Marguerat, spécialiste du Nouveau Testament, et Eric Junod, historien des Pères de l'Eglise, remontent aux sources. C'est-à-dire à ce que disent les quatre Evangiles et le livre des Actes des Apôtres de la naissance de cette « dissidence du judaïsme antique ».
  
  Mais pas seulement. Les auteurs scrutent également les premiers témoignages écrits de savants non-chrétiens. Au final, une enquête décapante, nous promet-on, qui rapproche les figures du Christ et de l'apôtre Paul, « notamment sur leur vision respective d'un universalisme de la foi ».
• Des réponses, finalement. Celles du Réformateur Jean Calvin aux vingt-trois questions d'un juif du XIIIe siècle (Réponse aux questions et objections d'un certain juif). En bref, elles portent sur la messianité de Jésus telle qu'en parle l'évangéliste Matthieu, parois contradictoire en la matière.
  
  « Piqué au vif, Calvin répond avec la verdeur de l'époque pour faire valoir le caractère transcendant du Christ », indique Labor et Fides dans sa présentation. On doit au théologien protestant Marc Faessler la traduction et l'édition du texte latin. Le spécialiste du judaïsme en fournit une clé de lecture contemporaine en fin d'ouvrage. (S.R.)