Que font les mouvements féministes liés aux Eglises?
7 février 2011
Il y a quarante ans jour pour jour, les femmes obtenaient le droit de vote en Suisse. Que font aujourd'hui les mouvements féministes liés aux Eglises réformées? Entretien avec Brigitte Becker, membre du Comité directeur du Mouvement œcuménique des femmes de Zurich (OeFZ).
Reformierte Presse
Le Mouvement œcuménique des femmes de Zurich (OeFZ) a décidé de prendre un «time-out» il y a six mois. Les membres du nouveau comité directeur: Brigitte Becker, Monika Golling, Verena Profos et Elke Rüegger Haller, se sont réunies récemment avec la théologienne Ina Praetorius et une vingtaine d’autres femmes pour discuter de l'avenir du mouvement.
Changement de génération «Le mouvement initial d’émancipation n’existe plus», explique Brigitte Becker, également directrice des études intitulées «La théologie dans le dialogue social» au Centre protestant de rencontres et d’études de Boldern à Männedorf (ZH). Il ne s’agit plus en premier lieu d’exiger l’égalité, mais plutôt de contribuer à façonner le monde.
Est-il alors temps d’arrêter? Brigitte Becker est convaincue de la nécessité des mouvements de femmes: «Des thèmes tels que l’émancipation, l'introduction du féminin dans les textes ou les salaires équitables doivent être régulièrement rediscutés.» De plus, les structures des Eglises sont encore largement patriarcales.
«Les femmes sont les premières à tomber dans le piège de la pauvreté, les premières à perdre leur emploi, et aussi les premières perdantes de la mondialisation», a poursuivi Mme Becker. La nouvelle répartition n’est pas encore réglementée. Depuis quelque temps, les hommes veulent aussi participer à l’aménagement d’un monde plus juste. Il en résulte une discussion passionnante à partir des deux perspectives.
On recherche des jeunes femmes Les jeunes femmes s’intègrent-elles dans ce débat? «Au niveau universitaire, oui», relève Mme Becker. Certes, il y a eu une rupture dans le mouvement des femmes, car les jeunes ont du mal à se retrouver dans la discussion des plus âgées. «Elles ont une autre perspective, tout simplement parce qu’elles ont une autre histoire.» Elles n’ont pas vécu l’Eglise comme une force critique de la société. «Pour elles, la religion n’est pas une question d’opposition, mais plutôt d’orientation. Leur perspective est individuelle.»
Jusqu’ici, le contact du mouvement OeFZ avec les jeunes femmes n’est pas encore solidement établi. C’est pourquoi, lors d'une rencontre à Boldern, une condition de participation était que chaque femme amène avec elle une autre femme appartenant à une autre génération.
Comment s’exprime la vision œcuménique dans le mouvement des femmes? «Les femmes se définissent chez nous moins par la confession que par la foi et la spiritualité», répond Mme Becker. Ainsi, le mouvement OeFZ veut ouvrir aux femmes une nouvelle perspective et rendre possible une autre forme de communauté que celle de la paroisse.
Une place pour les femmes catholiques Dans quelle mesure des femmes catholiques sont-elles impliquées dans ce processus? «Depuis le début, des femmes catholiques et réformées, de même que des femmes ne se sentant plus liées à aucune Eglise, font partie des participantes régulières aux services religieux de l’Eglise des femmes», explique-t-on à l’Eglise des femmes de Suisse centrale. C’est aussi le cas à Zurich.
«Certaines femmes sont enracinées dans l’Eglise catholique et engagées dans le mouvement œcuménique. Mais l’hospitalité eucharistique est unilatérale. Certes, les femmes catholiques occupent maintenant des postes de direction dans leurs paroisses, mais elles n’ont pas le droit de conduire la messe.» Il y a des femmes catholiques qui se sentent à l’aise dans le mouvement des femmes et dans leur Eglise, mais peu d’entre elles réussissent à faire longtemps ce grand écart. «Peut-être les femmes catholiques ont-elles besoin d’être encore mieux soutenues dans la lutte qu’elles mènent pour être reconnues.»
«Nous devons aussi soutenir le mouvement des femmes dans l’Eglise pour ne plus sacrifier nos acquis», affirme Brigitte Becker. En outre, ce ne sont pas seulement les femmes catholiques qu’on exclut des postes de direction.
Catholiques, orthodoxes et évangéliques concernées «Beaucoup de milieux orthodoxes, mais aussi évangéliques conservateurs, ne leur cèdent en rien sur ce point. Il semble que bien des personnes trouvent un réconfort dans le fait de s’accrocher aux rôles traditionnels.» Dans cette perspective, ils donnent une légitimation biblique à ces rôles, comme dans certaines Eglises libres. «Selon celles-ci, chaque parole est inspirée littéralement de l’Esprit de Dieu. Du coup, tout argument contraire est impensable.»
Mais il ne s’agit pas, dans le mouvement des femmes, de s’engager uniquement pour les intérêts des femmes dans les Eglises, lit-on déjà dans une résolution adoptée lors du premier «Kirchentag» des femmes lucernoises de 1987: «Il s’agit de la justice et de l’engagement en faveur de toutes les personnes marginalisées et opprimées. Il nous tient à cœur que des pas essentiels soient franchis en direction de l’œcuménisme et de l’hospitalité eucharistique.»
La théologie féministe s’est inspirée résolument, sur ce point, de la théologie de la libération. Ce regard ne peut venir que des pauvres, de ceux qu’on a dépouillés de leurs droits, de ceux qui ont faim, des femmes. La justice a quelque chose à voir avec la perception de l’égalité et le respect de ceux qui ont un autre point de vue.
Une langue qui inclut les femmes Pour Brigitte Becker, la traduction de la Bible dans une langue qui inclut les femmes est l’une des conquêtes les plus importantes du mouvement des femmes dans l’Eglise. Beaucoup de nouvelles découvertes des sciences bibliques sont venues s’inscrire dans cette démarche: ainsi, on parle de disciples femmes et hommes, parce qu’il y avait effectivement aussi des femmes parmi les disciples.
«La justice de genre n’intéressait pratiquement pas les traducteurs bibliques d’autrefois.» Martin Luther, par exemple, n’utilisait les concepts féminins que lorsqu’il n’y avait exclusivement que des femmes. Mais les femmes étaient toujours comprises de manière implicite dans les concepts formulés au masculin.
La dualité homme-femme, qui marque notre image du monde et notre religion sous de nombreux aspects, entraîne d’autres dualités qui, à leur tour, inspirent l’organisation du monde. «C’est pourquoi il est si important que l’expression linguistique fasse également preuve de justice. C’est ainsi que nous apprenons à parler du monde dans lequel nous voulons vivre.»
Femmes des années 80' Dans les années 1980, l’intérêt des femmes était grand à l’idée de se rassembler au sein d’un mouvement féministe lié à l’Eglise, «dans le but d’intervenir ensemble, d’acquérir de la visibilité, d’inscrire des questions politiques à l’ordre du jour, et de faire la fête de manière autonome et vivante». Le mouvement OeFZ est né en 1984, dans le cadre d'un débat théologique de l’Eglise évangélique réformée du canton de Zurich et du groupe de travail «Identité féminine et Eglise» (Frausein und Kirche).
Cinq ans plus tard, le mouvement s'est constitué en association sous le nom de «Mouvement œcuménique des femmes» (Ökumenische Frauenbewegung), et compte actuellement quelque 260 membres. Il est financé par des cotisations, des dons, le produit de manifestations et de voyages, ainsi que des contributions de l’Eglise réformée du canton de Zurich et, jusqu’en 2008, par l’Eglise catholique du canton.
«Le mouvement OeFZ rassemble des femmes intéressées aux questions touchant la spiritualité et la théologie féministe; il prend position sur des thèmes en rapport avec l’Eglise et la politique sociale du point de vue féministe», indique la page d’accueil du mouvement (en allemand). Le mouvement OeFZ a aussi participé à la préparation et à la réalisation de plusieurs synodes des femmes de Suisse.
Le mouvement s’est fait connaître à un plus large public par ses formes de culte «proches des femmes» et ses manifestations telles que par exemple le «Kirchentag» des femmes zurichoises organisé chaque année en mai, ou des visites de la ville sur des thèmes spécifiques. Il est en outre membre fondateur de la «Communauté d’intérêts ‘Eglise des femmes’ de Suisse» (IG Frauenkirche Schweiz), créée à l’occasion de l’Expo 02 dans le but d’établir des liens entre organisations de base et sympathisantes en Suisse alémanique.
Le mouvement a été porté par des femmes qui associent une conception théologique féministe à la résistance au pouvoir patriarcal dans l’Eglise et la société et qui voulaient contribuer à façonner le monde de l’Eglise en conséquence. Mais, ces dernières années, ces femmes rebelles se sont calmées. (trad/F.N.)