Valais : la foi des touristes

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Valais : la foi des touristes

Anne-Sylvie Mariéthoz
26 février 2011
L'Eglise réformée de Saas Fee © ASM

L'affluence touristique fait doubler la population valaisanne à certains moments de l'année. Ces hôtes de passage en quête de détente ont-ils aussi des besoins spirituels? L'Eglise réformée évangélique du Valais est de cet avis et vient de créer un poste d'aumônier du tourisme, pour mieux aller à leur rencontre.




Les skieurs et les promeneurs affluent en ce dimanche matin à la gare de Viège. Les vacances de neige viennent tout juste de commencer pour les écoles bernoises et il fait un temps magnifique dans les Alpes valaisannes. Les trains en provenance de Suisse alémanique déversent leurs flots de touristes qui s'empressent de gagner les stations, pour dévaler les pistes ou tout simplement pour prendre l'air.

"Le tunnel du Lötschberg a tout changé", relève Beat Abegglen, pasteur de Loèche et nouvel aumônier du tourisme pour le Haut-Valais. Cette région se trouve maintenant à un jet de pierre de la Suisse alémanique et il est facile de s'y rendre pour quelques heures. "Un jour comme aujourd'hui, les églises bernoises sont vides et le Valais accueille des milliers de personnes. Nous devons aller à la rencontre des gens là où il se trouvent", déclare l'aumônier. A la rencontre des touristes De nombreuses localités valaisannes ne sont pas régulièrement desservies par des pasteurs, mais proposent des cultes durant la saison touristique. C'est notamment le cas dans plusieurs stations haut-valaisannes, où l'Eglise bernoise se chargeait jusqu'ici de financer les prestations et de coordonner les officiants - souvent des pasteurs retraités ou en vacance.

Comme les paroisses bernoises doivent maintenant faire face à d'autres priorités, l'Eglise réformée évangélique du Valais a décidé de prendre le relai, en créant un poste d'aumônier du tourisme à 25%, depuis janvier 2011. Le pasteur Beat Abegglen, employé à temps partiel par la paroisse de Loèche, était déjà familier du tourisme et disponible pour cette charge. Ayant grandi sur les rives du lac de Brienz, dans une famille d'artisans commerçant beaucoup avec les hôtes de passage, il se sentait tout particulièrement attiré par ce défi.

Le nouvel aumônier veut commencer par établir le besoin et rencontrer les différents prédicateurs auxiliaires. C'est la raison pour laquelle il se rend ce matin à Saas Fee, afin d'assister au culte célébré dans l'ancienne chapelle anglicane par un prédicateur laïc. Les Anglais, grands pionniers des sports d'hiver, ont construit un certain nombre d'églises qui sont passés entretemps en mains protestantes.

C'est le cas de cette chapelle de Saas Fee, dont le charme rustique rappelle bien les débuts du tourisme alpin. A défaut, ce sont souvent des chapelles catholiques qui hébergent les offices protestants dans les localités de montagne. Comme l'explique le pasteur Abegglen, la collaboration se passe bien et "les portes des églises catholiques sont toujours ouvertes aux réformés". Autre rythme, autre disponibilité Nous sommes accueillis par Hans Erich Hintermann, physicien retraité, venu tout spécialement d'Anet (BE) pour la célébration, qui se réjouit de voir entrer une quinzaine de personnes. La fréquentation des cultes est naturellement plus haute lors des temps forts de Noël, de Pâques et durant les vacances d'été, note le pasteur Abegglen, qui a commencé à établir les premières statistiques.

Il espère la voir augmenter, à mesure que l'offre se fera mieux connaître. Les cultes dans les stations haut-valaisannes sont habituellement donnés en allemand. Mais le pasteur s'efforce, en fonction de l'assistance et dans la mesure du possible, de dire aussi quelques mots dans d'autres langues. Il arrive également qu'un autre pasteur soit invité à faire la lecture en anglais ou en hollandais.

Ce ne sont pas les idées qui manquent à l'aumônier, dont la tête fourmille littéralement de projets. Il s’emploie à développer le site internet et compte bien multiplier les liens avec les différentes instances touristiques. Mais loisir ne rime pas toujours avec spiritualité. Les vacances sont-elles propices pour parler de foi aux hôtes de passage? Le pasteur de Loèche en est convaincu et son expérience dans la station thermale haut-valaisanne le lui a confirmé en maintes occasions.

"La détente, le détachement du quotidien, amènent une autre disponibilité", affirme Beat Abegglen. "Lorsqu'ils parviennent à se libérer du stress et des habitudes, nos visiteurs peuvent s'ouvrir à des expériences différentes. "C'est le bon moment pour aller à leur rencontre parce qu'ils ont à la fois le temps et l'ouverture d'esprit nécessaire".

Proposer des cultes est une façon d'entrer en contact avec cette population touristique, mais elle n'est pas non plus la seule. Les baptêmes ou les mariages sont d'autres occasions pour lesquelles les pasteurs sont régulièrement sollicités, une offre que le pasteur Abegglen est disposé à développer et même à promouvoir. Les francophones dépourvus Les stations du Valais francophone ne disposent pas pour l'instant d'un aumônier du tourisme et chacune des paroisses réformées s'organise tant bien que mal avec des renforts extérieurs. La paroisse de Sion par exemple, propose tous les dimanches du 15 juillet au 15 août un culte en hollandais.

Certaines petites stations comme Ovronnaz sont desservies pendant les fêtes de Noël et de Pâques, ou durant un mois d'été (Champex, La Fouly, Giétroz). Les cultes y sont le plus souvent célébrés en français, grâce au concours de pasteurs genevois, vaudois, voire français. "Il ne serait pas possibles de faire sans eux", relève le pasteur Boismorand de la paroisse de Martigny-Saxon, "certains dimanches, il nous faudrait célébrer sept cultes en même temps". Comme plusieurs paroisses réformées valaisannes, cette dernière est en effet en pleine croissance et doit engager un nouveau collaborateur pour pouvoir remplir ses tâches courantes.

La prière du skieur sur les pistes de Verbier

Dans cette station surtout connue pour le prix exorbitants de ses chalets et pour ses pauses après-ski, le curé Gilles Roduit ne chôme pas. Parmi la foule de touristes qui déferle régulièrement dans la localité, "tout le monde ne se sent pas - et de loin ! - concerné par la religion".

Pourtant ces mouvements de population ne sont pas sans incidence sur son métier de prêtre. En saison, la population de Verbier passe en effet de 3000 à 35'000 résidents, ce qui l'oblige notamment à doubler le nombre de messes durant les temps forts - de Noël à Pâques et du 15 juillet au 15 août. "Ici c’est totalement différent de la pastorale habituelle, car je suis en même temps le curé des ruraux locaux et de toute cette masse de touristes". Même si une minorité d’entre eux fréquente les églises, "sur la masse, ça fait quand même du monde, ne serait-ce que parce que les vacanciers ont plus de temps pour entrer dans une église".

Le tourisme l'occupe en permanence et de multiples façons, qu'il s'agisse de marier ou de baptiser des hôtes de passage, de bénir une installation de remontée mécanique ou un magasin que l’on inaugure, ou encore de mettre son église à disposition pour une cérémonie anglicane.

Les Britanniques sont en effet nombreux à fréquenter la station et ils ont aussi leur aumônier, un prêtre anglican qui célèbre des offices à leur intention durant toute la saison d’hiver. Lorsque la chapelle protestante est trop petite pour les accueillir, ils trouvent refuge dans l’église de Verbier. Et qu’en est-il de l’utilisation des langues? "Oh je me débrouille", sourit le chanoine Roduit, "au début de la messe j’essaie toujours de dire au moins un mot en anglais, en italien et en allemand. Mais il arrive aussi qu’on fasse un hommage ou un baptême en anglais au milieu d’une messe en français ".

Hôtes cosmopolites

Le curé de Verbier célèbre une vingtaine de baptêmes par année pour des hôtes de passage qui mènent souvent une vie très cosmopolite, "avec un enfant à New York, un autre à Hong Kong, et qui décident de baptiser le petit dernier au chalet à Verbier chez le grand-père à Noël".

Le dépaysement favorise une autre ouverture vis-à-vis du discours religieux, "c'est une évidence" selon lui. Il affirme que "même sans même y penser", il ne prêche jamais de la même façon dans la station que dans la vallée en dessous: "Nos hôtes sont tellement heureux de sortir du smog de Londres pour se retrouver face aux Combins, les yeux plein de soleil, que j'ai spontanément envie de leur parler d'émerveillement".

C'est pourquoi il a développé certaines initiatives comme les sorties à peau de phoque au Grand-Saint-Bernard ou "la prière du skieur", consistant à inviter tous ceux qui le souhaitent à venir prier en pleine nature. Souvent accompagné par l’aumônier anglican de la station, il se rend chaque mercredi après- midi à la Croix de la Chaux, où il est régulièrement rejoint par une trentaine de personnes, touristes et locaux. La paroisse a aussi édité un "bréviaire du marcheur", un recueil de prières illustré d'images de montagne qui connaît un certain succès. A.-S. M.

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Dans le quotidien fribourgeois La Liberté le samedi 26 février et le lundi 28 février dans la chronique Juste Ciel sur RSR la Première.