Mariages binationaux: la suspicion fait loi

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Mariages binationaux: la suspicion fait loi

Camille Gonzales
10 janvier 2011
Depuis le 1er janvier, il faut prouver que l'on séjourne légalement en Suisse pour s'y marier. L’initiative «contre les mariages fictifs» portée par l'UDC et votée par le Parlement en 2009 vient d'entrer en vigueur. En somme, pas de papiers, pas de mariage. Est-ce bien aussi simple et efficace?


, VP Genève

L'adoption de l'initiative parlementaire a apporté deux modifications au Code civil. La première oblige les prétendants au mariage à démontrer la légitimité de leur séjour dans le pays, la seconde contraint les officiers d’Etat civil à dénoncer à la police des étrangers les fiancés en situation irrégulière se présentant à eux. Le but affiché par Toni Brunner, alors vice-président de l'UDC, lors du dépôt de l’initiative était d’«empêcher les mariages fictifs».

La commission des institutions politiques a ensuite renommé la réforme en précisant qu'elle vise à «empêcher les mariages en cas de séjour irrégulier». Outre le fait de considérer à priori comme fictif tout mariage conclu par une personne sans autorisation de séjour, la nouvelle loi pose un certain nombre de problèmes.

Restriction du droit au mariage

Le mariage est un droit fondamental, tant du point de vue du droit suisse que du droit international* et ce droit ne peut être restreint que si la mesure est particulièrement «justifiée par un intérêt public» et «proportionnée au but visé» (art. 36 Cst). Ces conditions sont-elles respectées dans ce cas?

Marie-Laure Papaux Van Delden, juriste et professeur de droit à l’Université de Genève en doute: «L’intérêt public est difficile à établir car l’efficacité de la mesure sera relative et n’empêchera qu’un nombre limité de mariages fictifs. En revanche, elle crée une présomption irrécusable de mariage blanc liée à l'absence d'un titre de séjour valable en Suisse. Le principe de proportionnalité n'est pas davantage respecté."

Avant de poursuivre: "par ailleurs, dans la mesure où une catégorie de personnes est privée du droit de se marier en Suisse, on peut se demander si ce n’est pas une atteinte à l’essence même de ce droit. Or l’essence d’un droit fondamental est intouchable**.»

Efficacité relative

Au Centre social protestant de Genève, Rémy Kammermann tempère les effets de la nouvelle loi: «Il est possible qu’il y ait des applications différentes selon les cantons et que Genève conserve une pratique assez souple. Si l'UDC s'en prend aujourd'hui aux mariages, c'est parce que le regroupement familial est la plus grande voie d’entrée en Suisse d’étrangers non-européens.»

Le juriste souligne par ailleurs l'ambiguïté qui entoure la notion de «séjour légal»: «Est-ce qu'un visa de touriste suffira ou faudra-t-il être titulaire d'un permis B? Qu'en sera-t-il des personnes frappées de non-entrée en matière qui séjournent pourtant légalement en Suisse jusqu'à ce qu'on leur fixe une date de départ? La loi n'en dit rien.»

A ces ambiguïtés s'ajoute l’obligation, pour les Officiers d'Etat civil, de dénoncer les fiancés qui se présenteront sans permis de séjour, ce qui tend à les transformer en levier de renvoi des étrangers en situation irrégulière. «Pour notre part, nous appliquerons la loi sans faire de chasse aux sorcières» nous a confié, avec embarras, la direction d’un arrondissement genevois.

La morale de l’histoire

L’Etat est-il fondé à juger de la moralité d’un mariage? «Il n’y a pas dans le code civil de définition du mariage et celui-ci n’est pas basé sur la condition que les personnes doivent lui donner une certaine valeur morale» précise Marie-Laure Papaux Van Delden.

Personne ne considère comme fictifs les mariages motivés par des raisons économiques et pourtant sont-ils plus légitimes qu’un mariage contracté pour permettre aux fiancés de vivre ensemble dans un même pays? La morale de l’histoire pourrait être empruntée à Lafontaine: «On se voit d'un autre oeil qu'on ne voit son prochain» (la Besace).

INFOS

* Art. 14 de la Constitution suisse et art. 12 de la Convention européenne des Droits de l'Homme.
**Art. 36 al. 4 de la Constitution suisse