Une simple question à un collègue

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Une simple question à un collègue

Guy Le Comte
19 janvier 2011
Je suis issu de ce qu’on pourrait appeler le protestantisme social, un milieu qui prône avant tout la solidarité, et l’on comprendra que je n’ai que peu d’attirance pour certaines thèses de l’UDC et peu d’affinité avec ses ténors. Il ne faut cependant pas jeter le bébé avec l’eau du bain.

On peut professer des opinions politiques parfaitement dommageables, à mon sens, et être remarquablement à son affaire dans la vie de tous les jours. L’un de ceux qui occupent avec le plus de brio le terrain médiatique, Oscar Freysinger exerce la même profession que moi.

Il est enseignant et à ce qu’on m’a dit, c’est un bon enseignant. Je n’ai aucune raison d’en douter. Il a du charisme, le goût de transmettre, de l’enthousiasme, une faconde certaine et une grande autorité naturelle. Il aime son métier.Je l’ai entendu, il y a peu, à la radio, se raconter, expliquer son cursus pédagogique et dire comment il avait construit sa pratique en dépassant l’enseignement des pédagogues, dont les recettes, hélas, ne marchaient pas. Il racontait mon
histoire à quelques détails près. Oscar Freysinger est un enseignant et comme tout enseignant il doit avoir le souci de ses élèves.

La dernière initiative lancée par son parti nous concerne. Il s’agit cette fois de contraindre les enseignants à dénoncer leurs élèves étrangers en situation irrégulière. Les initiatives de l’UDC sont souvent tardives.

J’ai eu la chance de faire ma carrière à Genève, ou l’exemple est venu d’en haut, un matin de février 1986 quand le chef du département de l’instruction publique, Dominique Föllmi accompagna une petite fille turque à l’école.

J’ai eu la chance de faire ma carrière à Genève, ou l’exemple est venu d’en haut, un matin de février 1986 quand le chef du département de l’instruction publique, Dominique Föllmi accompagna une petite fille turque à l’école. Cela fait donc près d’un quart de siècle que le problème a été réglé et que le canton de Genève respecte ainsi la charte des droits de l’enfant.

Et je sais que de nombreux enfants clandestins qui ont bénéficié de la scolarisation genevoise sont aujourd’hui des citoyens suisses, conscients de leurs devoirs et utiles à leur pays. Les penseurs UDC veulent-ils donc aller à contre-courant ? Même pas ! Il s’agit surtout de faire parler du parti en lançant initiative sur initiative.

Elles ne sont pas toujours utiles et celle-ci l’est moins encore que d’autres. Tout citoyen suisse (et même tout habitant de ce pays) a le devoir de dénoncer les crimes ou les délits dont il est le témoin. Il n’est donc pas nécessaire de faire une loi pour contraindre une catégorie de citoyens à dénoncer un délit. Il suffirait de lui enjoindre de le faire !

Malheureusement, et c’est pourquoi aussi, peut-être, l’UDC veut légiférer, les citoyens suisses ont la fâcheuse tendance d’interpréter cette obligation qui leur est faite. Tout le monde, sans doute, est d’accord qu’il faut dénoncer un meurtre, mais un vol, si c’est l’Etat qui est volé par un contribuable faisant une fausse déclaration ?

Disons que dans ce cas la pratique est si restrictive que les dénonciateurs se voient bien souvent stigmatisés par le vilain nom de délateurs. Un paysan doit-il dénoncer son voisin qui recourt aux services d’un ami moldave ou d’un cousin letton pour rentrer ses foins ? Un client de café doit-il dénoncer la sommelière ukrainienne du bistrot qu’il fréquente ?

Chacun d’entre nous a été confronté une fois ou l’autre à l’obligation de témoigner et chacun d’entre nous s’est construit son échelle des faits à dénoncer. Il est des dénonciations nécessaires, utiles, discutables. Il en est aussi, l’histoire nous l’enseigne, d’ignobles.

Pour ma part j’estime que dénoncer un élève qui m’a été confié et le priver ainsi, en le renvoyant à la misère de son lointain pays d’origine, d’une formation plus que nécessaire pour affronter le très injuste monde dans lequel nous vivons, serait d’une bassesse indicible.

M. Freysinger que pensez-vous de l’obligation faite aux enseignants de dénoncer leurs élèves?

Je ne peux pas dire que j’attendais le conseiller national Freysinger au tournant, mais il occupe tant d’espace sur nos ondes que j’ai fini par l’y « croiser » au moment où un journaliste l’interrogeait sur le sujet : «  M. Freysinger que pensez-vous de l’obligation faite aux enseignants de dénoncer leurs élèves? »

La question eut le don d’agacer et l’enseignant Freysinger botta en touche :

«  Ce ne sont pas les enseignants qui dénonceront les élèves mais les directions qui ont les informations. »

C’est un peu court, Monsieur le conseiller national, permettez - donc que je vous repose la question plus simplement :

- M. Freysinger, dénonceriez-vous un de vos élèves en situation irrégulière ?

Comme je fais fond sur l’homme (ndlr : comme je pars du principe que l'homme a une inclinaison au bien), je pense que vous répondrez non. J’ai, je l’avoue, un peu peur d’être déçu.
 

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