Petite théologie d’Eastwood

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Petite théologie d’Eastwood

9 février 2011
Le professeur Jean-Louis Leuba (1912-2005), grand théologien neuchâtelois de la deuxième moitié du XXème siècle, disciple et confident de Karl Barth, était une personne haute en couleur, truculente, dont les cours laissaient éblouis et légèrement moqueurs ses étudiants. J’en étais un à la fin des années 70 à Neuchâtel.

Chronique par Gabriel de Montmollin


Il aimait les œufs au plat (je l’ai vu en manger sept d’un coup) ou relever le défi de répondre en deux mots aux questions les plus difficiles. « Qu’est-ce que le diable ? » lui avais-je demandé un jour. « L’absolutisation du relatif », m’avait asséné le professeur du tac au tac. Rien à redire.

Grand systématicien devant et en faveur de l’Eternel, il nous encourageait à mémoriser les tables des matières des livres pour les examens, plutôt que de les lire du début à la fin. Ça m’arrangeait vu mon ardeur légendaire à la tâche ; j’ai eu de très bonnes notes sous son règne.

Hic et nunc, illic et tunc

Me reste aussi très clairement de lui une théologie articulée sur les notions latines de hic et nunc, et illic et tunc, ici et maintenant et là-bas et alors. Avec ces deux logiciels, Jean-Louis Leuba déployait une pensée chrétienne ou chaque développement devait être jugé à l’aune du respect ou de la confusion des 4 termes.

Illic et tunc désignait le moment de la révélation biblique. Il ne s’agissait pas de s’y réfugier en faisant l’économie de 2000 ans d’histoire (contre les fondamentalistes), mais il ne fallait pas non plus diviniser l’ « ici et le maintenant » (hic et nunc) au risque d’escamoter les fondements et de favoriser une spiritualité aventureuse (contre les pentecôtistes et certains catholiques). Ça marchait assez bien.

Ce souvenir théologique m’est revenu au cours de la vision du dernier film de Clint Eastwood, L’au-delà, en anglais Hereafter. C’est ce dernier mot qui m’a réveillé cette mémoire. Littéralement en français, la traduction de Hereafter est « ici après », ce qui n’est pas la même chose qu’ « au-delà ». Ce dernier terme indique une dimension spatiale en dehors de notre horizon, un ailleurs physique et temporel, alors que le terme anglais marque une césure entre le réel et la mort sur un mode essentiellement temporel.

Jésus et les signes du Royaume

Curieusement, le titre français traduit mieux le propos du film. Deux des personnages principaux établissent des contacts avec des personnes décédées. Elles apparaissent dans une réalité parallèle et communiquent avec des médiums pour s’adresser à des proches qui leur survivent. Pour Clint Eastwood et les témoins des expériences de mort imminente, les trépassés sont parmi nous, mais au-delà du réel. Not here after, but beyond now. Non hic et tunc sed illic et nunc.

Les traditions chrétiennes ne sont pas homogènes dans leurs considérations sur l’après vie. On y trouve toutes sortes de scénarios, résurrection à la fin des temps, paradis parallèles, purgatoires, incertitudes confiantes, etc… Pour Jésus, le Royaume de Dieu est déjà parmi nous, il y a des signes, mais inutile de faire tourner les tables pour en connaître davantage. Comment savoir ? J’aimerais bien que Jean-Louis Leuba m’en dise plus en deux mots. Qu’un médium me mette en communication avec lui et qu’il démente la thèse du film d’Eastwood.
 

A relire

Les deux précédentes chroniques de Gabriel de Montmollin peuvent être relues ici (avec sa biographie) et là.